Weird Objects Giving Bad Advice

Renée Zachariou
Qui a un texte ?
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10 min readFeb 8, 2020

J’ai toujours rêvé d’écrire un self-help book. Un ouvrage sans prétention qui livrerait ma vision de la vie, au service de l’amélioration de celle des autres. Je sentais au fond de moi que j’avais la matière. J’ai vécu le minimum syndical pour écrire, je le savais. Les conseils bouillonnaient sous couvercle. Fouit fouit fouit.

Il me manquait simplement le concept : certains sont devenus millionnaires en conseillant de ranger sa chambre le matin, d’autres en vantant les mérites de la respiration en trois temps, trois inspirations, trois expirations, trois, trois fois fois trois neuf, d’autres en enjoignant de voir la vie du bon côté et d’arrêter de se plaindre, enfin. Moi, j’avais beau réfléchir, tourner les conseils dans un sens puis dans l’autre, aucun sens global n’émergeait. Ma vie manquait de liant. C’est désesperespérant, mais c’est comme ça.

Or on ne casse pas la baraque en livrant des miettes de coup de pouce à droite à gauche, un peu de sérénité par ci, pas mal de colère par là. Il faut une overarching narrative you know. Un ciment qui donne du SENS A TOUT CA. Parce que cela serait inacceptable qu’il n’y en ait aucun, n’est-ce pas ?

Ne me méprenez pas, j’aime bien ma vie. Je suis en bonne santé la plupart du temps, j’ai assez d’argent pour ne pas avoir besoin d’y penser (mais pas trop non plus pour m’inquiéter avec quoi en faire), j’ai des choses à faire, des bières à boire. Mais il manquait quelque chose. Parfois, la vague envie de tout plaquer pour faire un roadtrip en Patagonie ou me lancer dans la culture de chanvre se faisait ressentir. Ou juste faire des pompes. Mais mais mais mais je sentais que ça ne suffirait pas à combler mon vide intérieurTM.

C’est là que je l’ai vue. Il devait être 22h, le jardin était désert. Un énorme rat se faufilait sous la palissade d’un futur musée de luxe. Sa queue resta à l’extérieur, à frétiller. On entendait des couinements. Pendant quelques secondes, la queue frétillante a existé sans le rat, juste une ondulation perpendiculaire à la raide palissade.

Je tenais mon concept de livre d’auto-aide à la personne.

La queue du rat m’a posé trois questions : comment vivre en sachant que l’on va mourir ? comment concilier nos envies antixoées ? et surtout, pourquoi la palissade ?

La queue du rat n’a pas eu le temps de répondre à tout, car, entrainée par le corps de son juste possesseur, elle a disparu à jamais. Elle a cependant éclairé mon esprit des leçons que je souhaite à présent vous transmettre.

Comment vivre en sachant que l’on va mourir ?

La plupart des auteurs noient le poisson pendant des pages et des paragraphes de considérations personnelles sur leurs souvenirs à deux ans et huit mois, leurs ancêtres asthmatiques ou ou ou leur crabe domestique. Pas moi, car j’ai des principes. Considérez que je vous rends un service à mes dépends : vous allez bénéficier du zeste de mon enseignement en un temps limité, tandis qu’aucun éditeur n’acceptera un livre de cinq pages.

Au vif du sujet donc : la mort. Personnellement, j’y pense tous les jours, même quand je n’y pense pas. On est une masse compacte d’esprit qui arrête le passage de l’air, un espace en creux dans les molécules du vent. Puis on meurt, on n’est plus là, et ça souffle partout.

Une fois cela posé, il n’y a plus rien à dire. Cet ouvrage pourrait donc s’arrêter avant même d’avoir vraiment commencé. C’est dommage, c’est même dommageable. Sauf que. Entre les deux évènements fatidiques s’écoule un intervalle non défini d’années. Que d’aucuns appellent vie, et d’autres faire la queue au supermarché un samedi soir.

Quoi alors ?

On peut faire des enfants pour rester un peu après être parti. Mais les enfants sont ingrats. Au pire, ils vous oublient. Au mieux, ils se rappellent en grandissant que vous avez eu tort et ils sont fâchés contre vous, si rancuniers et injustes. En plus rappelez-vous, vous êtes mort, vous ne pouvez pas vous défendre.

Certains écrivent, mais ça ne vaut pas un clou non plus. 800 livres par rentrée littéraire, on vous aura oublié en une semaine, pas en six siècles.

Oublions donc la question de comment durer après sa mort, puisque ce n’est pas possible. Et comme l’a dit Marc-Aurèle, à quoi bon vouloir être célèbre post-mortem, puisqu’on est plus là pour s’en rendre compte ? Ce qui est ironique, nique vu que 2000 ans après la sienne, de mort, c’est encore un auteur de best-seller. Verba volent, scripta manent. Mais est-ce que Marc le sait ? Non, il est mort. Trop forts les romains.

Un moment vous serez là, le moment d’après non. Une minorité en tire la conclusion d’en finir maintenant tout de suite, quitte à faire. Certains se sent trop ravis d’être là pour y songer vraiment, on n’est pas si mal après tout. La plupart font comme ci ça n’arrivera jamais. Je pense que c’est une erreur. On a beaucoup à apprendre des morts. Peut-être qu’on devrait tous être croque-morts et embaumeurs, toucher les morts, respirer dans les même pièces qu’eux. Rester un moment avec eux.

Qui a dit : « Nous sommes des morts qui nous promenons ? »

Arrêtez-vous un instant, et regardez au fond de votre oreille interne : comment vous sentez-vous en pensant à CA ? Non, ne me dites rien, je vous sens gigoter. Vous n’êtes pas à l’aise vous fermez la bouche vous n’êtes pas prêt à regarder la vie en face.

Comme je vous comprends.

Ah, je vous entends murmurer quelque chose, parlez plus fort, n’ayez pas peur. Et s’il y avait une vie après la mort ?

Ah.

Je vois.

Ecoutez, si vous y croyez, c’est super pour vous. Non, sérieusement, c’est vraiment bien. Très très très bien. Moi, je n’y arrive pas. J’ai beau me concentrer fort, plisser le front, ça ne passe pas. Pareil pour DDDDieu. Je pense que je n’ai juste pas le truc. C’est comme ça. Je pense que ça me ferait trop flipper si les morts pouvaient revenir souffler à la racine de nos cheveux, et si Dieu est suffisamment méchant pour laisser passer tout ce qui se passe… je préfère ne même pas y penser.

Brrrrrrr

avo, vous m’avez fait oublier la mort un moment, mais j’y reviens, vous ne vous en sortirez pas comme.

En fait, c’est une question de remplissage de l’espace. Que faire avant ? Sachant que rien ne vaut vraiment la peine.

Je vous sens gigoter, décidément vous avez la bougeotte dans le sang.

Rappelez-vous de la queue du rat. Elle gigote aussi, sans doute parce que l’ADN immémorial du rat y a vu un petit intérêt pour la survie de l’espèce. Elle est là, sans vraie raison, comme vous.

Conseil un peu décevant 1 : Puisque l’on va tous mourir, autant faire quelque chose de pas trop désagréable en attendant.

Comment le définir ? C’est ce que la queue du rat va nous apprendre dans la section 2.

Comment concilier nos envies antixoïques?

Avez-vous à la fois envie de faire un tour du monde en char à brouette et d’acheter un deux-pièces-cuisine en périphérie urbaine ? D’être très riche et hors des considérations matérielles ? D’avoir des enfants et pas d’enfants ?

Vous n’êtes pas seul, cher ami. J’ai presque envie de vous rassurer en vous pattant l’épaule. Seulement, parfois les parents, ceux-là qui vous énervent, et vous ont refilé leurs gênes pourris pour tromper la grande M, ceux-là même, ont raison. On ne peut pas tout avoir.

Personnellement, cette considération me plonge dans un océan d’angoisse, dans lequel il n’y a même pas assez de sel pour que je flotte sans rien faire.

Comment démêler l’écheveau de ses désirs ? Vous pourriez commencer par distinguer ceux qui vous sont propres de ceux que l’on vous a refourgués en douce pour combler le manque d’une vie passée dont vous ignorez tout ou vous faire adhérer à une société qui vous aliène sans même vous rassurer en vous susurrant des mots doux à l’oreille moite. Ce travail d’introspection étant long et délicat et sans fin, je vous le déconseille.

Vous pourriez déterminer une ligne directrice, même à basse tension, qui vous anime. Une orientation, même multipolaire, qui éclairerait vos décisions. Une piste, même à double file, qui vous apporterait réconfort et énergie. Cette solution étant trop ambitieuse, allez-y sans moi.

Vous pourriez ne pas y penser et accumuler les jours tombés. C’est plus ou moins ce que vous allez faire de toute façon, mais cette technique subtile ne fonctionne malheureusement pas à 100%. A la longue, un sentiment de perte s’installe, osons le mot, une inquiétude. Surtout, ne pas choisir, c’est choisir, c’est bien connu.

Vous vous découragez à nouveau. Franchement, je ne sais pas si vous êtes dignes de l’enseignement de la queue du rat, ou même capable de lire un self-help-bouk sans pleurer tous les trois paragraphes.

Rappelez-vous la mort. Voilà, ce n’est pas si grave.

Comment ?

La grande faucheuse vous met au contraire la pression ? Vous ne voulez gâcher aucun des précieux moments qui la précède, et pourtant vous avez plein de trucs pas drôle à faire, alors que vous êtes occupés à mourir justement ? A force d’hésiter, vous allez passer à côté de votre vie, la vraie, la seule, l’inconsolée ?

Apapapapa. Vous finassez, mais vous vous êtes trahis. Je goûte derrière cette lyrique plainte le reflux gastrique de conseils mal digérés. Vous cherchez une réponse, mais vous n’avez pas la question.

Mes pauvres.

La question est, je le rappelle : « Comment concilier ses envies antixoïques ? ». La réponse est : « non ». Ce sont nos contradictions qui nous définissent, et font de chacun d’entre nous un être plein de nuances et de moirage, le type de personnes avec qui on aime fumer une cigarette en cachette.

Hmmm.

Je vous renifle sourire d’aise.

Vous me faisiez pitié, alors j’ai eu envie de vous remonter le moral. Mais ne prenez pas trop la confiance. Les gens complexes, c’est cool dans les bouquins, mais dans la vraie vie, c’est vite chiant. Surtout quand c’est vous.

La queue du rat avait sans doute envie d’être à la fois devant et derrière la palissade. Elle a résisté un temps, puis la force du destin l’a conduite ailleurs. Je ne sais pas si où elle était le mieux. Je ne peux pas juger.

Underwhelming piece of advice 2 : Vous êtes sans doute bien là où vous êtes, et si ce n’est pas le cas, bougez. Comment ? C’est au tour de la palissade de nous éclairer dans la troisième et dernière section.

Pourquoi la palissade ?

La palissade ne nous cache pas ce que l’on désire réellement, l’avenir, ou un futur musée de luxe. Elle ne cache rien du tout, elle est juste là, c’est une palissade.

Si tu regardes plus attentivement tu verras qu’entre les planches, brille l’incertain.

C’est une lumière un peu sale, brunâtre. Parfois, tu as l’impression qu’elle s’affaiblit, qu’il y a des ombres dans la lumière. Tu entends la lumière, elle rentre dans tes narines.

Décaler le regard de la queue du rat pour observer la palissade est la seule chose qui te permettra de respirer. Ca ne t’apprend rien. La lumière ne te dira pas quoi faire. Tu n’es nimbé de rien du tout. Ton illumination, c’est qu’il n’y a pas d’illumination, il n’y en aura jamais.

Un écrivain que je n’aime pas, a choisi comme épitaphe « je ne veux rien, je n’espère rien, je suis libre ». Quelle prétentieux celui-là. Il y a quelques jours, je ne me rappelle plus je faisais quoi, genre quinze ans après avoir lu la phrase pour la première fois, ça m’a frappé. S’il ne veut rien, s’il n’espère rien, c’est qu’il est mort. Putain d’épiphanie.

On y revient encore. Mais cette fois-ci, on la met de côté, ça va bien merci. Sinon on va perdre le fil.

Voilà, on l’a fait. On a bougé tout en restant exactement sur place. On est au même endroit, mais on a fait un pas de côté. Ce n’est pas qu’il suffit de changer de point de vue, essaie de comprendre, essaie vraiment. C’est la multitude qui manquait depuis le début. On est sauvés.

Final underwhelming piece of advice : Il n’y a que la lumière qui compte, et tout est lumière. (Et la queue du rat.)

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