Recrutement, le marché caché n’existe pas. Et la licorne se mua en poney…

Un article lu sur LinkedIn

Pascal Kotté
quincamarre
9 min readNov 29, 2017

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image honteusement reprise de http://www.e-papier-peint.com

Dominique Muhlematter
https://www.linkedin.com/pulse/recrutement-le-march%C3%A9-cach%C3%A9-nexiste-pas-et-la-licorne-muhlematter

Cacher : “ Soustraire quelque chose (opinion, événement, etc.) à la connaissance de quelqu’un, le dissimuler, ne pas le révéler

65, 70, 75%, 80% et même 95%! Ces postes seraient donc pourvus sans qu’ils aient été mis en avant à la vue et au su des candidats lambda? Cachés, dissimulés, à des fins mystérieuses? Parce que, poster une annonce, c’est trop facile? A défaut d’iceberg, c’est une baleine, suffisamment grosse pour être pleinement visible pour un recruteur.

Premier arrêt, Forbes :”those millions of openings that never get formally posted. It now accounts for up to 80% of hires, according to some estimates.Ces millions de jobs qui ne seront jamais publiés, cela compte maintenant pour 80% des engagements… Pas de source.

Poursuivons, “ The Hidden Job Market […] According to a recent survey, 80 percent of today’s jobs are found through networking” ce qui nous mène à sa source:” According to a report from ABC News, 80% of today’s jobs are landed through networking” Un peu différent du Hidden Job Market/marché caché non? Effet boule de neige, nous passons de site en site, reprenant les chiffres sans jamais arriver à leur point d’origine. “ I’m trying to find the original source for this statistic. I can’t trace it to ABC News yet. In the meantime, another source states 70% of networking can be supported (sort of).Vous notez encore? nous sommes passés du marché caché au pourcentage de jobs obtenus par cooptation. Et toujours pas de source pour les 70%. Entre-temps le glaçon a déjà perdu 10%

Prochain arrêt “ Crack the Hidden Job MarketHarward Business Review , “ There is a lack of research data on exactly how people find jobs, but a rule of thumb across international studies appears to be that on average about of jobs are filled through word of mouth connections”. Ah, là au moins, c’est honnête : “à vue de nez, un tiers”. On manque de données mais on parle d’études sans en citer une. Et ici encore vous noterez qu’un tiers… c’est loin de 80%. Et qu’aussi, on parle de jobs remplis et non de la diversité des sources utilisées pour le faire.

Continuons. Given this commonly accepted concept, I was shocked to read a 2009 statement by a respected consultant, someone who knows the world of hiring extensively, having worked with hundreds of employers, that the hidden job market is one of the biggest myths of job-hunting; that, in fact, it doesn’t exist: “Maybe a few thousand out of 20 million jobs are unpublished, and they are primarily at or near the C-level,”.

Le marché caché un mythe?!

En gros, quelques milliers de jobs sur 20 millions seraient effectivement cachés mais principalement au niveau Senior Directeur, voire au dessus. Différent non? Si on veut chipoter, on peut dire que ça date de 2009 et que le monde du recrutement a changé, et c’est vrai.

Aucune étude sérieuse pour démontrer l’existence du marché caché.

Mais voilà, tout est là.

Il n’y a pas d’étude sérieuse qui démontre que les sociétés recrutent/recruteraient sans publier leurs jobs.

Erreur de définition du marché caché? :” Tout poste ouvert à recrutement, pouvant être pourvu par un candidat extérieur à l’entreprise, et n’étant pas publié à l’extérieur d’une quelconque manière, site carrière, annonce, agence, ou réseaux sociaux”.

60, 70, 85% de jobs volontairement cachés par les entreprises? Une entreprise normalement constituée recrute en moyenne par cooptation entre 20 et 30% de ses nouveaux employés, voire plus, on parle de 45% aux US pour 2017 d’après une étude de Silkroad. Et c’est normal. Mais chers candidats, on vous explique benoîtement que vous allez pouvoir cibler 95% des jobs que les autres n’auraient pas vus. Non!*

La célèbre image de l’iceberg me semble fausse, ou plutôt TRES mal expliquée. En vrac, dans la partie sous le niveau de la mer, vous trouvez :

  • Les recrutements confidentiels. Ok, mais 1% par an et encore. Et même dans ces conditions, le recrutement est délégué à une agence, qui, elle, postera le rôle dans la plupart des cas. Comme il est dit plus haut, si l’on parle d’un poste de Senior Directeur, peut-être se retrouvera-t-on dans le cadre du hidden market,
  • Recrutement Interne. Soyons clair, ce n’est pas un marché caché. Si une entreprise a déjà son candidat interne, ce n’est pas en arrivant pile-poil au bon moment que vous ferez la différence.
  • Prolongation d’un CDD en CDI ou conversion d’un contractant en employé. Là encore, on ne peut pas parler de marché caché. Le job est destiné à une personne en particulier.
  • Quelques métiers très corporatistes. Avec des profils très similaires et sur un marché relativement restreint. Tout le monde se connaît. Marché captif, plutôt que marché caché.
  • CDD, remplacement de congé mat’ par exemple. Vous allez contacter une agence spécialisée qui aura sans doute interviewé récemment quelques candidats pouvant faire l’affaire. Effectivement, rien ne sera posté. Effectivement, si quelqu’un du réseau du manager, des RH, ou des employés peut faire l’affaire, on peut parler de marché caché.
  • Les profils dits en tension, je te vois venir, ami sourceur, tu vas arguer “oui mais si tu cherches un dev Scala, du Jenkins et toutes ces subtilités, tu vas le sourcer ton candidat”. Oui, il y a des chances, mais comme le dit si justement Jean-Claude Duss “sur un malentendu ça peut marcher”. Pourquoi me priverais-je de l’ouvrir sur mon site carrière tout simplement? Est-ce que ce genre de profil a réellement besoin de cibler un marché caché avec autant d’offres visibles?
  • Un manager a un besoin, ou commence à y penser, il regarde autour de lui dans la compagnie qui pourrait prendre le job, éventuellement regarde sur son Linkedin, il en parle à son équipe qui connaît justement quelqu’un. Oui, ça arrive. Mais dans la pratique, pas au point de créer un iceberg suffisamment gros pour égratigner le Titanic.
  • Afflux massif de candidats pour certains rôles. Pourquoi pas, le network fait sens, je concède celui-là également. Cf. point suivant.
  • Les emplois du Service à la personne, de la restauration, ou même de la vente. Il n’est sans doute pas rare de connaître un/une ami/e qui cherche justement un job à ce moment-là. Mais ici encore vous constaterez comme moi que si un directeur de magasin ou un restaurateur n’a pas forcément l’argent ou le temps de passer une annonce Monster ou même Le bon coin, il n’hésitera sans doute pas à mettre une petite affichette sur sa vitrine. Et même optique que pour le sourcing, si vous cherchez un job dans la restauration, avez-vous réellement besoin de cibler un marché caché?
  • Le CV “alleluia”, le CV qui arrive tel Zorro pile au moment où le poste s’ouvre ou juste avant, comme ça, en sortant de nulle part. Tout recruteur se souvient sans doute avoir dit à un manager “non mais attends, j’ai vu un CV hier qui pourrait correspondre à ce que tu vas chercher là”. Mais c’est comme les cochons volants, malheureusement pas la majorité du genre.
  • La fameuse cooptation, également appelé copinage par ceux qui ne comprennent pas le système. Le malentendu vient de là, je pense. Pour une entreprise avec un bon système de cooptation, il est tout à fait possible de viser entre 20–35% des recrutements au travers de ce canal. Est-ce que ça signifie que ce marché est caché?

Absolument pas, la cooptation N’EST PAS synonyme de marché caché!

Si l’on est vraiment joueur, on va peut-être attendre 5, voire 10 jours ouvrés avant de publier l’annonce, c’est la norme dans certaines entreprises, juste pour laisser le temps aux candidats internes de se déclarer. Et là peut-être qu’effectivement un CV va arriver avant les autres. Mais dans les faits, la plupart des rôles remplis par cooptation sont visibles par tous, que ce soit sur les sites carrières, les joboards…Pour les managers qui me lisent, combien d’entre vous ont pesté contre ce délai d’attente, pensez à la tête que vous auriez faite si on vous avait dit “non, finalement on ne l’ouvre pas, on va plutôt attendre une cooptation…”

La vraie question est : est-ce que tout ça en cumulé donne de quoi remplir un verre à Mojito, niveau glaçons?

Possible, mais de quoi faire de Kate Winslet une future veuve, on peut légitimement avoir de gros doutes. 10–20%? Pourquoi pas, encore une fois difficile sans une vraie étude. 60, 70, 95% en revanche….

Pas d’étude sérieuse, mais j’ai tout de même essayé d’analyser si, bien malgré moi, j’avais un marché caché.

Même si ce n’est pas forcément représentatif, on parle tout de même de plus de 20 000 candidats et de plusieurs centaines de postes pourvus sur les deux années 2015–2016, et au niveau européen. Sans être l’Atlantique, c’est mon bocal, je devrais tout de même pouvoir y débusquer un poisson rouge à défaut de baleine.

Résultats de l’analyse :

  1. Sur tous nos rôles recrutés par cooptation, seuls trois n’ont pas fait l’objet d’une publication externe au moins sur notre site carrière — site repris automatiquement sur Linkedin et Indeed. Deux stagiaires, et un rôle de management. Pas de marché caché sur la cooptation, elle représente plus de 20% de nos recrutements et jusqu’à 30 dans certains domaines précis.
  2. 50% des rôles pour lesquels nous avons sélectionné un candidat interne ont également été publiés à l’externe. Un mouvement interne ne passe pas toujours dans les mains de mon équipe, lorsque l’employé ne change pas de groupe ou de manager c’est un pure process RH — pas de marché caché. Dans les 50% ouverts à l’extérieur, par définition rien n’est caché, que le meilleur gagne, fort avantage pour la candidature interne même par rapport à une bonne cooptation, question de plan de carrière. Et dans les 50% restants, nous avons un bon mix d’employés ayant une promotion en dehors du timing habituel et d’employés changeant complètement d’orientation. Peut-on y repérer du marché caché? Potentiellement, oui. Exemple : une de mes employées a basculé vers un poste RH généraliste suite à une promotion chez RH. Y aurait-il pu avoir une brèche pour une candidature externe? Oui. Les chances que notre HR manager mette en avant un candidat qu’elle ne connaîtrait pas personnellement et qui puisse concurrencer notre candidat interne? Franchement TRES très faible. Pour mettre en perspective, si potentiel marché caché il y a, on parle de moins de 5% des recrutements faits sur ces deux années.
  3. Convertir des CDD en CDI. 50% des membres de mon équipe ont commencé en CDD ou contractant pour diverses raisons et ont ensuite été convertis en CDI. Maintenant le rôle ne s’est pas magiquement transformé. Si j’ai eu la possibilité de le faire, c’est à 50% parce que ce rôle était nécessaire, mais aussi 50% parce qu’ils ont su se rendre indispensables. Aucune ouverture possible pour un marché caché ici, hormis le fait que certains sont arrivés par des agences n’ayant pas forcément publié d’annonce mais tapé dans leur database ou dans leurs connaissances. On parle ici de 2% de nos recrutements 2015, 2016.
  4. 100% des rôles que nous avons recrutés par sourcing direct ont été ouverts à l’extérieur.

Difficile de définir une tendance sur un seul exemple, mais si on admet que, source Insee, en France, 243 entreprises représentent 30% des emplois rémunérés, nos processus sont loin d’être uniques et basés sur des pratiques en vigueur dans la plupart des autres entreprises. Simple addition, j’arrive péniblement à 8% sur 2 ans en étant très généreux.

Dom, est-ce que fondamentalement cela change quelque chose de vivre sans l’iceberg?

Rien… Je vous explique pourquoi?

Non.

Je vous sens déçus? Non, fondamentalement ça ne change rien. D’accord, c’était un peu long pour en arriver à cette conclusion.

Talent Acquisition Manager, runner, geek, avec un concept du personal branding assez particulier, je recrute et manage une équipe de sourceurs/recruteurs depuis plus d’une décennie. Sachant à peine dans quel sens tenir un marteau, je suis passionné par les mécaniques…du recrutement, côté employeur mais aussi côté candidat. Partisan de la théorie selon laquelle pour connaître le fonctionnement d’une chose, il faut commencer par la démonter, je ne vous garantis pas que, comme pour un meuble Ikea, il ne restera pas une pièce ou deux de trop au remontage. Si vous avez perdu la notice, n’hésitez pas à me contacter via in-mails ou

*Note: la fameuse étude citée dans ce lien est introuvable, que ce soit sur le site du Wall Street Journal, ou sur celui du SHRM, ou même en ligne tout court. Si quelqu’un met la main dessus, je suis preneur, cela semble être la seule source citée nommément.

Originally published at https://www.linkedin.com on November 29, 2017.

Un grand merci pour ce très bel article, et pour une recherche de vérité, ouverture à commentaires ici-même ! Pascal Kotté

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Pascal Kotté
quincamarre

Réducteur de fractures numériques, éthicien digital, Suisse romande.