Élections présidentielles au Bélarus : vers la fin du régime Loukachenko ?

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Le 9 août prochain se tiendra l’élection présidentielle du Bélarus, date qui n’a pas été repoussée malgré la pandémie de la Covid-19. Candidat pour la sixième fois consécutive, le président actuel Alexandre Loukachenko fait face à quatre candidats ayant reçu le feu vert pour se présenter parmi les quinze candidats ayant collecté le nombre de signatures requis pour ce faire [1]. Le 14 juillet, la Commission électorale centrale du Bélarus a ainsi annoncé les candidatures des personnes suivantes :

  • Sergueï Cherechen, président du Parti Social-démocrate du Bélarus,
  • Hanna Kanapatskaïa, avocate et ancienne député du Parlement bélarussien,
  • Andrey Dmitriev, co-président du mouvement ‘Dire la vérité’ (Гавары праўду)
  • Svetlana Tikhanovskaïa, épouse de l’ancien candidat à la présidentielle Sergueï Tikhanovski [2].
Candidats officiels et candidats refusés selon le nombre de signatures acceptées. (© IntelliNews.com)

Chacun de ces candidats a ainsi pour but de mettre fin à l’empire Loukachenko, car le président détient le pouvoir depuis 1994, ayant pu maintenir sa présidence par un référendum en 2004 abolissant la limite de mandats. Depuis son arrivée au pouvoir, aucune élection n’a été jugée juste ou équitable par les observateurs européens [3]. En 2019, aucun opposant n’a été élu au Parlement. Et au vu des récentes arrestations des candidats faisant le plus d’ombre au président actuel, la prochaine présidentielle ne semble pas déroger à l’habituelle procédure électorale.

Une compétition illusoire, un pouvoir fragile

La règle d’élection juste et compétitive n’est pas vraiment respectée dans le pays, et ce depuis le premier mandat de Loukachenko. Les rapports établis par le centre pour les droits humains Viasna pour les élections de 2010 et 2015 avaient énoncé que ces deux scrutins ne respectaient pas les critères démocratiques attendus, notamment au niveau de la compétition politique [4] [5].

Alors que Viktor Babaryko, directeur de la banque d’État Belgazprombank, semblait être le candidat le plus apte à faire de la concurrence à Loukachenko, ayant récolté plus de 400 000 signatures sur les 100 000 requises (un record notoire pour un opposant), son arrestation mi-juin marquait la fin de sa candidature [6]. Accusé entre autres de fraudes et de blanchiment d’argent, le candidat était également pointé du doigt par le président pour son ambition de « privatiser » le pays, soit la fin de l’ingérence étatique sur l’économie. Cette privatisation serait, dans ce cadre, rendue possible grâce à un large soutien financier de la part de Moscou, Belgazprombank étant en partie contrôlée par le géant énergétique russe Gazprom. Depuis, de nombreuses manifestations secouent Minsk et d’autres villes bélarussiennes pour protester contre cette arrestation, et les altercations policières se multiplient. Le 19 juin, 140 personnes dont 80 à Minsk ont été interpellées, certaines étant des journalistes travaillant pour des médias étrangers [7]. Un amer souvenir des élections de 2010, durant laquelle plusieurs opposants ont subitement disparu, ce qui avait déjà provoqué des manifestations et des altercations. Ces élections avaient à l’époque amené à une vague de sanctions de la part de l’Europe [8].

Ce n’est toutefois pas le premier candidat à avoir été saisi durant la campagne de cette année, le blogueur et youtubeur Sergueï Tikhanovski ayant été arrêté fin mai pour troubles à l’ordre public. Souvent comparé au président ukrainien Zelensky de par ses origines professionnelles et son combat contre la corruption, sa popularité tient en partie à son slogan rassembleur et dénonciateur du pouvoir actuel : « Écraser le cafard ». Après son arrestation, signifiant l’impossibilité pour lui de se présenter, sa femme décide de prendre le relais de sa candidature, devenant la candidate pouvant obtenir le plus de soutien populaire — mais ainsi la plus à même de recevoir des menaces pour l’y faire renoncer. Une autre figure majeure de l’opposition bélarussienne, Mikola Statkevitch, purge également une peine pour une manifestation non-autorisée, annulant de facto sa candidature à la présidentielle [3]. Enfin, Valery Tsepkalo, entrepreneur et politicien, s’est vu refuser sa place dans la course par un soi-disant manque de signatures pour parrainer sa candidature — la Commission électorale ne lui a reconnu que 80 000 signatures. Les candidats qui faisaient ainsi le plus de compétition à Loukachenko ont été mis de côté par le pouvoir, favorisant une nouvelle fois ses chances de remporter le scrutin.

“Écraser le cafard”, campagne efficace pour l’ancien candidat Sergueï Tikhanovski (© DW.com)

La question reste de savoir où iront les votes qui auraient dû être attribués aux candidats qui n’ont pu se présenter, dans un contexte où les manifestations et les rassemblements contestataires sont au maximum de ce que l’ancienne république soviétique n’a jamais connu [9]. Il faut dire que la gestion de la pandémie — ou plutôt, l’absence de gestion — n’a pas augmenté la popularité du président. Pour la première fois depuis plus de deux décennies au pouvoir, la passivité du président est fortement contestée car visible : celui qui a été presque directement élu président à vie n’apporte aucune aide lorsque sa population en a le plus besoin. En effet, pour Loukachenko, la Covid-19 tient plus de la psychose que d’une véritable pandémie; et quand bien même, le meilleur moyen pour s’en débarrasser consisterait à boire de la vodka et à jouer au hockey [10]. Aucune aides, assistances ou plans particuliers, donc, pour pouvoir contenir les effets du virus sur sa population. À cela s’ajoute une économie à bout de souffle, qui impacte principalement le pouvoir d’achat des foyers. De cette manière, entre les records de nombre de signatures récoltées par Babaryko, le mécontentement populaire croissant contre le pouvoir actuel et un contexte sanitaire affaiblissant le peuple, les contestations ne semblent plus être passagères. S’il paraît de plus en plus évident que Loukachenko penche vers un sixième mandat, les revendications et les manifestations populaires, quant à elle, ne témoignent pas d’un apaisement social.

Quel rôle joué par l’Europe ?

L’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) a vivement dénoncé le manque de transparence du processus de sélection des candidats à l’élection [2]. Les instances européennes ont vivement montré leur désapprobation quant à cette répression, d’autant plus qu’il s’agit d’une violation du Partenariat oriental, comme l’a rappelé la présidente de la Commission européenne Ursula Von der Layen lors de leur dernier sommet, qui s’est tenu virtuellement, pour notamment évoquer le contexte de crise sanitaire [11]. Le Partenariat oriental a en effet pour vocation de renforcer l’association politique et l’intégration économique entre l’Union européenne (UE) et six autres pays d’Europe de l’Est et du Caucase du Sud : l’Arménie, l’Azerbaïdjan, le Bélarus, la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine. Volet spécifique de la Politique européenne de voisinage, ce partenariat vise notamment à atteindre plusieurs standards démocratiques selon la logique de conditionnalité habituelle de l’UE : établissement d’un État de droit et d’un meilleur système de gouvernance, respect des libertés individuelles et des droits humains et lutte contre la corruption, entre autres. La Commission européenne ayant publié le 18 mars dernier ses futurs projets pour le Partenariat oriental, les agissements du Bélarus à l’issue du scrutin d’août font partie des préoccupations européennes [12]. Mais même si l’UE met au centre de ses exigences l’abolition de la peine de mort de la part du Bélarus pour l’amélioration de leurs relations, il est vrai également que l’attention européenne est principalement portée vers la résolution du conflit ukrainien; en 2016, l’UE a levé l’ensemble des sanctions qu’elle avait imposé au pays car les élections de 2015 s’étaient relativement bien passées, le Bélarus faisant profil bas dans le contexte de la guerre en Ukraine [13]. Le rétablissement d’un État respectant les droits humains au Bélarus ne semble ainsi plus être vraiment une priorité pour l’Europe.

Le président actuel, Alexandre Loukachenko (© Reuters.com)

Malgré une attitude se voulant détachée du continent européen, Minsk tient pourtant à ses relations avec l’UE, ayant renoncé d’être l’éternel soumis à la Russie au profit d’un rapprochement avec l’Union [14]. Mais l’ambiguïté de la position de Loukachenko n’a pas permis d’atteindre les objectifs fixés par le Partenariat oriental, le président n’ayant jamais été particulièrement convaincu de cette conditionnalité. Quand des révolutions sociales et politiques ayant mené à certaines avancées internes ont touché quatre des six États inclus dans le Partenariat oriental (Ukraine, Moldavie, Arménie et Géorgie), le Bélarus a renforcé sa sécurité pour contenir ces mouvements, geste contradictoire quant aux attentes européennes sur le plan des libertés individuelles. D’un autre côté, le pays s’est désigné pour porter le Format Normandie, groupe de négociations censé gérer la crise du Donbass depuis 2014. Mais les relations UE-Bélarus continuent d’être ponctuées par des sanctions à l’encontre de Minsk, le pays ne respectant pas ses engagements — notamment au-travers de l’organisation de ses élections [13]. Il faut donc attendre le 9 août prochain pour connaître la réaction européenne en fonction du résultat des élections. Moscou, de son côté, ne semble pas vraiment investie dans la campagne, très occupée par le référendum de juin.

Même s’il semble pour le moment difficile de voir un autre candidat prendre la place de Loukachenko, un certain levier contestataire semble être en marche en Bélarus. La situation interne est plus que jamais révélatrice d’un malaise social face au pouvoir actuel, malaise encouragé par un appui occidental pour mettre fin au mandat de Loukachenko. Certains voient une fenêtre d’opportunité pour que le Bélarus fasse la Révolution de couleur qu’elle n’a jamais eue. Mais une chose est sûre : le pouvoir du président actuel est plus fragile que jamais aux yeux de son peuple. Et cela est très significatif pour l’avenir du pays.

Bibliographie

[1] JEGELEVICIUS, Linas. 2020. « Belarus presidential election: Will the lights go out on Lukashenko in 2020 ? » (juin 2020). En ligne : https://www.euronews.com/2020/06/12/belarus-presidential-election-will-the-lights-go-out-on-lukashenko-in-2020

[2] VIASNA. 2020. « EU deplores ‘arbitrary exclusion of candidates’ in Belarus election » (juillet 2020). En ligne : http://elections2020.spring96.org/en/news/98246

[3] AFP. 2020. « Bélarus : arrestation d’un opposant qui voulait défier Loukachenko à la présidentielle » (juin 2020). En ligne : https://www.la-croix.com/Belarus-arrestation-opposant-voulait-defier-Loukachenko-presidentielle-2020-06-18-1301100547

[4] VIASNA. 2011. « Final HRD Monitoring Report on Presidential Election in Belarus » (février 2011). En ligne : http://spring96.org/en/news/41257

[5] VIASNA. 2015. « Elections process did not meet a number of key international standards for democratic and free elections » (octobre 2015). En ligne : http://elections2015.spring96.org/en/news/80734

[6] DELORME, Sandrine. 2020. « Un nouveau candidat à la présidentielle arrêté au Bélarus, le rappel à l’ordre de l’UE » (juin 2020). En ligne : https://fr.euronews.com/2020/06/19/un-nouveau-candidat-a-la-presidentielle-arrete-au-belarus-le-rappel-a-l-ordre-de-l-ue

[7] LE MONDE AVEC AFP. 2020. « Des dizaines d’arrestations en Biélorussie à l’approche de l’élection présidentielle » (juin 2020). En ligne : https://www.lemonde.fr/international/article/2020/06/20/des-dizaines-d-arrestations-en-bielorussie-a-l-approche-de-l-election-presidentielle_6043588_3210.html

[8] DONSKY, Bruno. 2017. « Loukachenko, Biélorusse glacial » (août 2017). En ligne : https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/loukachenko-bielorusse-glacial_1932896.html

[9] RUST, Maxim et Yahor AZARKEVICH. 2020. « Presidential Election in Belarus: Who is participating in the race ? » (juillet 2020). En ligne : https://neweasterneurope.eu/2020/07/15/presidential-election-in-belarus-who-is-participating-in-the-race/

[10] SHKLIAROV, Vitali. 2020. « Belarus. Who will win ? » (juillet 2020). En ligne : https://neweasterneurope.eu/2020/07/02/belarus-who-will-win/

[11] CONSEIL EUROPÉEN. 2020. « Eastern Partnership leaders’ video conference, 18 June 2020 » (juin 2020). En ligne : https://www.consilium.europa.eu/en/meetings/international-summit/2020/06/18/

[12] CONSEIL EUROPÉEN. 2020. « Eastern Partnership ». En ligne : https://www.consilium.europa.eu/en/policies/eastern-partnership/

[13] WILSON, Andrew. 2020. « An election in Belarus : How the West could support a marginalised opposition » (juillet 2020). En ligne : https://www.ecfr.eu/article/commentary_an_election_in_belarus_how_the_west_could_support_a_marginalised

[14] TITARENKO, Larissa. 2018. « Belarus and the European Union : From Confrontation to Dialogue » (février 2018). CSE Working Papers 18.

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