La Russie et les énergies renouvelables : entre risques et opportunités

Parc éolien dans l’Oblast de Mourmansk (Crédit: Dan Raustadt / Flickr)

La dernière année a été marquée par la pandémie de la COVID-19 et les nombreux bouleversements qu’elle a causés à l’échelle mondiale. Alors que les vagues de contagion se succèdent, et que des mesures de confinement ont été imposées dans divers pays, les économies nationales ont été durement frappées par le ralentissement économique et les nombreux coûts associés à la lutte contre la COVID-19. Afin d’éviter des conséquences socioéconomiques catastrophiques, les gouvernements élaborent d’ambitieux plans de relance nationaux. Dans ce contexte, plusieurs profitent de ce choc systémique pour repenser leurs investissements et accélérer leur transition vers une croissance plus durable. En effet, si la notion de lutte aux changements climatiques était déjà présente dans les discours des élites politiques depuis plusieurs années, de nombreux pays ont récemment dévoilé des plans de relance verte sans précédent, dans le but de stimuler une croissance économique à faible intensité de carbone, basée sur l’innovation et le développement des énergies renouvelables. Alors que son économie dépend largement de l’exportation d’hydrocarbures, comment la Russie se positionne-t-elle face à cette transition énergétique, et quelles en sont les implications futures?

Une transition qui s’accélère

Alors que les impacts des changements climatiques se concrétisent de plus en plus à travers le monde et que non moins de 183 pays ont ratifié l’Accord de Paris reconnaissant l’urgence de lutter contre le réchauffement planétaire[1], plusieurs États dévoilent des plans d’action en matière de décarbonisation et de développement d’énergies renouvelables. Si l’ex-président Donald Trump a quelque peu freiné le mouvement en retirant les États-Unis de l’Accord de Paris, l’élection de Joe Biden constitue un spectaculaire retour du balancier. Le nouveau président avait déjà annoncé un plan climatique de 2 000 milliards de dollars durant la campagne électorale[2], et a décrété la réintégration de son pays dans l’Accord de Paris dès son premier jour à la Maison-Blanche, se positionnant comme un leader mondial en matière de lutte aux changements climatiques. Le Royaume-Uni a récemment annoncé un plan environnemental devançant à 2030 l’interdiction de vente de nouveaux véhicules à essence et visant à stimuler la production d’énergies renouvelables[3]. L’Union européenne, pour sa part, a annoncé à l’été 2020 un plan de relance économique verte de 550 milliards d’euros[4]. La Chine, premier importateur de pétrole russe[5], a récemment renforcé ses objectifs de réduction d’émissions de GES pour 2030 et réitéré sa volonté d’atteindre la carboneutralité avant 2060[6]. Même si les hydrocarbures demeureront sans doute une source d’énergie incontournable pour plusieurs années à venir, la tendance vers la diversification énergétique et le développement des énergies renouvelables se concrétise et la diminution de la demande mondiale en hydrocarbures semble inévitable[7] (BP 2020).

Alors que les grandes compagnies pétrolières comme Royal Dutch Shell et Total investissent eux-mêmes de plus en plus dans les énergies vertes[8], Moscou persiste dans le développement de son secteur pétrolier et semble concevoir les énergies renouvelables plutôt en termes de risque que d’opportunité[9]. L’économie russe dépend largement du prix du pétrole[10], et la baisse des prix occasionnée par la crise de la Covid-19 a certainement fragilisé davantage la position de la Russie. La volonté affichée par plusieurs des plus importants clients d’énergie fossile russe, dont la Chine et l’Union européenne de réduire significativement leurs émissions de GES est susceptible d’avoir un double impact sur la Russie. D’une part, la réduction du volume des exportations d’hydrocarbures russes, et d’autre part, de contribuer à la baisse de la demande au niveau mondial, ayant pour conséquence de maintenir les prix à un niveau relativement bas. Les hydrocarbures constituant plus de la moitié de ses revenus budgétaires nationaux[11], la vitesse de la transition mondiale vers des sources d’énergie renouvelable et la capacité de la Russie à développer et à exploiter celles-ci seront sans doute des facteurs déterminants pour son économie dans les décennies à venir.

Une opportunité à saisir?

Après avoir été un précurseur dans l’exploitation d’énergies renouvelables durant quelques décennies du siècle dernier, l’URSS a finalement choisi de se concentrer sur l’exploitation de combustibles fossiles et de l’énergie nucléaire, activité très accessible et rentable pour le pays[12]. Les importants revenus générés par l’exportation d’hydrocarbures et la prépondérance de leur utilisation à travers le monde ont largement encouragé les entreprises et les agences gouvernementales russes à miser sur ce secteur notamment par l’investissement à long terme de larges sommes dans des infrastructures de transport et d’exploitation[13], créant une importante dépendance structurelle. Par ailleurs, le fait que le secteur des hydrocarbures ait largement contribué à la réémergence de la Russie sous Vladimir Poutine, et que plusieurs de ses proches s’y soient vus attribué des positions-clés très lucratives[14] sont des éléments qui contribuent à expliquer l’emphase que le régime met sur cette industrie, ainsi que sa réticence à investir dans des sources d’énergie alternatives considérées comme autant de menaces potentielles au modèle établi.

En plus de constituer une source de revenus vitale pour l’État russe, l’exportation de pétrole et de gaz naturel s’avère être un important outil de politique étrangère. La dépendance relative de plusieurs États aux hydrocarbures russes, notamment dans les espaces postsoviétique et européen, lui confère un levier d’influence sur la zone clé de l’Étranger proche et lui permet de se maintenir en tant que puissance régionale[15]. Cette capacité d’exportation d’hydrocarbures donne également à la Russie un atout dans ses négociations avec l’Europe malgré les tensions qui s’accumulent depuis plusieurs années dans leurs relations. Ce levier de pouvoir est évidemment très précieux pour la Russie et sa volonté de l’entretenir est compréhensible. Toutefois, une éventuelle baisse de la demande européenne en énergies à forte émission de carbone implique non seulement une baisse des revenus, mais aussi une baisse de l’influence relative de la Russie en termes géopolitiques.

La négligence des autorités gouvernementales russes dans l’élaboration d’une stratégie de production d’énergies propres à grande échelle ne signifie pas que de telles initiatives ne sont pas adoptées ailleurs dans le monde. En plus d’éviter un retard relatif dans les capacités d’exploitation des énergies renouvelables, la mise en place d’une stratégie d’adaptation énergétique présente son lot d’opportunité pour la Russie. En ce sens, la taille de son territoire lui offre deux avantages comparatifs notoires. L’immensité du territoire russe et sa variété climatique offrent un important potentiel de développement de plusieurs types d’énergies, telles que l’énergie éolienne dans les régions du Nord-Est et l’énergie solaire au Sud, en plus de pouvoir développer encore davantage son réseau hydroélectrique[16]. De plus, la position géographique de la Russie lui confère une portée commerciale avantageuse, étant à la fois à proximité du marché européen et d’importants marchés est-asiatiques comme la Chine, la Corée du Sud et le Japon. Par ailleurs, la production d’énergies renouvelables pourrait contribuer à l’autonomie énergétique de plusieurs régions rurales et éloignées au sein du pays, permettrait d’éviter l’inefficace et coûteux transport des hydrocarbures pour alimenter ces régions, et aiderait leur développement en y créant des emplois[17].

Plusieurs contraintes structurelles rendent la diversification énergétique complexe pour la Russie. Néanmoins, la volonté affichée par plusieurs importants importateurs d’hydrocarbures russes d’accélérer leur transition vers l’utilisation de sources d’énergie à faibles émissions de carbone constitue un risque important pour la Russie. Alors que plusieurs pays annoncent des plans de relance économique axés sur le développement de sources d’énergies vertes, l’impact de ces initiatives sur la consommation réelle des combustibles fossiles reste à être déterminé. Les hydrocarbures ne cesseront pas d’être utilisés du jour au lendemain, mais une négligence prolongée des autorités russes envers le développement d’énergies renouvelables pourrait entraîner d’importantes conséquences économiques et politiques à long-terme pour le pays et pour son influence relative à l’international.

Sources

[1] UNFCCC (2020). Accord de Paris — État des ratifications. En ligne. https://unfccc.int/fr/node/513 (page consultée le 28 décembre 2020).

[2] Glueck, K. & Friedman, L. (2020). Biden Announces $2 Trillion Climate Plan. New York Times, Juillet, 14. https://www.nytimes.com/2020/07/14/us/politics/biden-climate-plan.html

[3] Harrabin, R. (2020). Ban on new petrol and diesel cars in UK from 2030 under PM’s green plan. BBC, Novembre, 18.

https://www.bbc.com/news/science-environment-54981425

[4] Abnett, K. & Green, M. (2020). EU makes world’s biggest ‘green recovery’ pledge — but will it hit the mark? Reuters, Juillet, 22.

https://www.reuters.com/article/us-eu-summit-climate-change-idUSKCN24N231

[5] Statista (2020). Export value of crude oil from Russia in 2019, by major country of destination. Statista, https://www.statista.com/statistics/1100591/russia-main-crude-oil-export-destinations/

[6] Climate Action Tracker (2020). China: country summary. Climate Action Tracker. https://climateactiontracker.org/countries/china/

[7] British Petroleum (2020). BP Energy Outlook 2020. British Petroleum. https://www.bp.com/en/global/corporate/news-and-insights/press-releases/bp-energy-outlook-2020.html

[8] Glazunova, L. (2020). Greener vibes from the EU’s energy markets could leave Russia in the cold. RIDDLE Russia. https://www.ridl.io/en/greener-vibes-from-the-eu-s-energy-markets-could-leave-russia-in-the-cold/

[9] Kokorin, A. & Korppoo, A. (2017). Russia’s Ostrich Approach to Climate Change and the Paris Agreement. Center for European Policy Studies 2017 (40) : 1–12.

[10] Ponka, H. & Zheng, Y. (2019). The role of oil prices on the Russian business cycle. Research in International Business and Finance 50 (December) : 70–78.

[11] Tynnkynnen, V. P. (2020). Could Russia Embrace an Energy Transition? Current History 119 (819) : 270–274.

[12] Lanshina, T. A., Laitner, J., Potashnikov, V., Barinova, V. (2018). The slow expansion of renewable energy in Russia: Competitiveness and regulation issues. Energy Policy 120 (septembre) : 600–609.

[13] Tynnkynnen, V. P. (2020). Could Russia Embrace an Energy Transition? Current History 119 (819) : 270–274.

[14] OCCRP (2017). Putin and the Proxies. Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP). En ligne. https://www.occrp.org/en/putinandtheproxies/

[15] Newnham, R. (2011). Oil, carrots, and sticks: Russia’s energy resources as a foreign policy tool. Journal of Eurasian Study 2 (2) : 134–143.

[16] Overland, I. & Kjaernet, H. (2009). Russian renewable energy: The potential for international cooperation. Routledge, Londres.

[17] Lanshina, T. A., Laitner, J., Potashnikov, V., Barinova, V. (2018). The slow expansion of renewable energy in Russia: Competitiveness and regulation issues. Energy Policy 120 (septembre) : 600–609.

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