Les analyses du RBDH
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10 min readMar 29, 2018

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Une analyse de Rob Kaelen de la Plate-forme mineurs en exil, sur base de réflexions menées au sein du groupe de travail « Logement ».

En 2015, un nombre jamais vu de mineurs étrangers non accompagnés sont arrivés en Belgique après avoir fui leur pays. Ces enfants, qui arrivent sans leur famille, se retrouvent, après leur parcours d’accueil, à devoir trouver un logement sur le marché locatif privé. Un vrai parcours du combattant.

Suite aux divers conflits ayant frappé l’Afrique et le Moyen-Orient, nous avons pu constater ces dernières années une augmentation considérable du nombre de réfugiés cherchant un asile sur le territoire belge[1]. Une partie de ces réfugiés sont des enfants qui arrivent en Belgique sans parent ou tuteur légal. On parle dans ce cas de mineurs étrangers non accompagnés (ou, en bref, de MENA). Une fois qu’ils atteignent la majorité, on parle d’ex-MENA.

En 2015, un terme qui revenait souvent dans les médias et dans la bouche des politiques était « crise de l’accueil », notamment pour les MENA. En effet, le nombre de mineurs ayant demandé l’asile en Belgique avait également augmenté de manière spectaculaire : il y a eu en 2015, 3.099 demandes d’asile de MENA, contre seulement 486 en 2014[2]. Nous constatons que celle-ci est graduellement en train de se transformer en « crise du logement ». En effet, une partie de ces mineurs obtiennent une reconnaissance en Belgique, ce qui veut dire qu’ils ont le droit de rester dans notre pays. Toutefois, après leur parcours d’accueil, ces enfants ou jeunes adultes se retrouvent confrontés à une difficulté majeure : trouver un logement.

Or, nous savons que sur le marché locatif actuel, il est difficile pour n’importe qui de trouver un logement abordable. En plus des problèmes auxquels sont confrontés d’autres couches de la population (discrimination, manque de logements sociaux, etc.), viennent s’ajouter pour les MENA et ex-MENA des difficultés supplémentaires liées à leur vulnérabilité, leur âge et leur parcours.

Lorsqu’un MENA arrive en Belgique et est signalé en tant que mineur, il a immédiatement accès au parcours d’accueil. Ce parcours d’accueil est organisé en 3 phases, chacune étant indispensable pour l’intégration et le développement du jeune. La première phase de l’accueil se déroule dans les Centres d’Observation et d’Orientation (COO). La durée de séjour dans ces centres collectifs est de 15 jours, renouvelable une fois. À l’issue de ce séjour, le MENA est en principe transféré dans une structure d’accueil la plus adéquate. Il peut s’agir de centres d’accueil collectifs de Fedasil (ou de partenaires tels que la Croix-Rouge) mais également de structures gérées par l’aide à la jeunesse proposant un accueil plus spécialisé et adapté à certains profils. C’est la deuxième phase dite de stabilisation. Les jeunes vivent dans des groupes de vie, sont accompagnés dans leur scolarité et préparés progressivement à plus d’indépendance. La troisième et dernière phase de l’accueil (préparation à l’autonomie) est organisée via les Initiatives Locales d’Accueil (ILA), gérées en grande majorité par les CPAS. Lors de cette phase, le jeune vit en autonomie (donc de manière individuelle) tout en étant accompagné par des services spécialisés. Cette phase joue donc un rôle fondamental pour permettre aux MENA d’apprendre comment vivre par eux-mêmes en Belgique.

Lorsque ce parcours d’accueil a été conçu, l’idée était que les jeunes passent d’une phase à la suivante en fonction de leur degré d’autonomie. Les jeunes pouvaient passer à la phase individuelle dès qu’ils avaient 16 ans, et cette phase pouvait durer jusqu’à leurs 18 ans. La durée des phases 2 et 3 pouvait varier considérablement d’un jeune à l’autre, vu qu’elle dépendait de l’évaluation que faisaient les accompagnateurs des centres de l’autonomie des jeunes. La phase 3 pouvait donc durer jusqu’à deux ans pour une partie des jeunes.

Malheureusement, l’augmentation des arrivées de MENA a poussé Fedasil à modifier les règles de passage d’une phase à l’autre de ce parcours. En effet, l’accueil individuel demandant beaucoup plus de moyens, le gouvernement a décidé de privilégier l’accueil collectif, et donc la deuxième phase de l’accueil. Le nombre de places en phase individuelle a donc très fortement diminué ces dernières années, menant à une liste d’attente importante. Fedasil décide alors que les jeunes ne passent à la phase individuelle que lorsqu’ils obtiennent une reconnaissance. Ceci a retardé le passage en phase 3 pour un grand nombre de jeunes, et par conséquent raccourci leur temps passé en phase individuelle. En outre, Fedasil a décidé que les jeunes ne pouvaient être sur liste d’attente pour une place individuelle qu’à partir de 17 ans. Par conséquent, la phase individuelle est encore raccourcie — dans beaucoup de cas, elle ne dure plus que 6 mois — rendant de facto impossible un travail satisfaisant sur leurs capacités à se débrouiller seuls avant qu’ils ne se retrouvent sur le marché locatif privé.

La colocation est un moyen de logement qui est de plus en plus utilisé, surtout dans les grandes villes comme Bruxelles, et parmi les jeunes[3]. Une raison souvent évoquée pour le choix de ce mode d’habitation est l’avantage au niveau financier. Toutefois, les gens qui bénéficient de revenus de remplacement, tels que les allocations de chômage ou le revenu d’intégration sociale prennent un risque lorsqu’elles optent pour la colocation. En effet, ces personnes pourraient voir leurs allocations ou aides sociales fortement diminuées si elles optent pour la colocation, car elles risquent d’être considérées comme cohabitantes, et non isolées.

Les MENA sont mineurs, ils sont donc dans l’obligation scolaire ; leur seul moyen de subvenir à leurs besoins est de recevoir une aide du CPAS. Par conséquent, la colocation n’est généralement par une option pour eux. Dans les faits, s’ils sont considérés comme cohabitants, leur aide sociale passe de 892.70€ à 595.13€. Pour information, en 2016, le loyer moyen d’un studio était de 510 €, le loyer moyen d’un bien comportant deux chambres était de 710 €[4]. Ceci montre bien l’enjeu de pouvoir vivre en colocation pour ces jeunes.

La situation est rendue plus compliquée par le fait que les communes ont des pratiques très différentes en la matière. Les critères pris en compte divergent fortement d’un CPAS à l’autre, ou même entre travailleurs d’un même CPAS. En recherchant un logement dans une certaine commune, les personnes qui accompagnent les MENA et ex-MENA ne savent donc jamais s’il peut être utile de se tourner vers la possibilité d’une colocation.

Le nombre de nouveaux logements à Bruxelles augmente de manière constante, et de manière plus rapide que le nombre de ménages[5]. Pourquoi y a-t-il donc autant de ménages qui ont du mal à trouver un logement ? La réponse ne réside pas dans le nombre de logements disponibles, mais bien dans le loyer qui est demandé pour ces logements. En effet, si on part du principe que les ménages peuvent dépenser 25% de leur revenu pour le loyer, alors les 40% des ménages les plus pauvres n’ont accès qu’à 1% du parc locatif bruxellois. Notons qu’en 2004, un logement sur 10 était encore accessible pour ces ménages, et en 1997 même un logement sur 4[6]. Ceci montre bien qu’une augmentation globale du nombre de logements à Bruxelles n’implique pas que ces logements sont abordables pour toutes les couches de la population. Vu la hauteur des revenus des MENA et ex-MENA, on comprend vite qu’ils n’auront pas beaucoup de choix dans la recherche de leur logement.

De même, la longue liste d’attente pour les logements sociaux[7] a pour conséquence que le logement public est rarement considéré comme une réelle solution par les professionnel∙le∙s qui accompagnent les MENA.

Malheureusement, beaucoup de gens qui cherchent un logement sur le marché locatif privé sont victimes de discrimination. Vu que la demande de logements abordables pour les ménages à revenus modestes ne cesse de croitre[8], les propriétaires ont de plus en plus de candidats pour un même logement, et peuvent se permettre des critères élevés.

Dans ce contexte, le MENA est évidemment loin d’être le candidat idéal : en plus d’être étranger et de dépendre du CPAS, il est mineur. Les propriétaires se posent beaucoup de questions sur cette minorité. Ils sont peu informés et ne savent pas, par exemple, qu’un mineur a le droit de signer un contrat de bail.

Nous avons énuméré plusieurs obstacles auxquels font face les MENA et ex-MENA et les personnes qui les accompagnent dans la recherche d’un logement. Quelles pistes de solutions proposons-nous pour lutter contre ces obstacles ?

Investir dans l’accueil de ces jeunes

Premièrement, il faut que le gouvernement fédéral et les CPAS investissent de manière durable et structurelle dans un accompagnement et un accueil des MENA qui soient de qualité. Il faut revenir au parcours d’accueil tel qu’il est prévu dans la loi : il faut que chaque jeune passe suffisamment de temps dans chaque phase, que son transfert d’une phase à la suivante soit basé sur son développement personnel et sur son niveau d’autonomie, et non sur son titre de séjour ou son âge. Il faut donc que les CPAS ouvrent de nouvelles ILA pour MENA sur le territoire de leur commune. De plus, il faut que l’accompagnement puisse continuer au-delà des 18 ans. La phase 3 ne doit prendre fin que lorsque le MENA a acquis, selon le tuteur et les intervenants sociaux, les compétences et connaissances nécessaires à la vie en autonomie.

Rendre possible la colocation pour les MENA

La colocation est un moyen de plus en plus utilisé à Bruxelles, mais qui reste inaccessible pour les MENA et ex-MENA, comme pour d’autres populations précarisées. Il faut établir des critères clairs qui permettent à ces jeunes de vivre en colocation tout en bénéficiant d’aides sociales à un taux isolé. C’est uniquement ce taux isolé qui permet à une personne de vivre dignement dans une habitation salubre.

Investir dans le logement à Bruxelles, et s’assurer que ce logement soit abordable

Une réelle amélioration de l’accès au logement de ces jeunes devra nécessairement passer par une augmentation du parc locatif bruxellois et ce, autant dans le privé que dans le public. Le gouvernement bruxellois doit prendre ses responsabilités, et trouver des solutions créatives, afin d’agrandir son parc locatif. Ceci peut passer par une lutte améliorée contre le vide locatif et la construction de nouveaux bâtiments. Nous pensons également qu’il est primordial que les pouvoirs publics s’associent au secteur privé pour proposer des projets mixtes, des bâtiments comportant à la fois des logements privés et des logements sociaux. Le gouvernement doit montrer que le logement social est en effet une priorité pour lui.

Informer et sensibiliser les propriétaires potentiels

Il faut également faire un travail de conviction au niveau des propriétaires. Nous pouvons comprendre les réticences qu’ont certains propriétaires à l’idée de louer à une personne mineure, mais souvent le problème réside surtout dans le manque d’informations. C’est pourquoi il est primordial d’informer, sensibiliser et rassurer les propriétaires à propos des MENA et ex-MENA, particulièrement vulnérables.

Un grand nombre de MENA vont sortir du réseau d’accueil de manière imminente. Ces jeunes, après un parcours marqué par les ruptures, cherchent avant tout de la stabilité. Tout ce qu’ils et elles demandent, c’est de pouvoir aller à l’école et ensuite de pouvoir travailler afin de subvenir à leurs besoins. Dans ce projet, un logement salubre et abordable est évidemment indispensable.

Des solutions existent pour cette problématique, mais si l’on veut éviter qu’un nombre important de jeunes MENA et ex-MENA se retrouvent dans la rue, il est important que les différents acteurs se retrouvent autour d’une même table. En effet, une concertation entre gouvernements, CPAS, associations spécialisées et acteurs privés est absolument nécessaire si nous voulons lutter contre la crise du logement qui frappe ces jeunes.

Cette publication est éditée à l’aide de subsides de la Région de Bruxelles-Capitale, Insertion par le logement et avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

[1] Selon les chiffres du Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides, 44.760 personnes ont demandé l’asile en Belgique en 2015, contre 22.848 en 2014

[2] Statistiques d’asile rapport mensuel du commissariat général aux réfugiés et aux apatrides

[3] L’observatoire des loyers

[4]L’observatoire des loyers

[5] L’observatoire des loyers

[6] L’observatoire des loyers

[7]Logement social : chronique d’une décennie pour presque rien

[8] Christian Dessouroux, Rachida Bensliman, Nicolas Bernard, Sarah De Laet, François Demonty, Pierre Marissal et Johan Surkyn, « Le logement à Bruxelles : diagnostic et enjeux », Brussels Studies [En ligne], Notes de synthèse, n° 99, mis en ligne le 06 juin 2016, consulté le 20 mars 2018.

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