République Centrafricaine: histoire d’un succès

benoit.carpentier
Red Cross Red Crescent stories
11 min readMay 2, 2016

Le paludisme est la première cause de maladie et de mortalité dans le pays, avec 40% des hospitalisations et des décès. Le VIH/sida et la tuberculose sont également des enjeux majeurs de la santé publique; on estime à 4,9% la part de la population séropositive au VIH et à 520 cas pour 100 000 habitants la prévalence de la tuberculose.

En 2013, au plus fort de la crise, la Croix-Rouge centrafricaine a lancé, en partenariat avec le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme et la FICR, un projet visant à lutter contre ces maladies meurtrières et à mettre en place un système national de surveillance basé sur la téléphonie mobile pour compenser l’effondrement des mécanismes de veille sanitaire causé par plusieurs années de conflit.

L’estimation initiale quant au nombre d’établissements de soins qui seraient supportés dans les efforts de prévention du paludisme était de 166. 745 ont été touchés. Au cours des deux années écoulées, les volontaires de la Croix-Rouge centrafricaine ont distribué la plupart des 2,1 millions de moustiquaires imprégnées d’insecticide à longue durée d’action qui assurent aujourd’hui une protection vitale à plus de 60% des habitants du pays (chaque moustiquaire abritant généralement plusieurs membres d’une famille), y compris durant les périodes de violences les plus dramatiques.

Ils ont également procuré à plus de 25 000 personnes séropositives au VIH des traitements antirétroviraux, soit largement plus que l’objectif initial de 18 000 bénéficiaires. »

Grâce à ce programme, la République centrafricaine a pu étendre ses services de santé à un grand nombre de ses citoyens les plus vulnérables, et ce résultat a été obtenu sur fond d’une crise qui a entraîné le déplacement de plus d’un million d’habitants et en a laissé près de 2,1 millions dans un total dénuement, tout en menaçant de porter un coup fatal à un système de santé déjà très affaibli.

Alors que le pays semblait au bord du gouffre, les volontaires de la Croix-Rouge sont parvenus à toucher les personnes les plus vulnérables et à améliorer de façon spectaculaire leurs conditions d’existence. Cela illustre non seulement le courage et le dévouement de ces individus, mais aussi la capacité des organisations locales et de leurs membres à opérer efficacement dans des contextes où aucun autre acteur ne pourrait le faire.

La Croix-Rouge centrafricaine compte plus de 12 000 volontaires qui assurent un large éventail d’activités à travers tout le territoire, allant des premiers secours aux services d’ambulances, en passant par les distributions de secours, l’approvisionnement en eau et l’assainissement, l’éducation pour la paix, les inhumations et le soutien psychosocial. Beaucoup d’entre eux subissent d’énormes tensions et s’exposent à des risques considérables dans l’accomplissement de leur mission humanitaire.

Edith: Un combat quotidien pour nourrir ses enfants

Edith a 40 ans. La première chose qui frappe, en l’observant, c’est son air grave, que dissipe toutefois par intermittence un sourire lumineux.

Mais les occasions de sourire sont bien rares.

Edith a été diagnostiquée séropositive au VIH en 2007, lors d’une visite de contrôle de grossesse. Elle attendait son sixième enfant, un garçon qu’elle a baptisé Giovanni — comme le médecin qui s’est occupé du nouveau-né.

Les jours qui ont suivi la mauvaise nouvelle de son infection par le virus ont été difficiles. Edith vivait alors seule avec ses cinq premiers enfants, son mari étant décédé trois ans plus tôt. Elle ne comprenait pas comment cela avait pu lui arriver, ayant toujours été fidèle.

Quoi qu’il en soit, les dures réalités de l’existence n’autorisaient guère les états d’âme, aussi décida-t-elle rapidement de se soigner en suivant un traitement au centre spécialisé de Bangui, où elle reçut conseils et soutien psychologique.

Hélas, Giovanni, aujourd’hui âgé de 8 ans, a lui aussi été diagnostiqué séropositif au VIH. Mère et fils sont actuellement sous traitement antirétroviral dispensé gratuitement au centre et à la clinique de pédiatrie.

A la question de savoir quel est son plus gros problème, Edith répond sans la moindre hésitation: la nourriture.

Ayant donné le jour dans l’intervalle à un autre enfant, elle se retrouve désormais avec sept bouches à nourrir en plus d’elle-même. Elle ne dispose pour ce faire que du maigre revenu de la vente de farine de manioc. Le sort de Giovanni est particulièrement préoccupant, car une bonne alimentation est cruciale pour limiter les effets secondaires du traitement et en optimiser l’efficacité.

Edith a eu un autre compagnon ces dernières années, le père de la benjamine âgée de 4 ans. Quand on lui demande s’ils utilisaient des préservatifs pour leurs rapports sexuels, elle répond par la négative. Son partenaire croyait ne courir aucun risque — c’était son problème à elle, pensait-il. Il l’a quittée voici quelques mois, déclarant qu’il ne pouvait pas continuer de vivre avec une personne dans la situation d’Edith.

Au cours des deux dernières années, dans le cadre de son programme soutenu par le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR) a procuré à plus de 25 000 personnes infectées par le VIH des traitements antirétroviraux.

Suzanne est infirmière au Centre de santé Bédé-Combattant.

Elle a pour tâche d’accueillir les patients et de procéder à l’évaluation initiale de leur état de santé.

Les principales pathologies auxquelles est est confrontée sont les infections respiratoires, la diarrhée, le paludisme et les blessures consécutives à des accidents de la route.

Dans les cas suspects de paludisme, après un test de diagnostic rapide, Suzanne administre un traitement gratuit aux enfants de moins de 5 ans et aux femmes enceintes, particulièrement vulnérables.

Elisé: Un traitement vital interrompu par la guerre

Elisé est originaire de Tembé, une petite ville de République centrafricaine située à 600 km à l’est de la capitale Bangui, tout près de la frontière de la République démocratique du Congo. Il est âgé de 35 ans.

Il y a quatre ans, Elisé a été diagnostiqué séropositif au VIH et mis sous médicament antirétroviral. Quelques mois à peine après le début de son traitement, le pays a sombré dans le conflit et, bientôt, les rares centres médicaux de sa région ont été ravagés et pillés. Du coup, le traitement d’Elisé a été interrompu.

La situation s’est prolongée durant plusieurs mois avec pour résultat une dégradation dramatique de son état de santé. Sans argent et face à l’insécurité croissante qui prévalait partout dans le pays, il lui était impossible de gagner Bangui pour se faire soigner. Ce n’est qu’au bout de deux longues années qu’il a pu enfin se rendre dans la capitale avec une de ses filles, l’autre étant restée à Tembé.

Une fois arrivé à Bangui, la situation ne s’est pas améliorée. Il avait espéré recevoir un soutien de la part de parents vivant dans la capitale, mais ceux-ci l’ont rejeté en apprenant qu’il était séropositif au VIH. Huit mois plus tard, il a été accueilli à titre provisoire chez un de ses frères qui vit à une centaine de kilomètres de Bangui.

Depuis août 2015, Elisé est enregistré au centre de référence pour le VIH où, après de nouveaux tests, il bénéficie de services de conseil et de soutien psychosocial, ainsi que d’un traitement antirétroviral gratuit. En outre, il reçoit des compléments nutritionnels de la part du Programme alimentaire mondial. Mais les deux années passées sans soins appropriés l’ont laissé dans un état de grande faiblesse. Toutes les deux semaines, il prend le car pour couvrir les 100 km qui séparent son lieu de résidence actuel du centre de soins dont dépend aujourd’hui sa survie. Bientôt, heureusement, il devrait pouvoir poursuivre son traitement dans un centre plus proche de son domicile.

Au cours des deux dernières années, dans le cadre de son programme soutenu par le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR) a procuré à plus de 25 000 personnes infectées par le VIH des traitements antirétroviraux.

Mauricette a 34 ans. Elle est mère d’une fille âgée de 15 ans et d’un garçon de 2 ans. Son mari est mort durant les récents troubles.

Diagnostiquée séropositive au VIH en 2008, elle se rend une fois par mois au centre de santé pour recevoir son traitement antirétroviral gratuit.

Elle souffre de nombreux effets secondaires et le manque de nourriture contribue à aggraver encore les choses.

Irène: “Ils m’aident, alors je les aide”

Irène a beaucoup pleuré lorsqu’elle a été diagnostiquée séropositive au VIH en 2009. Elle était alors enceinte de son septième enfant, mais, heureusement, le diagnostic a été posé suffisamment tôt et le bébé n’a pas été infecté.

Depuis, Irène se bat pour survivre. Son mari a succombé en 2010 au sida, ayant refusé de suivre son traitement. Sa fille aînée a 22 ans et c’est à elle qu’il incombe à présent de travailler aux champs pour nourrir la famille, Irène restant au foyer pour veiller sur les petits frères et soeurs.

En janvier 2015, la santé d’Irène a commencé à se dégrader de manière dramatique. Cela faisait alors près de huit mois qu’elle vivait sous un abri de bâches et de sacs en plastique dans un camp de personnes déplacées installé à côté de la piste de l’aéroport de Bangui. Au plus fort de la crise, plus de 30 000 personnes y avaient cherché refuge, vivant dans des conditions extrêmement précaires, avec un accès des plus limités aux soins de santé, à l’eau, à la nourriture et aux installations sanitaires.

Lors d’une visite au Centre de santé de Bédé-Combattant, où Irène va une fois par mois chercher ses médicaments antirétroviraux, on a découvert qu’elle avait contracté la tuberculose. Six mois plus tard, grâce à un suivi rigoureux de son traitement, elle était déclarée guérie.

Aujourd’hui, Irène loge chez sa soeur avec ses six plus jeunes enfants. La famille continue de vivre dans un profond dénuement, mais Irène s’est découverte une nouvelle vocation: elle travaille comme volontaire au centre de santé, s’occupant des tâches administratives pour le compte des patients séropositifs au VIH.

« Je suis venue ici si souvent, pour suivre mon traitement contre le VIH, puis contre la tuberculose, et aussi pour des analyses sanguines et des conseils… A un moment donné, j’étais ici quasiment chaque jour, alors je me suis dis que, plutôt que venir seulement pour recevoir, je pouvais peut-être aussi donner quelque chose moi-même », explique-t-elle.

Les médicaments antirétroviraux et les traitements médicaux d’Irène sont offerts gratuitement dans le cadre d’un programme de la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge soutenu par le Fonds mondial de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme.

Stéphane a 42 ans. Il est père de sept enfants âgés de 4 à 18 ans. Il a été diagnostiqué séropositif au VIH en 2007.

Sa femme était dans le même cas, mais elle a dû rentrer au foyer pour cultiver les champs afin d’assurer la subsistance de la famille. De ce fait, son traitement a été interrompu et elle est décédée en 2014.

Seul l’aîné des enfants va à l’école, les autres restant confinés dans le petit studio loué en ville par Stéphane.

Victoria: “Le problème, ce ne sont pas les femmes, mais le hommes”

Victoria est sage-femme au Centre de santé Bédé-Combattant à Bangui, dont elle dirige le service en charge de la transmission du VIH de mère à enfant. Soutenu par la Croix-Rouge française et la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR) à travers un financement du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, le centre accueille des patients pour des consultations générales, mais également de nombreuses femmes en demande d’assistance pré- et post-natale.

L’une des principales tâches de Victoria consiste à persuader les femmes se présentant pour une première consultation d’effectuer un test de dépistage du VIH dans le cadre des contrôles de routine liés à la grossesse. La situation à cet égard a considérablement évolué au fil des ans; aujourd’hui, peu de femmes refusent le test de dépistage du VIH, signe que les campagnes de sensibilisation menées dans le pays portent leurs fruits.

« Le VIH pouvant être détecté tôt pendant la phase de la grossesse, le nombre des cas de transmission de mère à enfant a baissé de façon spectaculaire », note Victoria. « Le problème », précise-t-elle, « ce ne sont pas les femmes, mais les hommes ».

Quand elle accueille une femme pour une première consultation, après avoir recommandé le test de dépistage du VIH, Victoria demande également que le mari ou partenaire sexuel se fasse lui aussi contrôler.

« En 2015, nous avons reçu 2045 femmes en consultation. Toutes ont été incitées à persuader leurs maris ou partenaires de venir effectuer un test. Seuls 45 hommes se sont présentés! Les hommes se retranchent derrière le statut des femmes. »

Les efforts de sensibilisation semblent efficaces, mais, hélas, beaucoup de femmes continuent de taire leur éventuelle infection à leur entourage, de crainte d’être stigmatisées.

« Souvent, les hommes fuient le foyer en apprenant que leur femme est séropositive, abandonnant par la même occasion leurs enfants qui se retrouvent totalement démunis. C’est la raison pour laquelle tant de femmes choisissent de ne pas prendre le risque en taisant leur statut », commente Victoria.

Les volontaires de la Croix-Rouge centrafricaine mènent des campagnes de sensibilisation sur le VIH et d’autres maladies sexuellement transmissibles. Ils assurent également un soutien psychosocial aux patients qui se rendent dans les centres de santé pour des tests de dépistage et des traitements contre le VIH et la tuberculose.

Sainte est volontaire à la Croix-Rouge centrafricaine. Agée de 29 ans, elle a deux enfants. Elle travaille au Centre de santé Bédé-Combattant à Bangui, dans le cadre des services de laboratoire et de soutien psychosocial.

Sainte fait partie de l’équipe de volontaires qui assure une aide au quotidien aux patients bénéficiant de traitements gratuits contre la tuberculose et le VIH dans le cadre d’un programme du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge soutenu par le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.

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