Passer au virtuel: Quand nécessité fait loi
La semaine dernière, nous vous partagions quelques recommandations générales et des précautions à prendre pour éviter la propagation du coronavirus. Ce sont les annulations forcées et à répétitions d’événements majeurs pour l’industrie comme SxSW, CPH:DOX ou même Cannes qui nous a incités à vous partager ces mises en garde préventives. Aujourd’hui, plus qu’aux précautions, il est venu le temps de l’adaptation. En effet, dans les derniers jours, plusieurs organisations ont cherché des moyens de transformer leur événement pour survivre aux nouvelles conditions imposées par la propagation du COVID-19. Dans cet article, nous recensons quelques alternatives XR permettant de rassembler des personnes (pour les besoins d’une rencontre d’équipe ou un événement culturel) tout en respectant l’impératif de l’isolement préventif.
Par où commencer?
Au-delà des œuvres et expériences XR artistiques (celles que nous vous présentons dans notre série « Portraits XR » par exemple), il existe également une myriade de services pour réunir des groupes plus ou moins importants dans des espaces virtuels. Que ce soit pour un rassemblement de masse à l’échelle internationale, une rencontre d’équipe ou une soirée entre amis, il existe probablement une solution pour répondre à vos besoins. Nos collègues XRMust et Road to VR ont proposé des pistes en recensant les services disponibles, des plus accessibles aux plus poussés. En ce qui nous concerne, voici quelques options intéressantes pour celles et ceux qui voudraient transformer leur événement en un rassemblement virtuel.
Altspace VR
Acquis par Microsoft en 2017, Altspace VR est un service gratuit qui facilite les rencontres dans des espaces virtuels, que ce soit en utilisant un casque VR ou bien à travers une application 2D sur ordinateur Windows. C’est notamment au sein d’Altspace que s’est tenu le sommet international Educators in VR en février dernier (17–22 février 2020). L’événement qui réunissait 170 conférenc.iers.ières sur une durée de 6 jours s’est déroulé dans Altspace devant près de 6000 participant.e.s. Bien qu’il n’était probablement pas le premier événement de la sorte, le sommet Educators in VR fut pensé comme une démonstration de la faisabilité d’un événement totalement virtuel. Dans un texte rédigé suite à la tenue de l’événement, Lorelle VanFossen (co-fondatrice de Educators in VR) expliquait effectivement « L’idée derrière le Sommet International était d’être une preuve de concept. Pouvions-nous le faire? Pouvions-nous réellement créer un colloque international de six jours totalement virtuel, mais aussi: Est-ce que les gens voudraient présenter sur la VR en VR? Qui voudrait assister à une conférence sur la VR en VR? »
Lorelle VanFossen et Daniel Dyboski-Bryant (lui aussi co-fondateur de Educators in VR) expliquent que l’organisation de l’événement a demandé l’aide d’innombrables volontaires, que ce soit pour la mise en place, la modération, ou pour guider le public dans les environnements virtuels hébergés chez Altspace.
Notamment, l’équipe du Sommet dit avoir reçu une aide inestimable (et gratuite) de la part d’Altspace, cruciale pour leur permettre de produire un événement de qualité et d’une ampleur inattendue. Pour sa part, Altspace ne s’est pas fait attendre pour offrir ses services aux événements depuis annulés ou reportés à cause du coronavirus. Dans une communication du 6 mars dernier, l’équipe d’Altspace annonçait du soutien additionnel pour l’organisation de conférences en réalité virtuelle.
Grâce à cette mobilisation, les organisateurs du sommet international Educators in VR ont pu produire l’événement pour une fraction du prix d’un rassemblement traditionnel (on parle de moins de $500) et, surtout, pour une fraction du coût écologique. Dans un article par Charlie Fink pour Forbes, Katie Kelly d’Altspace expliquait avoir estimé une économie de près de 9000 voitures en moins sur les routes pour la durée de l’événement, ainsi que près de huit millions de kilomètres de voyagement: « Que l’on combatte une épidémie, le réchauffement climatique ou le télétravail, il y a beaucoup de choses qu’Altspace VR et d’autres plateformes VR peuvent faire pour aider. »
Or, même sans l’impact écologique des déplacements par avion ou par voiture, il ne faut pas oublier l’énergie consommée par les services infonuagiques essentiels au bon fonctionnement d’un événement virtuel comme celui-ci. Dans un autre article rédigé suite à la tenue de l’événement, les organisateurs expliquaient que les centres de données Microsoft Azure sur lesquels sont fondés les services d’Altspace sont présentement carboneutres depuis 2014 et ont l’ambition de devenirs carbonégatifs d’ici 2030. Ainsi, si les rassemblements virtuels ne sont pas entièrement sans impact écologique, il existe des solutions pour réduire encore plus l’empreinte laissée par un événement hébergé en VR.
Dans son propre article sur le rôle salvateur de la Réalité Virtuelle dans le domaine de l’événementiel, Charlie Fink proposait qu’en vue des transformations amenées par des événements comme Educators in VR, ce n’est pas simplement la technologie, mais bien les gens qui sont l’élément décisif du succès de la VR: « Cette crise est aussi bonne pour la VR, parce que nous devons garder nos distances, mais nous voulons être ensemble. People are the killer app »
Hubs
L’un des soucis principaux pour un événement qui souhaite migrer vers la réalité virtuelle est l’accessibilité. Est-ce qu’en devenant un événement virtuel, on se limite automatiquement à celles et ceux qui possèdent déjà un casque VR? Heureusement, des services comme Hubs de la firme Mozilla sont plus ouverts et peuvent être utilisés avec une variété d’appareils, VR ou non. Plus particulièrement, Hubs est fondée sur l’interface de programmation WebVR (et bientôt WebXR), qui facilite l’accès à des environnements et des applications immersives par l’entremise de fureteurs Web compatibles. En effet, quiconque peut créer sa propre pièce en visitant hubs.mozilla.com à partir d’un ordinateur (Mac ou Windows) ou même d’un téléphone intelligent (iOS ou Android).
Cette facilité d’accès n’empêche pourtant pas d’utiliser Hubs pour des applications plus sérieuses et demandantes. En témoigne l’utilisation que propose d’en faire le congrès annuel de l’ Institute of Electrical and Electronics Engineers (IEEE). Trois semaines avant la tenue de leur événement à Atlanta du 22–26 mars 2020, les organisateurs du congrès IEEE VR ont annoncé un changement de lieu vers des espaces créés dans Hubs. Étonné comme plusieurs autres du changement rapide, Kent Bye (du balado Voices of VR) appuyait tout de même la décision de migrer vers une formule entièrement virtuelle et gratuite. Il s’avère que cette ouverture était la bienvenue, car après moins de deux semaines, les 1500 places disponibles étaient réservées.
Pour faciliter la transition vers la formule virtuelle, Blair MacIntyre et l’équipe d’organisation d’IEEE VR ont mis à disposition des ressources sur Hubs, ainsi qu’un espace Slack permettant de coordonner la diffusion d’information et l’accès aux différents panels entièrement virtualisés. Depuis quelques jours la communauté qui s’est ainsi formée partage des stratégies et travaille à régler les problèmes qui peuvent émerger lors de la transition vers de nouveaux outils et de nouvelles façons de travailler.
L’un des problèmes auxquels celles et ceux qui migrent leurs événements vers la réalité virtuelle devront faire face est le réflexe de vouloir reproduire la structure d’un événement en présentiel: par exemple, une personne qui présente une série de diapositives devant un public immobile et muet. En effet, dans un billet de blogue intitulé « Thoughts on “GDC” in VR », Liv Erickson se disait pleine d’espoir pour un futur proche où nous pourrions utiliser la réalité virtuelle à son plein potentiel. Erickson, qui travaille sur Hubs et qui a co-fondé la AR/VR Academy a récemment émis quelques réserves quant à la facilité de transformer un événement d’importance (comme GDC, E3 et SXSW). Comme bien d’autres, elle espère cependant que Hubs et la réalité virtuelle en général pourront aider à rendre les événements plus ouverts et plus accessibles, tout en étant également moins polluants et moins risqués.
Engage
En même temps que IEEE VR migrait vers Hubs, la conférence annuelle d’HTC, le Vive Ecosystem Conference, se transformait en “Virtual Vive Ecosystem Conference” (dès lors V2EC). Le 6 mars dernier, le président d’HTC Vive Chine, Alvin Wang Graylin, annonçait effectivement que leur événement du 19 mars se déroulerait dorénavant sur Engage, la plateforme de formation et d’enseignement en VR créée par Immersive VR Education. Alors que les trois éditions précédentes de l’événement s’étaient déroulées à Shenzhen, Beijing et Shanghai, cette quatrième édition a pu se dérouler dans l’environnement créé par Engage. Grâce aux efforts d’Engage, l’espace pouvait accueillir jusqu’à cinq mille utilisa.teur.trices.
Comme pour bien d’autres événements, on vante le virage virtuel de V2EC pour l’ouverture qu’il favorise et pour son impact négligeable sur l’environnement. Or, quel est le coût de ces bienfaits? Dans une récente série de tweets sur les événements virtuels, Kent Bye expliquait que l’un des risques du modèle est la difficulté de rencontrer d’autres personnes de manière fortuite.
À cet effet, plusieurs efforts ont été faits pour conserver les avantages principaux des événements traditionnels. L’équipe d’Engage a par exemple travaillé pour mettre en place la possibilité d’entretenir des conversations privées en marge des conférences. L’utilisation d’avatars réalistes et du suivi des mains et de la bouche contribuent eux aussi à faciliter le type d’interaction auquel nous sommes encore habitués.
Notons par ailleurs la possibilité de dévier du modèle de présentation traditionnel: pourquoi présenter une série de diapositives quand on occupe un environnement totalement virtuel? Bien que ce ne soit qu’un début, on peut voir dans l’image ci-dessus comment Engage a permis à V2EC de favoriser la relation que nous pouvons avoir avec des objets dans le contexte virtuel.
Museum of Other Realities
Le Museum of Other Realities (MOR) est une galerie d’art virtuelle, conçue pour héberger en réalité virtuelle des œuvres natives du numérique. Le co-fondateur du MOR, Robin Stethem, a récemment invité les professionnels intéressés à venir héberger leurs événements dans son musée virtuel, qui venait d’ouvrir ses portes la semaine précédente.
Alors que certains comme Diversion Cinema offrent des espaces physiques pour assister à des événements virtuels, l’offre du MOR en partenariat avec Kaleidoscope vise à faciliter la transition d’événements vers l’espace du musée virtuel.
Dans une lettre adressée à la communauté XR, Kaleidoscope et MOR pleuraient la perte d’événements locaux et internationaux, tous essentiels au rayonnement de notre industrie. C’est donc dans un esprit de camaraderie et de communauté que les deux entreprises se sont alliées pour faciliter la tenue d’événements entre les murs du MOR.
En tant que musée virtuel, le MOR est construit pour présenter des œuvres et des expériences artistiques originales et complexes. Lors de sa visite chez Québec/Canada XR en novembre dernier, Robin Stethem présentait les différentes façons de présenter et d’interagir avec des œuvres virtuelles créées sur mesure pour le musée. Il suffit de voir les œuvres déjà présentées au MOR pour s’imaginer comment cela pourrait être adapté aux besoins d’un festival. En effet, la flexibilité de l’espace virtuel permet de s’imaginer qu’il serait possible de construire une salle d’exposition ou de démonstration et permettre aux utilisa.teurs.trices d’expérimenter à leur guise. Ce serait, par le fait même, une réponse pertinente à la problématique liée à l’usage du casque unique et des files d’attente qui en découlent.
Alors que plusieurs œuvres profitaient des espaces qu’on appelle LBE (pour location-based entertainement, par exemple les galeries d’art, arcades, musées, etc.), le MOR ne serait-il pas une des solutions viables et envisageables pour les œuvres qui malheureusement, en ce temps de crise sanitaire, ne bénéficient plus d’une diffusion facilitée par les espaces réels ?
Article écrit par Philippe Bédard en collaboration avec Marine Leparc.