Je me suis fait incuber !

Clément Cousin
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9 min readApr 30, 2015

Il y a 3 ans, j’ai pris le large. Je quittais mes camarades de promo d’école de commerce et une potentielle “carrière” — celle que j’avais pourtant cherchée en m’engageant dans ces études. Je partais monter une “startup”.
Avec 3 associés aussi inconscients que moi, nous rêvions de révolutionner la finance. Une équipe de choc, 2 ‘techos’, 2 ‘biz guys’ — nous voila engagés sur la route de l’entrepreneuriat ;)
Armés d’une expérience proche de zéro, nous comptions sur notre bonne idée pour réussir — bien sûr !

Nous avons commis des erreurs, en commençant par celle-ci : aller chercher des validations, toutes sortes de tampons de la part d’institutions ‘expertes’, concours et autres incubateurs. Rapidement, nous obtenions une place chez Startup Chile, l’incubateur qui rassemblait ‘la plus grande communauté startups du monde’.

Je vous livre ici un retour d’expérience qui n’engage que moi. Le marketing étourdissant de beaucoup d’incubateurs peut en endormir plus d’un, alors autant éviter de perdre du temps, surtout quand on fait le choix d’entreprendre. Il y a des détails qui en disent long sur la médiocrité de ces organisations, autant avoir ses radars allumés ! Voici quelques points à checker :

1. La sélection à l’entrée

Le dossier de candidature, à lui seul, est révélateur du fonctionnement du programme. Si la paperasse à remplir vous prend plus de temps qu’une demande de carte vitale, c’est que vous avez affaire à des fonctionnaires. Je n’ai rien contre eux, tant qu’ils restent loin de mon business model ;)

Dans le cas de Startup Chile, j’ai dûment complété mon .doc de 13 pages (true story) dont la finalité n’était pas d’évaluer le potentiel du projet mais de tester notre propension à éduquer l’écosystème Chilien. #LOL.
Ils ont baptisé ça “Return-Value Agenda”.

Une startup ne doit absolument RIEN FAIRE D’AUTRE que de passer ses journées à coder, tester son produit et trouver ses clients / utilisateurs. Si la structure vous détourne de cet objectif, c’est qu’il faut déguerpir.
Comme beaucoup d’Européens, nous avons fait l’erreur de considérer Startup Chile comme le sacro-saint temple du savoir pour les wannabe entrepreneurs.

En même temps, l’analyse est assez simple : il suffit de regarder qui tient les rennes de l’incubateur. Si c’est une initiative publique, c’est que les intérêts politiques orientent directement l’accompagnement.
Dès la sélection, il faut être vigilant sur ces points :
- Alignement des intérêts avec ceux des startups : on grandit ensemble. Il faut donc que le business model de la structure se bâtisse sur le succès des startups.
- Connaissance fine de la réalité des entrepreneurs : une équipe expérimentée.
- Intéractions facilitatrices et non obligatoires : si le moindre détail vous rappelle une quelconque forme de paternalisme, c’est qu’on va vous infantiliser. Fuyez !

2. L’infrastructure et la culture

Tout est souvent axé sur la communauté. À 1ère vue, c’est l’idylle. On va évoluer en compagnie d’une centaine d’entrepreneurs aux parcours différents, dans un lieu à la pointe de la technologie. On se dit qu’on ne peut pas rêver mieux.
- “Les gars, on va être productif !”

C’est un mythe. 2 ou 3% des startups génèrent une traction suffisante d’utilisateurs ou de clients pour survivre avant de lever des fonds. Concrètement, ça veut dire que seules 2 ou 3% des startups pourraient à la limite tirer vers le haut. Or dans un groupe, c’est toujours la majorité qui l’emporte. Les meilleurs se mettent donc en marge du groupe, pour survivre. Sans expérience ni connaissance, il aurait fallu qu’on puisse se rattacher à des modèles pour bâtir notre propre succès.

Qu’est-ce qu’il reste donc ? Les autres. Les autres, tous les mecs comme nous qui ont vécu dans cet immense espace de teuf… hum, pardon, de coworking. On travaillait (un peu), on sortait (souvent) et on se marrait (beaucoup).

Alors, si l’une des propositions de valeur c’est le coworking-space, assurez-vous que le niveau général des startups est excellent. Sinon, c’est vous qui allez passer votre temps à éduquer les autres. Et au royaume des aveugles… Bref… ça finissait en fiesta ;)

J’ai manqué de discipline. C’est tellement dangereux de perdre de vue sa priorité. Et dans un cadre comme celui-ci, le truc pervers c’est que tu as l’illusion que tu es sur la bonne voie ! Tous les autres sont dans le même cas, des journalistes passent couvrir le village de startups, tu pitch, t’es fier. Rien n’avance sur ton produit, pas grave, le programme lui, continue : il y a les démo days qui arrivent à pas de géants ! C’est le ClubMed des wannabe.

3. Le programme.

Tout était orienté vers une chose : les demo-days. Et à Startup Chile, ça se déroule de la façon suivante :

D’abord, il y a l’intro day : présenter sa startup devant les autres, dès son arrivée à Santiago. C’est plutôt sympa, on apprend à se connaître.

Ensuite, il y a le pitch day : quelques semaines plus tard, le staff place arbitrairement une deadline et réclame toutes les présentations des pitch des startups. Il faut la bosser cette présentation. À l’issue du pitch day, ils décident si tu es éligible ou non aux démo-days. Peu importe si le moment est pertinent pour la startup de lever des fonds. On passe plus de temps sur les présentations que sur le développement du produit.
Emportés dans le rythme imposé du programme, on prétend avoir un produit qui marche parce que… “ C’est la honte si on ne passe pas ! ”. On redevenait des étudiants en quête de bonnes notes, sans même s’en rendre compte.

Finalement, il y a les demo-days : quarts de finale, demies-finale, finale. Sur 100 startups, une dizaine se qualifient selon des critères propres aux administrations, par exemple en fonction des relations entretenues avec son responsable financier, son responsable technique et la community manager… Comme si l’organisation des démo-days n’était pas assez contraignante, l’atmosphère de travail se détériore considérablement, pendant la semaine qui précède les pitch. De retour à l’école, tout le monde ne parle plus que de ça.

Et encore, s’il s’agissait de pitcher devant de grosses pointures de l’entrepreneuriat ou des investisseurs reconnus, on subirait une pression, mais une “bonne” pression, celle qui éduque.
À Startup Chile, elle est injustifiée et contre-productive parce que le jury, c’est pas ça du tout, au contraire, il est truffé de curieux, d’inconnus et de membres de l’administration.

Donc pour résumer :
- Un programme obligatoire pour toutes les startups, c’est stupide !
Chacun son rythme. Chacun son marché.
- Si l’organisation ne fait pas tout pour vous faciliter la vie d’entrepreneur, à savoir, se focaliser sur la découverte de son business model, c’est qu’il y a problème.
- Si la valeur ajoutée de l’organisation c’est sa communauté, assurez-vous du niveau des autres ;)
- Une rencontre avec des investisseurs ? C’est vous qui décidez quand c’est le bon moment et surtout, assurez-vous que les bons réseaux de VCs sont proches de la structure et la considèrent.

5. Le financement.

Si vous vous demandez pourquoi les candidatures internationales continuent de pleuvoir tous les ans et d’attirer des startups de faible niveau, la réponse tient en un chiffre :

$ 40,000

Cet argument matraqué dans tous les sens par l’incubateur explique le succès de ce programme auprès des jeunes entrepreneurs à travers le monde. Effectivement, Startup Chile promet à toutes les équipes sélectionnées $40,000 et ce, sans prise de participation.
À l’exception des très rares entrepreneurs étrangers qui souhaitent pénétrer le marché Chilien, ce montant seul suffit à motiver la décision des plus timorés d’entre nous.

Avec du recul, j’ai compris que si une organisation ne prend pas de participation, c’est qu’elle se positionne en “bienfaiteur”. On est toujours redevable devant son bienfaiteur. “Quand c’est gratuit, c’est vous le produit”. Startup Chile se moque bien des réussites de ses startups, son intérêt est ailleurs : la communication vis-à-vis de l’international et l’éducation de l’écosystème local. C’est louable, mais c’est raté. L’enfer est pavé de bonnes intentions. De jeunes entrepreneurs novices n’ont rien à enseigner aux locaux. D’abord parce qu’ils ne savent rien, ensuite parce qu’il sont justement là pour apprendre et rester focus. Personne n’y gagne.

Outre la paperasse administrative aberrante qu’il faut compléter, faire notariée, poster, livrer continuellement aux quatre coins de Santiago — j’en ai presque regretté la bureaucratie Française — le véritable problème, c’est l’acquisition des fameux points RVA (return-value agenda).

Startup Chile exige de ses entrepreneurs le cumul de 2 000 points RVA pour débloquer la 1ère partie des fonds et 4 000 pour la seconde. En règle générale, chaque action ayant pour objectif d’éduquer la population Chilienne à l’entrepreneuriat rapporte 500 points.
Les actions sont variées:
- Conférences dans les universités,
- Présentations sur des thèmes spécifiques (parmi 5 ou 6 choix),
- Mentoring de jeunes entrepreneurs (LOL)…

Chaque semaine le staff balance un e-mail proposant une activité RVA de leur choix. Tout doit être validé en amont et en aval par le staff, qui décide si tu as mérité tes 500 points. Dans 90% des cas, ça s’adresse aux hispanophones. On a souvent postulé pour les quelques activités restantes en anglais, sans jamais recevoir de réponse. Ça nous a contraint, comme tant d’autres, à faire des montages grotesques simulant la réalisation des activités. On croisait les doigts pour qu’on nous accorde ces points. Je reconnais que c’est totalement nul de notre part. Mais c’était ça ou au-revoir l’argent — argument n°1 de notre présence.

Le design de la distribution de l’argent est aussi important que la somme en question. Aujourd’hui, je sais que l’argent public coûte bien plus cher que l’argent privé : en temps, en sueurs froides, en détournement des objectifs et confusion psychologique ( à force d’inventer des histoires pour rentrer dans des critères absurdes, on finit par croire à ces histoires ).

Un délire institutionnel. On aurait dit que chaque interaction avait été pensé par un super fonctionnaire : tous les process étaient régis par la méfiance et l’autorité.
Startup Chile est bien un incubateur gouvernemental, chapeauté par un organisme répondant au doux nom de CORFO.
Plusieurs fois par mois donc, on avait rendez-vous avec notre responsable financier. La personne dont il faut bien cirer les pompes pour avoir une chance de recevoir l’argent.
La règle c’est que le moindre peso dépensé doit faire l’objet d’une étude par le comité financier, qui valide ou invalide le montant ET par le comité technique, qui valide ou invalide la pertinence de la dépense.
Même ton père ne t’en demandait pas tant à l’époque.

Une tromperie assumée. Les 20 millions de pesos chiliens valent $33,000 (taux de change 2014) et non $40,000 (taux de change 2010). Ils ont oublié de mettre à jour la publicité, apparement. Je ne vous dis pas ma réaction quand le type m’a dit ça.

À ce moment, j’y croyais encore. En réalité, tous les prétextes sont bons pour invalider nos dépenses, au mieux, ils retardaient le transfert des fonds. Résultat ? Les entrepreneurs craquaient et préféraient abdiquer plutôt que de s’épuiser à lutter contre le système.

Au final, le programme nous a coûté de l’argent.

Je ne blâme pas les membres du staff. J’entretenais avec eux de bonnes relations. Ils reçoivent des directives de la part de CORFO qui a mis en place ce système totalement pervers.

Mon message est pour tous les entrepreneurs ambitieux en phase de démarrage : si vous comptiez postuler, très sincèrement, abstenez-vous. Chopez l’état d’esprit, éduquez-vous et exécutez votre idée le mieux possible.
Beaucoup d’incubateurs surfent sur la vague du “tourisme digitale”, ne croyez pas que ça soit un cadre qui facilite la phase ingrate du développement produit.
Sinon, assumez de vouloir kiffer, de chercher à vous inspirer et allez visiter la Patagonie. ☺

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Clément Cousin
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Entrepreneur, Globetrotter & Troublemaker. Business Developer @_TheFamily Founding Partner @revstr_