Alors que la paralysie s’installe, l’activité des entreprises retrouve son statut de contribution à la vie des nations

Melkom Boghossian
Reputation Squad
Published in
4 min readApr 2, 2020

Un tournant monopolistique dans la forme des conversations

Le coronavirus a créé une centralisation inédite des conversations en ligne, mobilisant les réactions à une échelle inconnue jusqu’ici : depuis le 15 mars, veille de l’annonce des mesures de confinement par Emmanuel Macron, plus de 13 600 000 messages ont été publiés autour du sujet “confinement total” sur Twitter. Chez Reputation Squad, nos data scientists n’avaient jamais observé un tel niveau de prévalence pour un sujet dans la presse et sur les réseaux.

Les journaux modifient jusqu’à la structure de leurs pages de une pour rendre compte de la pandémie. L’ensemble des conversations s’agrègent autour du coronavirus, de façon à ce que tout sujet évoqué soit abordé en fonction de cet angle : analyses économiques et géopolitiques, jugement sur le gouvernement et les entreprises, questions sociales voire morales…

Le coronavirus est devenu le centre de gravité d’une conversation en ligne à caractère monopolistique. Le phénomène est d’autant plus spectaculaire par sa durée : si l’installation temporaire d’un sujet au cœur des conversations est un produit régulier du cycle médiatique, un tel niveau de cristallisation durable dans le temps, autour d’une préoccupation unique, pourrait bien être sans précédent.

Dans l’angoisse, la quête de nouveaux appuis

Ce monopole est avant tout un monopole de l’angoisse. Le public occidental vit depuis plusieurs semaines déjà dans un sentiment d’inquiétude d’une rare intensité, notamment mesuré chez les Français dans un sondage conduit les 30 et 31 mars, soit environ deux semaines après l’adoption des mesures de confinement. À cette date, 87% se déclaraient “inquiets” par rapport à l’épidémie, en hausse de vingt-six points par rapport aux réponses données seulement quelques semaines plus tôt.

Or les Français ne sont pas convaincus que la réponse à la crise actuelle puisse venir du seul gouvernement : 58% d’entre eux déclarent ne pas lui faire confiance pour lutter efficacement contre l’épidémie, un chiffre en hausse rapide ces derniers jours. Face à une situation dont chacun mesure l’urgence, c’est bien l’implication de l’ensemble des acteurs en mesure de répondre qui est attendue, au premier rang desquels se situent les entreprises.

Quand l’activité devient contribution

L’épidémie de coronavirus porte le public à se tourner vers ses entreprises et à mesurer mieux que jamais ce qu’il perd lorsqu’il ne bénéficie plus de leur activité. Son regard s’oriente vers ce qu’elles apportent, non seulement en termes de réponse à des besoins individuels, mais aussi pour la vie générale d’une société.

Dans ce contexte, maintenir une activité économique au service de la vie du pays devient un acte contributif de la part des entreprises. C’est un acte qui montre que leurs salariés sont une présence indispensable pour ceux auprès desquels ils agissent à travers leur travail.

Au moment où elles sont le plus regrettées, les entreprises font à nouveau voir des couleurs que le train de la vie normale avait parfois masquées aux yeux du public : ce sont autant d’entités dont la mission particulière ajoute quelque chose comme un petit supplément à l’existence de ceux qui évoluent autour d’elles. Lorsque tous ces suppléments sont balayés par une seule parole présidentielle, le vide se fait sentir.

Au plus fort de la crise, des entreprises vocales et contributrices

Dans la soudaine évaporation de la vie des sociétés occidentales, de nombreuses entreprises ont fait le choix de monter en première ligne pour démontrer leur soutien à la vie de pays menacés par la paralysie.

Elon Musk a ainsi annoncé le 25 mars qu’il mettrait tout en oeuvre pour remettre en activité l’unité de production de Tesla dans l’état de New York, afin qu’elle puisse fabriquer des ventilateurs à destination des hôpitaux. Émanant d’une entreprise connue pour être à la pointe de l’innovation, ce soudain retour à l’essentiel, cette conversion à “l’économie de guerre” prennent une dimension symbolique toute particulière. C’est l’imaginaire même de l’usine, dispensatrice des ressources matérielles indispensables, qui entre alors en jeu.

La volatilité récente des marchés menant à un niveau de sensibilité accru des investisseurs et d’inquiétude économique généralisée, des entreprises comme L’Oréal se mobilisent sur les réseaux sociaux pour démontrer qu’elles ont les ressources pour surmonter les difficultés à venir et une stratégie bien arrêtée pour faire face. Or c’est aussi une façon de poser les premières balises qui permettront de naviguer dans la tourmente ; peut-être même de dessiner les contours d’un “après”.

Alors que l’utilisation des transports publics est depuis plusieurs semaines déjà au cœur des conversations, et que la mobilité regrettée devient carrefour de fantasmes et d’inquiétudes, la SNCF montre ses équipes au travail face caméra pour s’assurer que les transports empruntés par les Français qui devront encore y recourir remplissent toutes les conditions sanitaires requises.

Rappelant sa mission d’information du public, le Wall Street Journal a choisi de rendre gratuite la section de son site dédiée aux dernières informations sur le coronavirus, façon d’offrir à un monde de la finance en panique un îlot auquel se raccrocher et un lieu autour duquel se retrouver pour rétablir un semblant de saine conversation. Il a rapidement été suivi par la vaste majorité des grandes publications occidentales.

Autant d’exemples par lesquels l’entreprise reprend vie comme élément d’un équilibre précaire et temporairement rompu dans l’existence des sociétés occidentales.

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