Brexit : et si le meurtre de Jo Cox avait définitivement changé la donne ?

Le 16 Juin 2016, à 8 jours du scrutin, le débat sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union Européenne se paralyse brusquement, foudroyé par la folie meurtrière ayant frappé le camp europhile en emportant l’une de leurs jeunes députées. Un traumatisme susceptible de bouleverser définitivement le résultat du référendum ?

Alberic Guigou
Reputation Squad

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Un séisme symbolique

Si les motivations précises de l’homme aujourd’hui honni par l’ensemble de la Grande-Bretagne restent floues, la charge émotionnelle provoquée par le meurtre de Jo Cox bouleverse le rapport de force qui semblait profiter aux partisans du Brexit. Les médias ainsi que l’ensemble de la classe politique britannique dressent le portrait d’une mère de deux enfants, “étoile montante” du parti travailliste, profondément ancrée à gauche et remarquée au sein du Parlement britannique pour son engagement en faveur de l’accueil des réfugiés syriens ainsi que pour ses prises de position pro-européennes. Cette femme politique, hier méconnue du grand public, est alors érigée en incarnation symbolique de la bataille idéologique menée contre les europhobes.

Un bouleversement favorable aux anti-Brexit?

Vendredi soir, soit à peine plus de 24h après la confirmation du décès de Jo Cox, celle-ci dépassait déjà le million de mentions sur le web, provenant à une écrasante majorité des réseaux sociaux. Sur Twitter, l’émotion face à la violence des faits associée à la volonté de rendre hommage à la jeune députée domine. L’un des derniers tweets postés par Jo Cox, représentant une photo de sa famille à bord d’un bateau pneumatique brandissant un drapeau “In”, est alors rapidement partagé par plusieurs milliers d’internautes.

Jeremy Corbyn est propulsé sur le devant de la scène médiatique. Le leader des travaillistes, famille politique de Jo Cox, publie une vingtaine de posts relatifs à ce tragique événement, réunissant près de 500 000 engagements sur Twitter et Facebook. La mobilisation entourant sa prise de parole croît alors soudainement, une situation inopinée pour celui qui peinait jusqu’ici à s’imposer en tant que leader des pro-UE et était largement devancé par David Cameron.

Plus largement, on notera le record de mobilisation atteint par les pro-européens dès la reprise de la campagne, avec plus de 140 000 engagements générés par l’organisation “Stronger In” sur la seule journée du 19 juin.

Un nécessaire recalibrage tactique

Après le choc, les campagnes officielles relancent progressivement les hostilités. Car à 24h du vote fatidique, le suspense reste entier et le temps n’est pas encore à la réconciliation.

Pour atteindre le double objectif de convaincre les indécis et de mobiliser les électeurs jusqu’aux urnes, les deux camps n’ont d’autre choix que de réévaluer leur stratégie. Ce changement tactique implique pour les anti-Brexit de capitaliser sur la vague d’émotion provoquée par la disparition tragique de Jo Cox sans basculer dans une sombre récupération, quand les pro-Brexit aspirent à éviter toute analogie entre l’acte de celui désigné comme un déséquilibré isolé et leur campagne, accusée d’avoir installé un incontrôlable climat de tension nationaliste et xénophobe. C’est ainsi que Boris Johnson surprend ses militants dimanche dernier en affirmant être “pour l’immigration” : un virage à 180° pour les eurosceptiques qui voyaient en l’immigration leur meilleur levier de mobilisation et n’hésitaient plus à investir l’espace rhétorique xénophobe jusqu’ici préempté par les populistes du UKIP, Nigel Farage en tête.

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Il semble que le traumatisme provoqué par la violence de cet assassinat puisse finalement bénéficier au camp du “in”, les pro-Brexit ayant été subitement arrêtés dans leur irrésistible ascension. Privés de leur principale force de frappe et contraints d’adoucir leur prise de parole, les eurosceptiques seraient-ils en passe de perdre la bataille des urnes ? Les derniers sondages d’opinion mettant en lumière une campagne pro-Brexit en légère perte de vitesse semblent en tout cas rebattre les cartes. La vive émotion ressentie par l’électorat britannique en cette fin de campagne pourrait alors bien achever de faire basculer le vote de demain.

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Alberic Guigou
Reputation Squad

Co-founder of Reputation Squad, online communications strategies.