Chine, Russie, Corée du Sud : Succès et insuccès de trois essais de diplomatie digitale

Melkom Boghossian
Reputation Squad
Published in
4 min readMay 14, 2020

Pour les puissances confrontées au virus, la survenue de l’épidémie a parfois été l’occasion de mettre rapidement en place de nouvelles stratégies de diplomatie digitale. Mais elle a aussi et surtout été un moment de mise à l’épreuve des canaux déjà existants et de leur efficacité aux moments critiques. C’est ce qu’illustrent les résultats très différents obtenus par la Chine, la Russie et la Corée du Sud, tels que mesurés par notre étude publiée jeudi dernier, “Impact du coronavirus sur l’image des pays et de leurs leaders auprès des Français”.

La Chine : un échec massif de l’innovation diplomatique “grand public” tempéré par une résilience de long terme sur certains attributs d’image stratégiques

La Chine a indéniablement été l’un des acteurs les plus agressifs en matière de diplomatie dans le cadre de la crise, avec l’ambition non dissimulée de contester le statut hégémonique des Etats-Unis. Or si elle parvient à les concurrencer, c’est finalement dans la course au pays qui suscitera le plus de rejet de la part des Français. Elle est citée avec les Etats-Unis parmi les deux pays les plus dangereux pour le reste du monde dans le sondage Reputation Squad/Ifop des 28 et 29 avril. La diplomatie du masque est un échec sans appel : sur Twitter, les plus grandes entreprises chinoises sont mentionnées 63 fois moins souvent que leurs équivalents américains dans les 1 750 239 messages analysés pour la période du 20 au 26 avril.

Toutefois, la Chine enregistre certaines victoires dans des domaines qui font depuis longtemps l’objet de son attention toute particulière. Le message d’ouverture aux entreprises, directement porté depuis plusieurs années par les plus importants représentants diplomatiques du pays à travers la thématique omniprésente de l’“opening up”, semble garder sa portée au plus fort de la crise. Parmi les communautés “pro-business” françaises (artisans, commerçants, dirigeants d’entreprise), Xi Jinping a une image significativement plus positive que parmi le reste de la population. De façon symptomatique, il est cité avant Emmanuel Macron lorsqu’on demande à ces catégories quel leader agit le plus dans l’intérêt de son peuple. La Chine démontre ainsi sa capacité à créer une réelle adhésion à son discours économique, au moment même où se multiplient contre elle les accusations de falsifications statistiques.

La Russie : un double succès à travers un rayonnement géopolitique confirmé et l’installation d’un réseau médiatique “hétérodoxe”

À bien des égards, la performance de la Russie est spectaculaire dans un contexte géopolitique qui ne lui offrait a priori que peu de visibilité. Au cours de la semaine du 20 avril, la Russie était l’une des puissances les moins citées dans la presse française, devançant à peine la Corée du Sud et le Japon, et loin derrière les pays les plus médiatisés : Etats-Unis, Chine, voisins européens de la France. La relégation soudaine au second plan aurait pu être une sévère remise en question de la stratégie du pays. Or nos résultats témoignent au contraire de l’installation durable d’un “réflexe Russie” en matière de géopolitique. Elle est la troisième puissance la plus citée parmi les pays dont la France devrait se rapprocher dans les prochaines années.

Vladimir Poutine, quant à lui, est le deuxième dirigeant le plus mentionné sur Twitter, derrière le seul Donald Trump, dont le niveau de visibilité est sans comparaison possible avec celui des autres leaders. De façon plus saisissante encore, Vladimir Poutine est le troisième dirigeant le plus cité parmi ceux auxquels les Français font le plus confiance pour faire avancer le monde dans la bonne direction, derrière Angela Merkel et Emmanuel Macron.

L’influence en ligne de la Russie ne s’est pas non plus démentie pendant la crise : parmi les Français qui ont mentionné sur Twitter le coronavirus pendant la période analysée, les comptes des représentants officiels et médias russes sont les plus suivis après ceux de leurs équivalents américains et britanniques. Ils sont cinq fois plus suivis que ceux des représentants et médias allemands. La Russie se hisse ainsi au premier rang des voix les plus entendues en France parmi les puissances non-anglophones.

La Corée du Sud : un pays devenu temporairement symbole des dragons asiatiques mais encore très dépendant du prisme des grands médias français

La Corée du Sud, d’ordinaire discrète, reste peu visible lorsqu’elle est comparée aux autres puissances, y compris au plus fort de la crise, et malgré la tentation de l’ériger en modèle : sur Twitter, elle ne fait l’objet que d’un peu plus de 6 200 mentions, contre plus de 120 200 pour la Chine pour la période analysée. Une réelle capacité à capter l’attention se manifeste toutefois dans le taux d’engagement autour de la Corée du Sud : les tweets la mentionnant sont ceux qui suscitent le plus de réactions, avec 16,8 retweets ou likes en moyenne, la plaçant au-dessus de l’Allemagne elle-même et loin devant des pays fortement médiatiques comme les Etats-Unis, qui suscitent quant à eux une moyenne de 11,1 réactions par tweet.

La catégorisation sociologique des publics les plus favorables à la Corée du Sud est particulièrement éclairante : ce sont les cadres supérieurs, les dirigeants d’entreprises, les catégories aisées et les parisiens, c’est-à-dire les populations qui sont les plus étroitement connectées au système médiatique français et occidental. Parmi ces catégories, le président Moon Jae-in est cité deux fois plus souvent comme l’un des dirigeants agissant le plus dans l’intérêt de leur peuple, lui permettant d’intégrer le trio de tête alors que les Français ne le placent en moyenne qu’en cinquième position. Parallèlement, la Corée du Sud est le pays dont les représentants officiels et grands médias sont les moins suivis sur Twitter parmi les puissances confrontées au virus, avec un cumul de seulement 1 026 followings de leurs comptes. À travers la relative percée de ce dragon asiatique se lit donc une situation d’extrême dépendance à l’égard de nos grands titres de presse.

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