Covid-19 et déconfinement : le paradoxe de l’opinion française

Jérémie Noël
Reputation Squad

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Le 14 avril, Emmanuel Macron annonçait la sortie progressive du confinement à partir du 11 mai avec, comme mesure phare et la plus discutée, la réouverture des écoles. Les utilisateurs des réseaux sociaux se sont immédiatement mis vent debout contre la direction donnée par le Président de la République. L’occasion pour nous d’analyser les mouvements paradoxaux de l’opinion française pendant cette épidémie de covid-19.

Sur les réseaux sociaux, une opinion très défavorable au déconfinement

Dans la foulée de l’annonce de M. Macron, nous avons conduit une étude de l’opinion exprimée sur Twitter en analysant les retombées #11mai. Les résultats sont sans appel. L’opposition au déconfinement et à la réouverture des écoles est extrêmement majoritaire. Parmi les opposants politiques au gouvernement, le taux d’opinion défavorable se situe entre 70 et 88%. Sur une population grand public, on est à 63%.

Plus surprenant encore, quelle que soit la communauté étudiée, on ne trouve jamais plus qu’un famélique 2% de tweets favorables au déconfinement, y compris parmi les sympathisants du gouvernement qui se contentent généralement de repartager des publications officielles et sont quand même 30% à se déclarer défavorables au déconfinement.

Le débat public, politique et scientifique est pourtant beaucoup plus nuancé sur la question. Et les arguments exposés régulièrement dans les médias ou les empoignades de comptoir sont légion, dans un sens comme dans l’autre.

Chercher les raisons de cet unanimisme revient à tenter de répondre à une injonction paradoxale. Faut-il y voir la méfiance naturelle et historique des Français à l’égard de leurs institutions et de leurs représentants politiques ? Ou bien plutôt la réussite magistrale de la communication présidentielle et gouvernementale depuis le début de la crise ? Une communication tournée pendant un mois autour de l’appel à rester chez soi et de la promesse que la santé primera toujours sur l’économie. Visiblement très (trop ?) entendue.

Comment résoudre le paradoxe de l’opinion française ?

A ce premier paradoxe répond celui de l’opinion française en général, qui apparaît de façon très spectaculaire dans un baromètre de la confiance politique mené par OpinionWay pour Sciences Po Cevipof. Ce sondage, mené juste avant l’annonce d’Emmanuel Macron, montre bien l’état d’esprit des Français.

Ils sont majoritairement méfiants, las et moroses mais ces sentiments sont présents de façon assez constante depuis plusieurs années. Et si la crise actuelle les entretient, c’est de façon plutôt anecdotique. Le sentiment de peur, en revanche, très minoritaire depuis près de 10 ans (y compris à la suite des attentats de 2015), est monté en flèche depuis 2 mois.

Jamais avares de contradictions ou simples esthètes de la mauvaise foi, les Français sont 32% seulement à accorder leur confiance au gouvernement, alors que 81% d’entre eux considèrent qu’en situation de crise sanitaire, un pouvoir exécutif fort est indispensable.

Sur la question de la gestion de l’épidémie de covid-19, cette mauvaise foi confine même au génie et la méfiance devient quasi-irrationnelle. En effet; alors que 86% des répondants se disent en accord avec les mesures prises par le gouvernement, ils sont dans le même temps 81% à dire que ce même gouvernement devra rendre des comptes sur sa gestion de crise. Encore plus surprenant, les qualificatifs qui représentent le mieux l’opinion des répondants concernant son action pendant la crise sont : « impréparation » et « incompétence » (« manque de transparence » et « irresponsabilité » sont dans le top 5).

Beaucoup de peur, donc, et beaucoup de méfiance malgré des mesures saluées par une immense majorité…

Reprendre confiance dans sa parole institutionnelle

Entreprises et institutions entrent aujourd’hui dans une nouvelle phase clé et autrement plus complexe, celle du déconfinement. Une phase où la confiance va être essentielle car il s’agit aujourd’hui de rassurer et non de faire peur, ce qui est toujours plus difficile. D’inspirer un sentiment de responsabilité plutôt qu’invoquer un principe de précaution.

On peut en tirer deux pistes de réflexion.

Pour faire face à la peur, ne faut-il pas, plus que jamais, communiquer, expliquer, créer du lien et faire preuve de pédagogie, combler soi-même l’absence de soutien sur des décisions prises de façon rationnelle ? Simplifier le discours, le rendre accessible, visuel, partageable, ludique et convaincant.

Et pour faire face à cette méfiance parfois irrationnelle, ne faut-il pas reprendre confiance dans sa parole d’institution, d’entreprise, de dirigeant ? Observer l’opinion toujours, sur le web et ailleurs, pour connaître les points de crispation essentiels, les arguments les plus partagés, mais ne pas la laisser modeler sa communication. S’affranchir parfois d’indicateurs de performance qui n’ont pas toujours grand sens pour appuyer sur ce que l’on pense, ou sait, être juste.

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Jérémie Noël
Reputation Squad

Directeur général / Managing Director @reputationsquad - Communication, crises, web, photos et voyages.