Droits des robots

Chroniques judiciaires du futur

Max Chouzier
Reputation Squad
5 min readJul 25, 2017

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Illustration : Anne Baier

En 2017, la question du droit des robots s’est hissée au hit-parade des débats liés aux technologies et à l’innovation. Le bouillonnement philosophique, culturel et désormais politique qui en résulte ne laisse que peu de place au doute : la question n’est plus “faut-il le faire” mais “quand et comment un tel droit sera-t-il construit”. L’occasion d’imaginer une “histoire du droit des robots” en quatre dates, entre 2021 et 2049.

2021 | Paula, le robot sans droits d’auteur

Le 22 mai 2021, saisie de plusieurs plaintes d’usagers, la mairie du Grand Paris décide de faire détruire Hector, le robot-pervenche chargé des contraventions de voirie. La société RobotCorp SARL considère qu’elle seule a le droit de prendre cette décision et porte plainte devant la justice administrative.

Problématique

Hector a été construit par Paula, un robot capable d’une réelle autonomie dans son travail de conception de nouveaux androïdes. Le contrat avec la mairie prévoit bien que la machine ainsi construite appartient à la collectivité, mais l’entreprise considère que la détruire viole directement les droits d’auteurs du robot constructeur, et qu’elle peut donc s’y opposer au nom de Paula.

Solution

Le droit d’auteur protège les “oeuvres de l’esprit”, c’est-à-dire les oeuvres dans lesquelles on retrouve “l’empreinte de la personnalité” de leur auteur. Il apparaît très rapidement dans les débats que Paula dispose dans son processus de création, d’une autonomie qui dépasse très largement les seules instructions données par ses propres créateurs. Hector est unique. Il est Hector parce que Paula l’a conçu ainsi.

En 2021 en France, on reconnaît la personnalité juridique des hommes et celle des entreprises (dites “personnes morales”). Rien ne prévoit encore celle des robots ; sans personnalité juridique, le juge conclut que, quels que soient les faits, il est impossible de reconnaître un droit d’auteur à un robot.

Hector, pour unique qu’il soit, sera détruit quelques semaines après la décision.

2032 | Ivre, Archibald bouscule des passants et finit sa nuit en cellule de dégrisement

10 août 2032. Pour faire face à ses missions lors d’une soirée de grande envergure, Archibald, le robot-majordome de l’hôtel Blanko, a activé un nouveau logiciel qui démultiplie temporairement son efficacité, mais provoque ensuite chez lui un grand sentiment de confusion. Rentrant à son dépôt, il titube sur la voie publique et bouscule involontairement un passant qui manque de peu de se blesser en tombant. Une patrouille de police l’interpelle.

Problématique

Archibald a manqué le début de son service le lendemain matin parce qu’il avait été retenu au poste toute la nuit, le temps que les effets du logiciel soient passés. Son propriétaire est furieux et il réclame des dommages et intérêts à l’Etat face à la perte de chiffre d’affaires induite par l’absence du robot en matinée.

Solution

Le vieil article L3341–1 du code de la santé publique prévoit toujours qu’une personne trouvée en état d’ivresse dans les lieux publics est conduite à ses frais dans un local de police ou de gendarmerie pour y être retenue jusqu’à ce qu’elle ait recouvré la raison. Si Archibald n’était objectivement pas en état d’ivresse, il en connaissait néanmoins tous les effets secondaires. Saisi, le juge administratif rendra une décision historique en déclarant que “c’est à bon droit, pour le maintien de l’ordre public, que les forces de police ont pris la décision d’appliquer la même procédure aux mêmes effets”. Faisant jurisprudence, cet “arrêt Blanko” est l’acte fondateur du nouveau “Droit Jurisprudentiel Spécifique des Robots” (DJSR) qui ouvre la voie à l’application aux robots de lois conçues pour les Hommes, toujours sans leur reconnaître la personnalité juridique.

2044 | Gilbert, mère porteuse moderne

Doté d’un “milieu de culture” propice au développement de l’embryon, Gilbert est un robot-porteur mis à disposition de couples lorsqu’une femme ne peut ou ne veut porter d’enfant. En ce printemps 2044, Kev et Daeneris décident de s’en remettre à lui pour faire grandir le fruit de leur idylle.

Problématique

Cette idylle, hélas, aura à peine duré neuf mois. Le bébé est né, mais déjà le couple se déchire, chacun cherchant à nuire le plus possible à l’autre. A cet effet, Kev décide de contester la maternité de Daeneris en justice, affirmant avec ses avocats que Gilbert, en tant que robot-porteur, est le seul à pouvoir revendiquer le titre de mère en droit français. Il s’appuie pour ce faire sur le courant jurisprudentiel du DJSR, appliquant comme à l’habitude à un robot les lois conçues pour les Hommes.

Solution

En première instance comme en appel, le juge applique le récent “Droit Jurisprudentiel Spécifique des Robots” accordant à Gilbert le même statut qu’un être humain. Alors que la controverse s’installe, la Cour de Cassation met un terme au débat. Elle se fonde sur l’article 9 de la Convention Internationale relative aux Droits de l’Enfant, traité ratifié par la France qui, en matière de filiation, place l’intérêt supérieur de l’enfant au-dessus de toute autre considération. L’enfant reste légalement le fils de deux êtres humains et Daeneris reste sa mère officielle. C’est le début d’une seconde ère du DJSR, marquée par le retour de la prépondérance de l’humain sur le droit des robots.

2049 | Méléagant, intransigeant face aux sonneries de téléphone portable

2 février 2049. Il aura fallu plusieurs décennies de développement des robots civils avant que l’un d’entre eux ne porte atteinte presque délibérément à la vie d’un être humain. Les prestations de Méléagant, robot acteur, étaient régulièrement perturbées par d’horripilantes sonneries d’objets connectés divers que les spectateurs oubliaient d’éteindre avant d’entrer dans la salle.

Problématique

Après plusieurs reproches formulés au théâtre qui l’employait, le directeur de ce dernier avait demandé au constructeur du robot de le rendre moins conciliant face à de telles interférences. Ledit constructeur, c’est certain, avait eu la main lourde. A la première sonnerie intempestive, Méléagant avait bondi dans la salle, brisé l’appareil en cause et fait taire définitivement celui qui le portait.

Solution

Sonné, le gouvernement avait immédiatement réagi en annonçant la création d’une grande loi visant à protéger la population de l’ère sombre que semblait soudain promettre la démultiplication des robots. 107 ans après leur invention par Azimov et Campbell, les grandes lois de la robotique* furent ainsi gravées dans le marbre par l’Assemblée nationale. Elles étaient assorties du principe nouveau de “double imputabilité” : à compter de l’an 2050, chaque crime ou délit commis par un androïde entraînera d’une part la destruction immédiate de la machine, et d’autre part la condamnation de son constructeur en tant que coauteur de l’infraction, sauf pour ce dernier à prouver qu’il avait bien tout mis en oeuvre pour s’assurer que son robot respecterait les grandes lois de la robotique.

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