Géraldine Woessner : « Sur les réseaux sociaux, les fake news ont un écho considérable »

Journaliste politique et essayiste , Géraldine Woessner anime depuis bientôt deux ans Le vrai-faux de l’info sur les ondes de la radio Europe 1. Une chronique de fact checking où elle démonte les “facilités de communication” et autres “fake news” en tous genres. Ce qui en fait une interlocutrice de prestige pour parler du grand défi l’information : la vérification des faits.

Elyes Khouaja
Reputation Squad
4 min readFeb 14, 2018

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Illustration : Fanny Algeyer

Certaines agences de presse et médias ont mis en place des cellules à part entière de fact checking. La vérification de l’info est-elle un exercice nouveau dans la presse ou a-t-elle simplement évolué?

Géraldine Woessner : Cela fait déjà un certain nombre d’années que la pratique existe. Elle a été importée des Etats-Unis. Je pense que c’est parti d’une nécessité face à la multiplication des supports d’information mais également au basculement complet de la politique dans la communication. A partir du moment où les politiques se mettent à utiliser les armes, les méthodes et les outils de communicants pour faire passer leurs discours, vient le besoin d’une vérification pour remettre les choses en perspective.

La voix des déformateurs de vérité qu’ils soient politiques ou issus de la société civile semble parfois plus porter que celle des vérificateurs. Pourquoi ?

Géraldine Woessner : Il y a des pratiques qui sont de vrais mensonges mais la majorité de ce que l’on appelle les fake news comporte une part de vérité. Cela veut dire qu’elles constituent une vision partielle et orientée d’un fait, et servent un but politique, commercial ou autre. Et celui dont elle flatte les idées va avoir tendance à la croire. Durant l’élection présidentielle américaine, par exemple, Donald Trump a proféré des contre-vérités. Aujourd’hui encore, ses électeurs continuent de les croire même après avoir lu des démentis, parce que cette vision partielle et orientée leur convient.

Il faut aussi noter qu’un propos qui fait le buzz va être infiniment plus lu et vu qu’un article plus fastidieux et pénible.

Les fautes d’information vont être partagées des millions de fois sur Facebook qui fonctionne, de surcroît, en vase clos, c’est-à-dire que les internautes y consomment les publications de leurs contacts qui pensent, a fortiori, comme eux. Ils n’auront donc plus accès à une autre information et s’enferment dans un fonctionnement concentrique.

Dans ce contexte, les réseaux sociaux sont-ils un frein à l’information, la vraie ?

Géraldine Woessner : La montée des réseaux sociaux fait naître une caisse de résonance. Une erreur donnée dans un débat public, qui aurait pu être oubliée il y a vingt ans, va y rencontrer un écho considérable et s’imprimer, hélas, dans les esprits. Mais il ne faut pas avoir une vision autocentrée et occidentale des réseaux sociaux. Il y a encore énormément de régions dans le monde où l’information est étatique et bridée et où les réseaux sociaux constituent la seule voie d’expression libre et non censurée.

En France, en revanche, on va considérer que ceux-ci vont flatter des tendances que l’on observe dans la société : des discours anti-lobbys, anti-progressistes, conspirationnistes. Mais le problème est plus profond qu’une diffusion d’information. Et les médias ont une très grande part de responsabilité qui est de ne pas relayer toutes les informations complaisantes.

Aujourd’hui un lecteur se complait généralement à lire ou écouter ce qui conforte son opinion. Comment changer les mentalités ?

Géraldine Woessner : Ce n’est pas à nous de changer les mentalités. Ce que nous pouvons faire c’est donner les faits ainsi qu’un maximum de pistes pour permettre aux gens de les comprendre et de se faire un avis éclairé. Cela passe aussi et surtout par l’éducation.

C’est à l’école que l’on doit leur apprendre à exercer leur jugement et leur esprit critique.

Le fact checking ne peut pas se faire de manière exhaustive. Alors à partir de quel moment décide-t-on qu’il faut vérifier une information, et comment le fait-on ?

Géraldine Woessner : Il existe différents niveaux de fact checking pour faire face aux manipulations que permettent les réseaux sociaux et la multiplication des supports. Pour une image remontée ou sortie de son contexte, par exemple, vous aurez différents types de fact checkers qui vont s’intéresser soit à l’image en elle-même, soit à sa source, soit, au fond du sujet. On va alors avoir besoin de formaliser une réponse factuelle en vérifiant l’exactitude des faits ou en expliquant leur contexte.

Et vous, dans le cadre de la chronique Le vrai-faux de l’info sur Europe 1, comment effectuez-vous une vérification de faits ?

Géraldine Woessner : Etant une chroniqueuse radio, je travaille beaucoup sur les écoutes. Sur celles-ci, je vais m’attacher à un chiffre qui me surprend, une notion inhabituelle… Je vais d’abord chercher l’information, sans savoir, au préalable, si elle est vraie ou fausse.

C’est très intéressant parce que quatre fois sur cinq, je ne trouve pas ce que je m’attendais à trouver. Il a de vraies erreurs, mais il y a aussi des manipulations de chiffres, des idées reçues.

Ce qui m’intéresse, c’est de tirer ces fils-là pour décortiquer un problème et en arrêter avec la facilité. Un récent exemple est celui de la ministre de la Santé (Agnès Buzyn, ndlr) qui affirmait il y a peu qu’il y a 25% des jeunes en recherche d’emploi qui ne voient rien et n’ont pas de lunettes, arguant que cela expliquait leur échec scolaire. Quand vous cherchez un peu, vous vous apercevez que c’est complètement faux et que la statistique vient d’un marchand de lunettes qui la vend aux médias depuis quinze ou vingt ans et qui l’a obtenue à partir d’une étude menée auprès de 200 gamins dans une favela au Brésil. Ça ne vaut rien ! C’est une dérive de la communication.

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