Jérôme Ruskin : « Le changement algorithmique de Facebook ne nous intéresse pas »

Albane Dreyer
Reputation Squad
Published in
4 min readMar 15, 2018
Illustration : Fanny Algeyer

Avec le lancement d’ Usbek & Rica, Jérôme Ruskin souhaitait créer une revue qui permettait à ses lecteurs de mieux comprendre le monde de demain. Huit ans après, cet entrepreneur futurologue est à la tête d’un écosystème qui s’étend des tribunaux des générations futures au magazine Usbek &Rica, en passant par des livres de vulgarisation, une plateforme web et une monnaie virtuelle, l’usbek.

Comment le projet Usbek & Rica a-t-il réussi à se construire dans un secteur médiatique en pleine mutation ? Quel est son mode de fonctionnement économique ?

Jérôme Ruskin : Aujourd’hui, le monde des médias est un immense far west. Il y a une démultiplication des moyens de rémunération, chaque entité va devoir définir son business model en fonction de sa personnalité et de ce qu’elle raconte.

Au début Usbek & Rica était une revue uniquement disponible en librairie avec une unique source de revenu : le lecteur. Ce mode de fonctionnement ne permettait pas le développement pérenne du magazine. Mais il se trouve que des entreprises et des institutions se sont intéressées au projet, et nous ont demandé de réfléchir pour eux, aux grands enjeux d’avenir. Notre entreprise s’est alors structurée autour de deux pôles : le pôle produit avec le magazine, le tribunal pour les générations futures et la makerbox ; et d’un autre côté le pôle studio avec du contenu, des conférences, des études et des ateliers de prospective.

Depuis octobre 2016, ces deux entités se réunissent sur la plateforme web d’Usbek & Rica, où des articles écrits par des marques, côtoient ceux écrits par des lecteurs, des experts ou la rédaction. Le site présente la particularité de rémunérer l’activité des lecteurs : à chaque fois qu’un internaute partage, aime ou sauvegarde un contenu, il gagne un usbek, qu’il peut ensuite dépenser sur la boutique. C’est un système vertueux entre le lecteur, l’annonceur et nous, qui permet un rapport éthique aux données personnelles.

Comment trouver son compte en tant que média dans la collaboration avec la communication des entreprises ?

Jérôme Ruskin : Notre relation avec les marques est née d’un besoin : celui de faire tenir le journal. Mais il se trouve que cette relation ne nous est pas seulement bénéfique d’un point de vue financier. Lorsque nous réalisons du contenu pour EDF et que nous touchons 800 000 personnes grâce à EDF, nous faisons autant notre travail de démocratisation du savoir que lorsque nos 25 000 lecteurs lisent Usbek & Rica. Nous avons la chance d’être nés avec ce business model, nous sommes habitués à travailler comme cela. Mais ce n’est pas chose commune dans les rédactions traditionnelles qui sont habituées à avoir une régie, un studio de création.

Vous avez récemment lancé « The Transhumanisme Usbek & Rica Club », un groupe Facebook dédié aux enjeux de ce courant de pensée. Est-ce que ce groupe est une façon de réunir une audience plus qualifiée, plus fidèle ?

Jérôme Ruskin : Dans le domaine des médias, comme au far west, il faut s’aventurer pour réussir à innover. Créer un groupe Facebook c’est un tâtonnement intellectuel, une recherche de nouveauté mais aussi d’une nouvelle forme d’animation de notre communauté. A chaque fois que nous traitions un sujet majeur, nous avions envie d’ouvrir un groupe, nous avons finalement lancé le mouvement avec la question du transhumanisme. Le but est de mettre tout le monde au même niveau sur ce thème, de faire avancer le débat, et par là de nourrir le travail de réflexion de nos journalistes.

Ce groupe n’a pas été créé dans le sillon d’une quête frénétique de lecteurs et de notoriété. Il ne s’agit pas de réagir aux annonces de Facebook : le changement algorithmique ne nous intéresse pas. En tant qu’entrepreneurs, en tant que médias, il faut être indépendant. A mes yeux, Brut ou Minutebuzz ont fait des erreurs stratégiques majeures en se construisant sur une dépendance à un tiers. Nous ne sommes pas dans la recherche, ni la vente de clics. Nous ne cherchons pas à faire du volume, cela n’aurait pas de sens pour un média comme Usbek & Rica, qui est un magazine extrêmement affinitaire.

Il y a quelques mois, vous vous êtes lancés dans le format du podcast…

Jérôme Ruskin : Nous croyons beaucoup à l’ouïe, car nous entrons dans une ère de multitasking, or une fois que nous avons des écouteurs dans les oreilles, il est encore possible de faire plein de choses. Cette intuition est corroborée par la montée des podcasts aux USA, et le fait que tous les GAFA se positionnent sur le marché des assistants vocaux. Il y a une forme de cohérence entre notre société qui aspire à tout dématérialiser et cette tendance autour de la voix, de l’écoute. La voix est un médium d’avenir.

… et plus récemment vous avez mis les Tribunaux pour les Générations Futures en licence libre.

Jérôme Ruskin : A l’origine le tribunal pour les générations futures était simplement un événement de lancement pour présenter le nouveau numéro d’Usbek & Rica. Ce modèle de conférence a particulièrement bien fonctionné, nous en avons réalisé plus de 40 l’année dernière. Par peur de nous essouffler, la décision a été prise de permettre à n’importe qui d’en organiser. Maintenant, tout le monde peut monter son propre tribunal des générations futures, et nous récupérerons l’ensemble des contenus pour développer une plateforme sur le même modèle que celle du TEDx.

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