La communication à l’épreuve du Covid-19 : des précédents historiques ?

Lucas Sipres
Reputation Squad
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6 min readJul 3, 2020

La crise sanitaire liée au contexte du Covid-19 a bousculé nos habitudes et a transfiguré bon nombre d’économies nationales. Imprévisions, décisions hâtives, communications mal maîtrisées… les gouvernements mondiaux ont peiné à rassurer leurs citoyens. Cette situation, en apparence inédite, ne l’est en réalité aucunement. Retour en arrière.

La Peste noire : point de départ des règlements sanitaires européens

Bien qu’elles n’aient strictement rien à voir avec celle du Covid-19 en matière de mortalité, les pandémies mondiales de la période médiévale et du XIXe siècle demeurent intéressantes à analyser pour comprendre les enjeux actuels autour du coronavirus, sa propagation et bien évidemment les réponses des Etats concernés.

De nombreux parallèles peuvent être dressés entre la propagation du Coronavirus et celle de la Peste noire, un virus particulièrement virulent qui a décimé l’Europe du XIVe siècle pendant deux bonnes décennies. Comme le coronavirus, le foyer d’origine de la Peste noire a été localisé en Chine par de nombreux historiens spécialistes de la période. L’épidémie de peste noire s’est en effet développée en Asie avant de s’exporter en Europe, notamment par bateau par l’intermédiaire des rats qui avaient élu domicile dans les caravelles assurant le ravitaillement des ports européens en épices et soies. On estime l’arrivée de la peste sur les terres du Royaume de France d’alors aux alentours de l’année 1347.

Une fois installée en Europe, l’épidémie est mortellement dévastatrice (on estime que 25 % des sujets européens ont succombé à la maladie durant la période). Face à l’hémorragie, les pouvoirs publics de l’époque réagissent et instaurent ce que l’on pourrait considérer comme une « distanciation sociale puissance 10 ». La cité-Etat vénitienne, alors l’une des villes concentrant les esprits les plus brillants de son époque, décide de créer des lieux de confinement dédiés aux malades et de fermer certains lieux de rassemblements comme les auberges. Certaines cités italiennes interdisent les regroupements notamment à l’occasion des cérémonies religieuses comme les mariages.

Bien qu’anachroniques et désuètes aujourd’hui, les réactions des autorités publiques de l’époque préfigurent les mesures prises ces derniers mois pour endiguer la propagation de l’épidémie de Covid-19. Plusieurs cités-Etats édictent, pour la première fois de l’histoire, des règlements sanitaires qu’elles font connaître à la population via des crieurs publics. C’est le cas notamment de Milan en Italie ou encore de Gloucester en Angleterre, qui interdisent l’entrée de citoyens infectés au sein de leurs enceintes citadines. Les premières mesures de quarantaine, ancêtres des mesures de confinement que nous connaissons tous, voient le jour un peu partout en Europe notamment dans les cités portuaires comme Marseille. C’est également en Provence que naît le billet de santé, ancêtre de l’attestation de déplacement, pour identifier les voyageurs issus d’une ville saine devant voyager. Ils étaient contrôlés par les gardes de chaque ville.

Alors que l’épidémie continue à se répandre encore massivement durant le XVe siècle, les parlements provinciaux ainsi que les villes codifient des règlements sanitaires stricts.. Bien qu’espacées d’un demi-millénaire chronologiquement, les mesures prises par les Etats, seigneuries, cités-Etats et villes de l’époque ont préfiguré bon nombre des politiques sanitaires menées par les autorités suivantes lorsqu’elles ont dû affronter une situation de pandémie.

L’épidémie de choléra à Paris : le costume préservatif en guise de protection

L’épidémie de choléra qui a sévi en France dans les années 1830 offre des points de comparaison plus pertinents encore. En mars 1832, l’épidémie arrive par bateau en France et se propage essentiellement dans les grandes villes puisque, contrairement à la peste, le virus est transmis directement par l’humain et sa prolifération semble être amplifiée par deux facteurs : une grande concentration urbaine et une insalubrité patente de plusieurs quartiers, deux critères que compile la ville de Paris à l’époque.

L’épidémie se diffuse comme une traînée de poudre et contamine plus de 19 000 personnes en moins de 6 mois dans la capitale. Elle emporte le président du Conseil d’alors, Casimir Perier, et d’autres illustres personnalités de la Monarchie de Juillet comme le général Lamarque.

En réaction, plusieurs lieux sont sanctuarisés par les autorités publiques pour soigner les malades. Le grenier de Paris, traditionnellement utilisé pour stocker les céréales destinées à l’alimentation des citadins de la capitale, est transformé en hôpital de fortune. Pour faire face à l’épidémie, le préfet de Paris Gabriel Delessert prend une série de mesures destinées à réduire l’insalubrité de certains quartiers et à moderniser un système d’égouts obsolète.

Les citadins aussi adoptent les premiers “gestes barrières”. En 1832, point de masques mais des « costumes préservatifs », sorte de combinaison intégrale censée endiguer la diffusion de l’épidémie. A Paris, de multiples affiches sont placardées par la préfecture pour enjoindre les citoyens lutéciens de se munir de ce type de costume. L’affichage et les crieurs publics, encore sources d’information pour beaucoup de citadins illettrés à l’époque, se dédient intégralement à la transmission de messages portant sur l’hygiène publique : conseils, gestes à adopter, etc.

Communiquer en temps d’épidémie : un exercice périlleux pour la puissance publique

Au 2 juin 2020, on comptait 152 091 cas de coronavirus en France à l’échelle nationale et 28 883 décès liés à la maladie. Bien que dramatiques et déjà conséquentes, ces statistiques sont à mettre en perspective avec les précédentes épidémies que le territoire français a connues et à relativiser, tant les progrès réalisés par la médecine et l’épidémiologie ont été immenses durant ces dernières décennies.

Cette revue historique de deux exemples de situation de pandémie dans l’histoire permet de remettre en perspective les moyens d’action des gouvernements et leur façon de communiquer leurs mesures de protection aux concitoyens. Il a fallu un peu plus d’un siècle et demi au royaume de France pour éradiquer complètement la peste de son territoire au gré de l’élaboration de différents règlements sanitaires par villes, comtés et duchés.

Du temps de la pandémie de choléra, les moyens de communication et d’accès à l’information avaient largement progressé. L’autorité publique a joué son rôle de sensibilisateur de l’opinion publique en mobilisant crieurs et afficheurs publics pour répandre nouvelles et conseils. Si l’épidémie fut fatale à des milliers de personnes, on peut affirmer que les campagnes d’affichage ont pu, dans une certaine mesure, limiter la propagation du fléau.

Le gouvernement, aujourd’hui principal garant de la santé de la population a usé de tout son arsenal de communication pour prévenir, sensibiliser, protéger et informer. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la gestion de la crise sanitaire a entraîné une hausse de 15 à 20 millions d’euros des dépenses du Service d’information du gouvernement.

Le poids de la rumeur en temps de crise : une tare intemporelle

Certes, il est toujours possible de remettre en question certains choix, certaines mesures qui ont pu sembler trop tardives ou trop hâtives mais une chose est sûre : les pouvoirs publics n’ont jamais cessé de communiquer. La communication en temps de pandémie n’est d’ailleurs pas le seul fait des autorités. Elle est aussi celui des populations, et cela suppose forcément quelques effets pervers.

Ainsi, les fake news, diffusées en masse sur les réseaux sociaux, peuvent rapidement prendre le pas sur la véracité de l’information et induire, de par l’universalité de nos moyens actuels, la propagation de nouvelles erronées à une ampleur considérable. La polémique autour de l’étude sur l’hydroxychloroquine publiée par The Lancet, pourtant une revue scientifique largement réputée pour sa fiabilité en est un symbole marquant. Si les campagnes de désinformation tendent à gagner en récurrence avec l’émergence des réseaux sociaux, elles sont malheureusement loin d’être un phénomène nouveau.

Prenons l’exemple de la Peste noire : les moyens de communication, relativement rudimentaires à l’époque, contribuaient malheureusement aux incertitudes et à la propagation de fausses rumeurs sur la maladie. Au-delà de l’absence totale d’uniformité de l’information d’une ville à l’autre et du cruel manque d’information sanitaire, les « on-dit » ont participé à l’entretien d’un climat de tension et de suspicion au point de mener à des drames. Durant les années de Peste noire, on désigna ainsi les populations juives comme responsables de la maladie, légitimant des massacres d’innocents.

Le Covid-19: un témoin de l’évolution des moyens de communication ?

L’émergence de nouveaux moyens de communication et l’instantanéité de ces derniers, fruit d’années de développement, de recherche et d’avancées, ont permis à la population d’être immédiatement informée sur la situation. D’une certaine façon, on peut dresser une corrélation entre l’impact d’une pandémie et l’évolution des moyens de communication : leur instantanéité, leur interactivité et leur capacité à toucher une audience pléthorique leur confère désormais une importance cruciale dans les situations d’urgence sanitaire : ils doivent être pensés non pas comme des gadgets mais bien comme des flux d’intérêt public qui permettent à chacun de se prémunir contre une pandémie.

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