Illustration : Andrea Caliò

Les “social médiacrates” : la naissance d’un cinquième pouvoir

La campagne qui s’est achevée a vu son rythme fixé en grande partie par les médias quels qu’ils soient, estime Albéric Guigou, président de Reputation Squad.

Alberic Guigou
Reputation Squad
Published in
4 min readMay 15, 2017

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Alors que les précédentes campagnes avaient vu des candidats imposer des thèmes et des mesures au coeur du débat, cette fois ce sont bien les médias qui ont dicté le tempo de la campagne. Le bilan est en effet globalement négatif du point de vue de la plupart des principaux candidats : François Fillon s’estime victime d’acharnement, Jean-Luc Mélenchon de caricature, Marine Le Pen d’ostracisme et Emmanuel Macron d’un traitement superficiel.

Cette campagne a été moins digitale et innovante qu’on aimerait le croire du côté des équipes de campagnes. Le bouleversement en termes d’influence comme de mobilisation s’est joué du côté des nouveaux venus, de ceux que l’on pourra bientôt appeler les “social médiacrates” pour paraphraser Jean-Luc Mélenchon, jusque-là pourfendeur N°1 des Apathie, Barbier, FOG et autres éminents représentants de l’ancien monde.

En effet, ces nouveaux venus comme les youtubeurs tout droit sortis d’un “garage”, ou encore comme les “nouveaux médias d’information” auto-proclamés comme Brut (“100% vidéo, 100% digital”), ont marqué les esprits sur Facebook de manière dominante pendant toute la campagne. Peut-être même de manière déterminante? Ce sont leurs vidéos qui ont fait le buzz, mis les candidats en difficulté ou au contraire les ont rendus plus sympathiques aux yeux du plus grand nombre. Ce sont également sous leurs vidéos que des milliers de commentaires voyaient le jour et que le débat florissait. Qu’on ne s’y trompe pas, Facebook est bien loin de ne toucher que les jeunes, et les vidéos que se partagent quelque 33 millions de Français ont un réel pouvoir d’influence.

La révolution vidéo des social médiacrates

“Ma grande chance, c’est que les gens ne lisent que très peu les médias. Ils regardent les titres et les couvertures, c’est tout.” Ce propos a été tenu par notre nouveau Président de la République élu, mais celui-ci a encore une autre chance, tout comme Jean-Luc Mélenchon d’ailleurs, leurs supporters ont investi massivement les nouveaux médias et contribuent largement au débat au travers de leurs commentaires. Ainsi, les communautés politiques qui se sont le plus intéressées aux “nouveaux médias” (Brut, Explicite, Konbini, Bonjour Tristesse, Osons Causer, Speech) sont surtout celles soutenant Jean-Luc Mélenchon (149.063 internautes) puis Emmanuel Macron (94.115). Loin derrière, on retrouve celles de Marine Le Pen (36.859), Benoît Hamon (31.219), et enfin François Fillon (10.513).

La revanche de la Gauche de la Gauche

Les médiacrates sont désignés ainsi par Jean-Luc Mélenchon : ils provoquent son ire car, pour la plupart, ils incarnent une ligne politique “raisonnable”, consensuelle de centre droit ou de centre gauche. En revanche, les social médiacrates sont, eux, pour la plupart porteurs d’une ligne très à gauche et parfaitement compatible avec le leader des insoumis. Sur Facebook, leurs fans ne s’y trompent d’ailleurs pas comme on peut le voir ici :

*Chaque communauté est composée des “likeurs uniques” de statuts des pages Facebook des candidats/médias durant le mois précédent le second tour de l’élection présidentielle 2017. Le ratio est calculé par l’intersection de ces communautés.

Les enseignements clés

Le grand perdant de la campagne dans les nouveaux médias est François Fillon, alors même qu’avant le premier tour, le candidat des Républicains était le plus cité par ces médias sur Facebook (dans les statuts ou dans le titre des liens/vidéos partagés). Cela peut s’expliquer par son électorat qui est plutôt âgé, qui ne se reconnaît pas dans ces nouveaux médias et qui donc ne les investit pas. Or ces nouveaux médias,malgré leurs revendications, fonctionnent comme les anciens et ménagent toujours leur audience. Ainsi, Osons Causer se déclare sans grande surprise pour Mélenchon la veille du premier tour et sort une vidéo au ton particulièrement paisible et rassurant, “Diaboliser ou comprendre” portant sur les électeurs du Front National (19,7% de leur audience).

Osons Causer et sa star Ludo sont en effet les social médiacrates archétypaux de la radicalité ou du populisme, avec un impressionnant “ratio de radicalité” de 85,7% correspondant à la somme des likeurs de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon) qui en fait le lieu de convergence de toutes les colères.

De manière générale, la vidéo est la grande gagnante puisque tous ces nouveaux médias y ont recours de manière massive voire exclusive : Brut, Osons Causer, Explicite et Bonjour Tristesse sont les médias utilisant le plus ce format (soit respectivement 97%, 83%, 76% et 57% du contenu posté).

Des législatives et un quinquennat sous pression

L’implication voire le quasi-militantisme de ces nouveaux médias ne s’est pas arrêtée au lendemain du second tour, leur présence dans le paysage médiatique va se confirmer et se professionnaliser. Ils vont disposer d’une influence grandissante sur certaines parties de l’opinion dont ils deviennent l’accès privilégié à l’actualité politique et à son interprétation. Cette partie de l’opinion qui, par ailleurs, ne semble pas avoir besoin de savoir si les contributeurs de ces nouveaux médias sont des journalistes, des professionnels de la communication, des partisans encartés, ou encore des comédiens rémunérés.

Certains courants politiques aujourd’hui non représentés seraient bien inspirés d’aider à faire émerger des figures analogues susceptibles de les représenter et de rassembler leurs soutiens sur Facebook. Dans le cas contraire, ils perdront la bataille des idées auprès des générations les plus jeunes sans même avoir pu mener le combat.

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Alberic Guigou
Reputation Squad

Co-founder of Reputation Squad, online communications strategies.