Twitter en France, laboratoire de la nouvelle digital diplomacy chinoise

Frédéric Paillet
Reputation Squad
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3 min readApr 10, 2020

Vous avez aimé le community manager de Decathlon qui fait figure de héros des temps modernes tant son sens de la répartie, son humour et sa pertinence sont appréciés par la twittosphère ? Vous allez adorer le community manager de l’Ambassade de Chine en France.

Depuis l’entrée dans l’âge du confinement, cet acteur inattendu émerge en effet sur Twitter (réseau social interdit en Chine), sur un compte créé en août dernier seulement, avec une ligne désarmante tant elle détonne. S’agit-il de disruption digitale ? De dérapages contrôlés à répétition ? Ou d’une forme de diplomatie offensive qui ne s’embarrasserait plus de soft power ?

Le mieux est de vous faire votre propre idée avec un florilège de contenus édifiants :

“L’Occident met trop en avant l’individu, tandis que l’Asie, avec des citoyens doués d’un civisme supérieur, parvient à un meilleur équilibre entre le souci du groupe et celui de l’individu.” (27 mars)

“Les pays asiatiques, dont la Chine, ont été particulièrement performants dans leur lutte contre le Covid-19 parce qu’ils ont ce sens de la collectivité et du civisme qui fait défaut aux démocraties occidentales.” (27 mars)

“Certaines personnes, dans le fond, sont très admiratives des succès de la gouvernance chinoise. Ils envient l’efficacité de notre système politique et haïssent l’incapacité de leur propre pays à faire aussi bien !” (27 mars)

“Voilà les manœuvres auxquelles se livrent les forces antichinoises occidentales dans leur guerre médiatique : d’abord, elles fabriquent des mensonges à partir de ragots d’agences de renseignement ou d’experts, puis, elles les montent en épingle à travers des médias en meutes.” (5 avril)

“Taiwan est une province de Chine et fait partie intégrante du territoire chinois.” (7 avril)

Loin d’être le cas des autres représentations de Pékin (y compris celle de Washington), l’Ambassade de Chine à Paris fait fi de toute langue de bois et impressionne par sa liberté de ton (!), faisant figure de laboratoire d’une nouvelle ligne de communication. Son assurance procède surtout du rôle clé que la Chine prétend avoir joué dans la résolution de la crise actuelle : après tout, “lorsque l’épidémie a commencé à faire rage partout, c’est à la Chine que le monde entier a demandé de l’aide et non pas aux États-Unis, « phare de la démocratie ». C’est la Chine qui a tendu une main secourable à plus de 80 pays. Ce ne sont pas les États-Unis’’. Ce tweet (27 mars), comme beaucoup d’autres, cite sobrement les “Observations d’un diplomate chinois en poste à Paris”, publiées sur le site de l’Ambassade.

Ce qui se joue aujourd’hui, dans la ligne éditoriale de l’Ambassade de Chine en France, ce n’est pas la question du rôle de l’alimentation chinoise dans l’émergence du Covid-19. Ni la vérité sur la gestion initiale de la Chine dans les derniers jours de décembre ou sur la qualité réelle des masques envoyés depuis la Chine dans le monde entier, ni enfin sur les épisodes de leur commercialisation sur les tarmacs d’aéroports. Ce n’est pas non plus la crédibilité des chiffres diffusés par la République Populaire de Chine. Non, ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est bel est bien la place de la Chine dans le monde. Une Chine qui affirme son pouvoir et son influence dans le nouvel ordre mondial qui pourrait advenir une fois la crise du Coronavirus résolue.

Ces tweets n’ont donc en fait rien d’anodin ni de fantaisiste. La digital diplomacy exprimée ici est en totale rupture avec la volonté jusque-là affichée d’être sur ligne alternative à Trump, sans ses éclats et excès (cf. le “chinese virus”). Ballons d’essai ou vraies réponses du berger à la bergère, ces tweets sont à suivre de près car ils annoncent une nouvelle vision du monde du point de vue chinois : la pandémie est pour Xi une étape de plus vers la reconquête par la Chine de sa position de centre de gravité du monde, l’Empire du Milieu.

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