Comment les Observateurs Indépendants des Forêts peuvent optimiser leur contribution au RDUE

Valerie Vauthier
Resource Extraction Monitoring
9 min readJun 7, 2023
Photo de Renaldo Matamoro sur Unsplash

Ce blog s’adresse à tous ceux d’entre nous dans la communauté de l’Observation Indépendante des Forêts (OIF). C’est un appel à l’action pour optimiser la valeur de l’OIF dans le contexte du RDUE

Qu’est ce que le RDUE ?

En mai 2023, le Conseil de l’Union européenne a adopté le Règlement contre la déforestation et la dégradation des forêts (RDUE). Le RDUE obligera les grandes et moyennes entreprises à exercer une diligence raisonnée sur le bétail, le cacao, le café, l’huile de palme, le soja, le bois et le caoutchouc ainsi que les produits dérivés tels que le papier, les pneus et le chocolat.

Les opérateurs qui placent pour la première fois des matières premières et des produits sur le marché de l’UE doivent exercer une diligence raisonnée pour s’assurer que :

1. les matières premières et produits dérivés n’ont pas été produits sur des terres déboisées ou dégradées après le 31 décembre 2020 ; et

2. ils ont été produits conformément aux lois du pays de production.

Le non-respect de l’une ou l’autre de ces deux exigences entraînera l’interdiction de mettre ces produits sur le marché de l’UE. La diligence raisonnée comprend trois étapes : accéder aux informations, évaluer les risques, et mitiger les risques.

Les acteurs du RDUE apprécient-ils déjà la valeur de l’OIF ?

Probablement, mais ne prenons aucun risque.

Pour les membres de la communauté OIF, il est évident que les OIF — souvent la seule source d’informations objectives dans de nombreux pays exportateurs — et des outils comme l’Open Timber Portal — seront essentiels à la mise en œuvre du RDUE. La diligence raisonnée ne peut qu’être à la hauteur des informations disponibles.

En effet, le RDUE reconnaît le rôle de la société civile. L’article 29, par exemple, stipule que les informations provenant des organisations de la société civile seront prises en compte lors de la détermination des catégories de risque des pays.

Cependant, il y a un changement net de focalisation sur la légalité du règlement européen sur le bois (RBUE) à la déforestation du RDUE

Par exemple, l’article 29 stipule également que « La classification doit être basée principalement sur les critères d’évaluation suivants : taux de déforestation et de dégradation des forêts ; taux d’expansion des terres agricoles pour les produits concernés ; et tendances de production des produits de base associés et des produits associés. » En d’autres termes, le changement d’occupation et d’utilisation des sols est clairement la priorité.

Il existe de plus un intérêt croissant pour les solutions technologiques visant à faciliter la diligence raisonnée, en particulier celles impliquant des solutions de télédétection et de traçabilité. Les solutions technologiques « faciles » à des problèmes complexes ont tendance à être populaires.

La communauté OIF doit rappeler aux décideurs du RDUE, en particulier aux bailleurs, que les solutions technologiques complètent mais ne remplacent pas un travail de gouvernance sur le terrain

L’OIF est vital au succès du RDUE de multiples façons. Commençons par deux : permettre aux opérateurs d’exercer une diligence raisonnée plus solide, et donner aux décideurs politiques les moyens d’améliorer la politique du RDUE.

OIF et devoir de diligence robuste du RDUE

Comme indiqué précédemment, la diligence raisonnée ne peut-être qu’à la hauteur des informations disponibles. Un élément clé d’une diligence raisonnée solide est la prise en compte d’informations provenant de sources multiples. Cela devrait inclure des sources objectives sans intérêt financier direct dans la matière première ou le produit en question, telles que les journalistes, les organisations de monitoring et, plus particulièrement, les OIF. Les OIF sont une source clé (parfois la seule) d’informations objectives sur : les droits locaux, la traçabilité, et la légalité.

Droits locaux

Le RDUE déclare à plusieurs reprises que les droits des peuples autochtones, des communautés locales et des petits exploitants doivent être pris en compte lors de la diligence raisonnée.

Seules des enquêtes in situ peuvent mettre en contexte les défis juridiques et sociaux complexes

Aucune image satellite ou application mobile ne pourra jamais collecter, analyser et communiquer les enjeux spécifiques au site concernant le consentement libre, préalable et éclairé (CPLE), par exemple.

Traçabilité

Bien que les systèmes de traçabilité technologique modernes puissent certainement réduire la fraude, ils ne seront jamais à l’épreuve de la fraude. Cela inclut la blockchain malgré le battage médiatique à son égard. Les OIF documentent généralement les problèmes de la chaîne d’approvisionnement, en particulier le blanchiment de marchandises « sales » dans des chaînes d’approvisionnement supposées « propres ». La réalité est qu’il est difficile, voire impossible, d’identifier et de mesurer le risque de « données inexactes, résultats erronés » sans enquêtes approfondies sur place.

Légalité

Documenter les questionsde légalité est ce que les OIF font le mieux. Dans de nombreux pays sources, l’application de la loi est faible, absente ou corrompue et les OIF sont la seule source consistante d’informations sur la légalité et à la gouvernance. C’est la raison pour laquelle les opérateurs forestiers au Royaume-Uni et dans l’UE ont, pendant des années, communiqué directement avec les OIF pour obtenir des informations utiles à la diligence raisonnée du RBUE.

OIF et amélioration du RBUE

Comme le RBUE, le RDUE sera réévalué et amélioré sur la base des enseignements tirés. Les OIF continueront d’être une source importante d’informations sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.

Continuons avec l’article 29, système de benchmarking des risques des pays, à titre d’exemple. Le système attribue un niveau de risque lié à la déforestation et à la dégradation des forêts (faible, standard ou élevé) aux pays à l’intérieur et à l’extérieur de l’UE. La diligence raisonnée sera renforcée pour les pays à haut risque. Comme indiqué ci-dessus, les taux de déforestation seront les principaux critères.

Cependant, l’article 29 stipule que la catégorie de risque prendra également en compte « si le pays concerné a mis en place des lois nationales ou infranationales, y compris conformément à l’article 5 de l’Accord de Paris, et prend des mesures d’application efficaces pour lutter contre la déforestation et la dégradation des forêts. »

D’où peuvent provenir des informations à jour sur les lois et leur application ? Des OIF parce qu’ils se sont avérés être parmi les sources d’informations les plus consistantes, objectives et détaillées sur les défis de la gouvernance forestière dans de nombreux pays exportateurs à travers le monde.

Les audits ne suffisent-ils pas ?

Le RDUE recommande des audits pour aider à évaluer et à mitiger les risques. De nombreuses personnes peu familières avec l’OIF diront que les audits sont suffisants puisque l’OIF est similaire à un audit, voire moins fiable. C’est faux, car :

Premièrement, l’OIF et l’audit ne sont pas interchangeables. L’audit repose sur des visites périodiques et des listes de contrôle, tandis que l’OIF repose sur des enquêtes. Les enquêtes sont adaptatives et peuvent révéler des problèmes juridiques, sociaux et environnementaux complexes qui ne sont souvent pas détectés par les auditeurs. Une autre différence notable concerne les délais. Les OIF travaillent sur le long terme et de manière consistante, tandis que les audits sont périodiques et souvent effectués par des personnes peu familières avec le contexte situationnel complexe.

En ce qui concerne la fiabilité, l’audit dans n’importe quel domaine a longtemps été confronté à des problèmes de conflits d’intérêts. Les OIF, en revanche, sont moins vulnérables aux conflits d’intérêts car ils sont principalement financés par des bailleurs internationaux sans lien financier direct avec l’entité en question. Cela ne veut pas dire que tous les audits sont corrompus et que tous les OIF sont incapables de corruption. Mais les OIF ont un excellent bilan en matière de maintien de leur indépendance.

L’importance de l’OIF ne signifie pas que l’audit — interne et externe — n’est pas important. Étant donné que les audits adoptent une approche plus structurée, ils peuvent fournir des informations mesurables importantes que les OIF n’ont pas.

En bref, les audits et l’OIF sont fondamentalement différents et tous deux importants pour le succès du RDUE

Comment les OIF peuvent-ils maximiser leur valeur dans le contexte du RDUE ?

Pour commencer, la communauté OIF doit faire 2 choses :

  1. fournir plus d’informations exploitables
  2. améliorer la communication de ces informations

Fournir des informations plus exploitables

Il n’existe pas de définition standard des informations OIF exploitables. Mais si l’information remplit les trois critères suivants, elle sera exploitable.

  1. Faire sens
  2. Suivre les meilleures pratiques de collecte de données
  3. Facile d’accès

Faire sens

Les gens comprennent le sens, pas les données. Les données existent pour en tirer un sens. Les rapports OIF se concentrent traditionnellement sur la fourniture de données et permettent aux utilisateurs finaux d’en comprendre le sens. Ceci est difficile et prend du temps.

Imaginez, par exemple, que vous alliez chez le médecin pour des tests. Le médecin vous envoie les résultats sous forme de données brutes : nombre de globules blancs, taux de fer dans le sang, etc. Que faites-vous ? Vous appelez le médecin et dites « Je ne comprends pas ce que tout cela signifie, est-ce-que je suis en bonne santé? ». Imaginez maintenant que vous, l’OIF, soyez médecin, et que l’acheteur de produits de base dans l’UE soit un patient.

Meilleures pratiques de collecte de données

Étant donné que le sens est dérivé des données, la manière dont les données sont collectées détermine l’exactitude et, en fin de compte, la valeur du sens.

Les meilleures pratiques évoluent constamment et varient selon le lieu, les missions organisationnelles et d’autres variables. Mais il existe quatre meilleures pratiques généralement acceptées dans la communauté OIF.

🔢Etre précis : fournir des détails sur les quantités, les emplacements, les délais, les acteurs impliqués et d’autres variables pertinentes

⚖️Connaître la loi : avant toute enquête, comprendre les responsabilités, obligations et droits légaux de toutes les entités impliquées

📐Trianguler les preuves : ne pas se fier à une seule source. Plus les sources sont diverses, plus l’observation sera difficile à ignorer ou à réfuter

🛣️Suivre les preuves : s’adapter là où les preuves peuvent mener afin de découvrir les problèmes sous-jacents, qui sont souvent plus importants que les problèmes immédiats

Facile d’accès

Les données et leur significations dérivées n’ont d’impact que si les utilisateurs finaux peuvent facilement y accéder. Le sens est déjà donné dans les rapports OIF sous forme d’analyses, de recommandations et de conclusions. Mais elles sont parfois inconsistantes et pas toujours facile à digérer, surtout pour le profane.

Réalistiquement, lire et comprendre un rapport OIF de plus de 30 pages, souvent dans une langue étrangère, n’est pas faisable pour la plupart des acteurs du RDUE

D’où l’existence de l’Open Timber Portal (OTP). Bien que l’OTP se concentre sur la présentation de données, il s’agit d’une première étape importante pour aider les décideurs, tels que les acheteurs de produits de base, à accéder aux informations.

Préoccupations étayées

Défini comme « une allégation dûment raisonnée, fondée sur des informations objectives et vérifiables et concernant le non-respect du règlement… »

L’EUDR exige des opérateurs non seulement qu’ils prennent en compte des préoccupations étayées lors de leur diligence raisonnée, mais qu’ils les signalent également aux autorités compétentes même après la mise sur le marché d’un produit. L’EUDR exige aussi des autorités compétentes qu’elles réagissent aux préoccupations étayées lorsqu’elles effectuent des contrôles.

La soumission de préoccupations officielles étayées peut être le moyen le plus efficace de garantir que les observations des OIFs soient appliquées à la diligence raisonnable de l’EUDR

Plus important peut-être, l’article 16 exige des autorités compétentes qu’elles incluent des vérifications dans des rapports annuels publics et qu’elles soient disponibles sur demande. Les autorités compétentes doivent également informer ceux qui ont soumis leurs préoccupations de toute activité de suivi dans les 30 jours. Cela signifie que les OIF peuvent surveiller les autorités compétentes et informer les décideurs politiques et les consommateurs en conséquence : l’OIF peut donc agir aux deux bouts de la chaîne d’approvisionnement pour maximiser son impact.

Recommandations aux OIF

  1. Rappeler aux acteurs du RDUE que l’OIF est une source d’informations vitale pour une diligence raisonnée solide du RDUE et pour l’amélioration du processus même du RDUE.
  2. Suivre les meilleures pratiques de collecte de données et tirer un sens des données pour fournir des informations plus exploitables.
  3. Continuer à ajouter des informations à l’OTP et fournir des commentaires et des idées sur la façon de l’améliorer.

REM

Resource Extraction Monitoring (REM) est une organisation spécialisée dans l’Observation Indépendante des Forêts. Depuis 2003, nous avons coordonné et appuyé des programmes d’OIF au Cameroun, en République Démocratique du Congo, en République du Congo, et en Côte d’Ivoire. Notre objectif actuel en 2023 est d’étendre l’Observation Indépendante à davantage de produits couverts par le RDUE et d’aider les OIF menés par la société civile à collecter et à communiquer davantage d’informations exploitables. Cela inclue une collaboration avec le World Resources Institute sur le développement et l’adoption de l’Open Timber Portal.

--

--