Un an après : le difficile retour en France

Récit d’un retour au pays après dix ans à Toronto

Marjorie Murphy
Retour en France
6 min readAug 16, 2016

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Ce billet a été originellement publié sur le blog de Marjorie : francecanadaetviceversa.com

Il y a un an exactement, nous rentrions le coeur empli de bonheur de retrouver LA FRANCE.

On nous avait pourtant prévenu : c’est la crise ici quand même, t’es sûre que tu veux rentrer? C’est pas sympa le Canada? Un an plus tard, je tourne en boucle toutes ces questions, toutes ces préventions, et je me dis que l’espoir fait vivre.

Cette année a été la plus courte et la plus longue de ma vie. J’ai l’impression d’être revenue il y a 400 000 ans, voire de n’avoir jamais vécu à Toronto.

Tant de choses se sont passées. Et en même temps, rien.

Une année rythmée par l’horreur de l’actualité. Apprendre à vivre dans un pays que, déjà, on ne connait plus et qui pourtant se transforme devant nous, pour cause de tarés assoiffés de mort et de sang. Un pays où le racisme s’est banalisé mais où l’on sent que le respect des autres est toujours d’une importance capitale.

Et puis un pays qui reste figé dans sa réussite d’antan et qui a bien du mal à accepter “ceux qui ne sont pas dans des cases”. C’est ma plus grosse déception… Et pourtant nous étions partis à cause de cela.

Après dix ans de chroniques quotidiennes à la radio et à la télévision de Radio-Canada, dix ans de networking avec un réseau important d’anciens collègues journalistes, je m’étais dit, naïve que je suis, que j’allais trouver un poste quelque part, dans un média sympa, qui serait tellement content de récupérer quelqu’un qui a eu une expérience différente ailleurs, et qui peut apporter autre chose. Je suppose que quand on revient d’une expatriation, on voit tellement le monde différemment, qu’on ne se rend plus compte que la France, ses collègues, ses amis, eux, sont restés dans un monde qu’ils connaissent depuis toujours, qu’ils ont évolué avec lui et qu’ils sont donc façonnés à être français.

Alors la “petite expat” qui vient nous donner des leçons sur l’ailleurs, faire des comparaisons, montrer peut-être parfois qu’il faudrait évoluer, faire autrement, elle est gentille, mais elle nous les “casse” sérieusement. De proches amis ont été clairs : “tu commences à nous gonfler avec ton Canada”, m’a-t’on dit gentiment…

Partir, c’est un peu mourir! Rentrer, c’est s’annihiler.

Dix ans plus tard, avec pourtant une expérience dans mon secteur d’activité, je n’ai toujours pas retrouvé d’emploi fixe dans les médias. Pourtant j’ai tout accepté : j’ai été attachée de presse, écrit pour la refonte d’un site industriel, pigé pour de grandes radios ou des sites d’actualités loin de mes opinions politiques, j’ai couvert le festival de Cannes à mes frais… rien n’y a fait. Je ne corresponds pas à la journaliste française d’aujourd’hui, j’ai 42 ans, bref “j’emmerde” le monde. Bien sûr il y a toujours de bonnes âmes, des gens rencontrés au hasard, qui décident d’aider. Les vieilles copines aussi ont misé sur moi.

Aujourd’hui je tente de faire mon trou dans le monde de la production audiovisuelle, mais à quel prix!

Dix ans après je gagne moins qu’avant de partir, mes jobs à l’étranger n’apportent rien à mon CV, pire on me traite comme si je n’avais jamais eu ni expérience, ni diplômes. Seule consolation : j’ai l’impression de revivre mes vingt ans!

Evidemment ça fait un peu regretter la vie de classe moyenne que l’on s’était construite à Toronto. On gagnait bien notre vie, on était respectés par nos collègues, la vie était un long fleuve tranquille. Je ne regrette pas d’avoir mis au défi ma propre existence une fois de plus, mais soyez assurés qu’il faut des reins solides pour croire qu’on va s’en sortir.

Ce qui est rassurant c’est qu’on se rend vite compte qu’on n’est pas tout seul dans cette galère. Une jeune femme du nom d’Anne-Laure, a eu la grande idée, après des années à l’étranger et un retour en France particulièrement difficile, de créer un guide “Retour en France après une expatriation” pour aider les pauvres gens comme moi dans leur galère administrative (je ne touche toujours pas la CAF) et leurs soucis existentiels. Sa page Facebook regorge de témoignages, d’appels au secours de personnes qui sont rentrées ou veulent rentrer, qui souffrent ou sont heureux, qui vont voir des psys parce qu’ils sont complètement paumés dans un pays qui ne les accueille pas comme prévu. Anne-Laure m’a dit une chose qui m’a frappée “Même ceux qui veulent t’aider pensent que ton expatriation, en fait, c’étaient des vacances”.

Un an après notre retour, je suis un peu amère bien sûr. Nous sommes rentrés la pire année, on ne trouve pas de boulot et on habite chez nos parents. Pendant ce temps là mes amis à Toronto gagnent des salaires d’enfer, ne connaissent pas le terrorisme (ou si peu croyez-moi) et ont un premier ministre qui se balade torse nu, participe à la gay pride et légalise la marijuana… Mais je ne regrette rien. Si j’étais restée à Toronto, une partie de moi aurait manqué au tout que je suis : ma culture, mon pays, c’est ma vie! J’espère pouvoir un jour inculquer cela à mes enfants qui ne semblent, pour l’instant, pas très intéressés par la France, même si ils se sont très bien intégrés. D’ailleurs je ne leur parle presque plus du Canada pour l’instant, pour qu’ils n’oublient pas leur autre pays (où ils sont nés).

Pour faire la paix avec ma situation, j’essaie moi aussi d’apporter ma pierre à l’édifice en participant à des salons, colloques etc. Avec notamment l’ambassade du Canada. Expliquer à ceux qui veulent partir les bons et les mauvais cotés d’une expatriation, ça me donne des ailes. J’ai quelques projets autour du thème : une chronique, une émission, des articles. Faire des portraits d’expatriés de retour en France. Maintenant que mon mari a enfin trouvé du travail (pauvre étranger qui met 1 an à trouver un job sous payé) je vais enfin pouvoir me concentrer, me rassembler, me retrouver pour peut-être réussir à ce que ceux qui reviennent soient pleinement considérés comme des “citoyens français”.

Retrouvez tous les billets de Marjorie sur son blog : francecanadaetviceversa.com

Merci Marjorie d’avoir pris la plume pour raconter ton histoire !
Pour tous ceux qui reviennent d’ailleurs et qui sont à la recherche d’une communauté de confiance, retrouvez-nous sur
retourenfrance.fr.
Anne-Laure a aussi réalisé rien que pour vous le
Guide du retour en France 2016, bible de 200 pages écrite sur mesure pour tous ceux qui préparent leur retour de l’étranger (psychologie, administratif, logement, emploi, etc.). Rejoignez aussi notre groupe d’entraide sur Facebook où une communauté de 6 000 personnes revenues de l’étranger (ou sur le point de le faire) s’entraident quotidiennement.
Contact : annelaure@retourenfrance.fr

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Marjorie Murphy
Retour en France

journaliste, podcasteuse, productrice, co-fondatrice de Double Monde