Un revenu de base pour favoriser l’innovation et l’économie collaborative

Vincent Poulain
Revenu de base
Published in
6 min readNov 17, 2014

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Le revenu de base est un revenu versé à chaque citoyen sans condition ni contreparties, de la naissance à la mort, cumulable avec d’autres revenus et dont le montant, ajusté démocratiquement, doit être suffisant.

Le revenu de base inconditionnel, ça sonne un peu comme une utopie, un truc d’anarchistes, de bobos idéalistes et déconnectés. Effectivement, ça rompt avec la plupart de nos présupposés, de notre rapport au travail. Le principe est simple : donner un revenu de base de façon inconditionnelle à tous les individus de la société. Oui, l’équivalent d’un SMIC, par exemple, pour tous, sans condition. C’est clair, c’est disruptif, c’est une rupture qui vaut le coup d’être débattue.

Alors que la bataille de l’emploi fait rage, que les femmes et les hommes politiques essaient d’actionner tous les “leviers” possibles, que l’on court après la reprise économique (apparemment le seul secret de la création d’emploi), il se trame en filigrane des changements majeurs qui vont imposer de nouvelles façons d’appréhender le travail. Quels sont-ils ?

L’innovation technologique

Ce n’est pas nouveau, les machines remplacent le travail des hommes et permettent des gains de productivité incroyables. Robotisation, automatisation etc, ont permis une hausse du niveau de vie et des boulots plus qualifiés, bien sûr, mais pas seulement. Les boulots deviennent aussi moins qualifiés – puisque le savoir-faire est dorénavant encapsulé dans la machine-outil, comme l’explique souvent Bernard Stiegler, avec l’ouvrier travailleur qui a perdu son savoir-faire et devient quasi inter-changeable. C’est aussi des destructions d’emplois salariés : lorsque l’on robotise entièrement une ligne de production, que l’on invente une voiture-taxi automatisée, la technologie nous affranchit d’une tâche, d’un emploi. Le trade-off entre création de nouveaux emplois qualifiés et licenciement est difficile à déterminer. Pas sûr qu’il soit positif.

Quoi qu’il en soit, la dynamique est composée de deux forces contraires. Par exemple, une innovation comme la voiture automatique de Google, qui promet une perspective de ville 2.0 optimisée avec des transports autonomes, va créer une valeur positive – à mon sens. Mais, en revanche elle aura un impact négatif du point de vue du nombre d’emplois salariés global.

Résultat : on a tendance à s’inquiéter de l’innovation technologique – voire à la freiner, puisqu’elle détruit des emplois à court terme, sans avoir la certitude de vraiment les remplacer. Dommage, puisque l’objectif est louable : gagner en efficacité et en productivité en libérant du temps humain.

La mise en réseau des individus et l’économie collaborative

Stanislas Jourdan l’expliquait dans son article au titre un peu provocateur “Oui, l’économie collaborative va tuer les emplois. Et après ?” : les usages collaboratifs vont détruire massivement des emplois. En effet, la désintermédiation engendrée par la mise en réseau directe des individus va rendre obsolète un tas de services.

On peut louer une voiture à un particulier chez Drivy au lieu d’aller chez Avis ; passer par PAP.fr pour trouver son appartement et éviter les frais d’agences; acheter ses légumes à la Ruche qui dit Oui plutôt qu’aller au supermarché ; partir en vacances avec Airbnb plutôt qu’à l’hôtel ; apprendre l’anglais grâce à Duolingo; faire du covoiturage en ville avec Djump plutôt que prendre le taxi ; acheter sa tondeuse sur leboncoin au lieu d’en acheter une neuve…

Des dizaines de secteurs vont être potentiellement ébranlés, comme l’industrie de la musique et du cinéma l’ont été avec les premiers réseaux P2P.

Cette dynamique P2P de réseaux est géante, géniale, elle se développe dans le monde entier avec des gens qui s’en emparent et inventent sans cesse de nouvelles façons d’être reliés.

D’un point de vue social, écologique et économique, l’économie collaborative a largement convaincu et est massivement adoptée à travers le monde. Plus de 2 milliards de kms parcouru en covoiturage avec blablacar, 10 millions de nuits réservées sur Airbnb en 4 ans !

Mais avant tout, l’économie collaborative a un objectif similaire à l’automatisation industrielle : l’optimisation. Non pas l’optimisation des procédés par l’amélioration de la productivité et du rendement, mais en améliorant les usages et les échanges (de biens ou de savoir). On optimise l’utilisation d’un appareil à raclette en le partageant sur ShareVoisins, on utilise la voiture plus efficacement en la partageant, on traduit le web par crowdsourcing en utilisant Duolingo…

A l’image de l’automatisation, les processus sont donc plus efficients et globalement, on assiste à une augmentation du bien-être en rentrant en connexion avec autrui, en réduisant son empreinte écologique etc.

Des emplois encore détruits…

On gagne donc encore en productivité et en bien-être mais on détruit encore des emplois… Voilà donc deux processus et évolutions profondes aux objectifs louables mais qui ont le même revers de la médaille : la destruction d’emplois salariés.

Que ce soit au sein de l’économie collaborative, ou bien, avec des produits technologiques, l’innovation se trouvent bien souvent ralentis par des juridictions sous pression (ie. hôtel, taxis, majors) afin de préserver le sacro-saint emploi. Ce qui est compréhensible avec notre point vue actuel.

Et si quelque chose clochait dans la manière historique dont on appréhendait le travail et qui doit être re-pensé ?

Fonçons dans l’économie collaborative, fonçons dans l’innovation technologique, arrêtons d’être limités par l’obligation de l’emploi salarié. Réinventons-le.

Plutôt que de remettre en cause l’essor des technologies et de l’économie collaborative qui, encore une fois, cherchent à optimiser l’efficacité de la production et des échanges, le revenu de base propose de trouver une nouvelle forme d’activité. Un travail où chacun puisse retrouver et développer un savoir-faire et s’y épanouir. D’ailleurs, il prend déjà forme.

La contribution

En parallèle de l’économie collaborative naît une autre forme de travail. Celle portée par la figure de l’amateur, le contributeur, qui créé une valeur considérable :

  • L’exemple canonique du contributeur d’un article Wikipédia consulté plusieurs dizaines de milliers de fois par semaine.
  • Le développeur open-source qui contribue, gratuitement, à développer des projets et outils informatiques, qui sont utilisés puis améliorés par toutes les entreprises technologiques.
  • Le musicien qui partage ses créations musicales sur SoundCloud ou YouTube.
  • Le photographe qui partage ses photos sur Tumblr, le bloggueur, l’analyste politique, le designeur qui met en ligne des plans de meuble pour imprimante 3D.
  • Même un “J’aime” sur Youtube ou Facebook est une trace, à valeur ajoutée, qui permet de faire émerger les contenus les plus intéressants !

Ces contributions peuvent être très diverses et chacun participe à sa façon à ce qu’appelle Yann Moulier Boutang la “pollinisation”. Métaphore de l’activité de l’abeille qui, pour vivre et produire son miel, produit une externalité positive indispensable à l’éco-système naturel : la pollinisation des fleurs.

Difficile de quantifier la valeur créée par ces activités, encore plus de les rétribuer. Pourtant il apparaît évident qu’elles sont réalisées par des passionnés, qu’elles apportent une valeur considérable et qu’elles doivent être encouragées. Pourtant, la nécessité de trouver un emploi salarié reste un frein pour le développement de ces activités pollinisatrices.

Face à ces constats (disparition de certains emplois liés à des innovations technologiques et d’une mise en réseaux des individus et, apparition d’une nouvelle forme de travail), l’idée d’un revenu de base apparaît comme une solution.

Un revenu de base permettrait à la fois de favoriser l’innovation et les transitions technologiques mais aussi et surtout, encouragerait la créativité et l’usage des capacités de tous à produire et à faire, portés par notre volonté intrinsèque de créer, de s’accomplir et d’un désir de reconnaissance.

Ainsi, sans nul doute, les externalités positives créées par cette désaliénation au travail serait globalement très positives. Bien sûr, le revenu de base restera complémentaire à l’économie de marché et le travail salarié continuera d’exister. Les deux étant cumulables.

Ainsi, alors que la plupart des gens au chômage ne sont obsédés que par une chose (retrouver un emploi), une nouvelle perspective devient envisageable. Contribuer aux biens communs, monter un projet, devenir acteur, contributeur de la société. La motivation devient intrinsèque (je suis autonome et directement motivé par ce que je fais), plutôt qu’extrinsèque (motivation financière, peur du licenciement), ce qui est d’ailleurs beaucoup plus productif, comme l’explique Dan Pink dans sa fameuse conférence TED.

L’objet de cet article n’est pas de prouver que le revenu de base est économiquement possible, d’autres le feront bien mieux que moi. Ni même de convaincre que c’est la solution à tous les problèmes. L’objectif est d’informer, de créer un débat autour d’un sujet trop peu connu qui apparait souvent comme une utopie.

Evidemment, le revenu de base inconditionnel apporte son lot de questions et de difficultés : les gens travailleront-ils ? Ne profiteront-ils pas du système ? Quelle transition vers ce système ? etc. Cependant, elles semblent loin d’être insurmontables comparées à celles qui nous attendraient en déniant, ou en sous-estimant, les changements incroyables que nous vivons.

Enfin, le revenu de base ne pourra évidemment pas se réaliser sans une adaptation des autres briques fondamentales de notre société, comme l’éducation. Car cela s’inscrit bel et bien dans un vrai grand projet de société, profondément différent que celui que l’on a construit durant les dernières années.

Originally published at blog.alveolus.fr.

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Vincent Poulain
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