50 € le crédit carbone ? Mais vous marchez sur la tête Riverse !

Gregoire Guirauden
Riverse
Published in
5 min readMar 23, 2022

Qu’est-ce qui pèse le plus lourd entre une tonne de plume et une tonne de plomb ?

Question pour 300€, avant même le premier palier.

Pourquoi devrais-je financer des crédits carbone pour améliorer le recyclage en France à 50€ / tCO2, alors que je pourrais financer des projets pour 3€ / tCO2 ?

Une tonne c’est une tonne non ? Pourquoi y a-t-il une différence entre les prix ?

Le bon prix pour un crédit carbone est une épineuse question. Voici quelques éléments de contexte :

  • 4,32€ : la moyenne de prix des crédits carbone achetés en France en 2020 , amplement dû aux achats massifs des compagnies aériennes du fait du système CORSIA, et des énergéticiens soucieux de leur image et de fournir du GNL “Neutre en carbone”.
  • 27€ : prix moyen du Label Bas Carbone en 2020, majoritairement des projets forestiers et quelques agricoles, tous en France
  • 120$ : prix moyen d’un crédit carbone dans les pays scandinaves
  • 770$ : grand gagnant du Guiness Book des crédits carbone proposés par Climeworks en Suisse, et financés notamment par Stripe.

Nous pouvons donc dire que nous faisons face à un marché où l’indicateur prix est encore peu mature !

Pourquoi ne faut-il pas acheter des crédits carbone à 3€ du coup ? Tout simplement car en dessous de 10€, il n’y a aucune chance que le projet soit crédible et permanent dans le temps. 2 options :

En guise d’exemple, l’Ethiopie avait été vertement critiqué pour avoir laissé mourir près de 80% des arbres prévus dans un projet de reforestation.

Vrai ou faux ? Les giga-plantes carnivores sont à la fois d’excellent puits de carbone, et se nourrissent d’humains émetteurs de carbone.

Enfin, les projets dans les pays émergents coûteront toujours moins chers, en coûts opérationnels, que dans les économies les plus développées. Toutefois, sans réduction drastique des émissions des pays les plus développés, et donc les plus émetteurs, aucun effort de reforestation ne sera suffisant pour parvenir à un état viable (ou alors, il faudrait planter des arbres sur un quart des surfaces émergées du globe tous les 100 ans, pas évident). Sans oublier que les forêts vont mettre 40 ans à pousser alors que les réductions nécessaires doivent être faites sur le champ.

Conclusion : les crédits carbone de réduction d’émissions dans les pays développés sont donc plus chers, mais il est vital de les financer si on ne veut pas finir cuits comme des carottes ou des canaris.

OK mais entre 3€ et 770€, quel est le bon prix pour un crédit carbone ?

Photo inspirante de Joseph Stiglitz, quelqu’un de très, très intelligent.

Cela tombe bien, ce sujet a été traité par des gens très intelligents. Ces gens se sont rassemblés dans la Commission de Haut Niveau sur les Prix du Carbone. Ils ont écrit un rapport sur le sujet qui est, comme on peut s’y attendre, de Haut Niveau. Parmi ces experts, la Commission est présidée par le prix Nobel d’Economie Joseph Stiglitz, et comporte notamment Gaël Giraud, ancien économiste en chef de l’AFD, le directeur du China Carbon Market Maosheng Duan ou encore le vice-président du GIEC Youba Sokona.

Le résultat est cristallin : “la présente Commission conclut que le niveau de prix explicite du carbone compatible avec l’atteinte des objectifs en température de l’Accord de Paris est d’au minimum 40 à 80 dollars par tonne de CO2 en 2020”.

Quid de la France, nous qui avons le nucléaire, un mix électrique décarboné etc… Commissionné par le Commissariat Général au Développement Durable, rattaché au MTES, le rapport Quinet est tout à fait explicite et “conclut à une valeur de 54 euros / tCO2 en 2018, 87 euros / tCO2 en 2020”. Et oui ! Car nous avons fait la partie “simple” à savoir décarboner l’électricité, qui ne nécessitait “que” de construire, entre autres, 56 réacteurs nucléaires; le plus dur reste donc à venir.

Mais pourquoi ce prix doit-il être si haut ? Car en dessous de ces prix là, ni vous ni personne n’a un réel intérêt économique à changer. A l’inverse, avec un prix du carbone élevé, la donne change :

  • Côté émetteur, il incite à se décarboner plus rapidement.
  • Côté solutions bas carbone, il accélère le développement de solutions faiblement carbonées, encore en dessous du seuil de rentabilité.

Je prends un exemple :

  • A 10€ la tonne, vous pouvez vous donner tranquillement bonne conscience en payant 20€ pour aller voir les New York Knicks au Madison Square Garden.
  • A 87€ / t, l’addition passe à 174 €. On peut imaginer que si vous allez voir des matchs de NBA pour le week-end vous n’êtes pas à ça prêt mais vous aurez compris l’idée.
Très rare photo de supporteurs dans un packaging éco-responsable.

Conclusion : si vous voulez être 100% cohérents, offrez-vous de beaux crédits carbone à 87€, et surtout ne descendez pas en dessous de 40€ car sinon c’est contreproductif.

40–87€ c’est déjà dur mais c’est le vrai prix des bonnes choses… Mais que nous prédit le futur ?

Le futur est limpide mon capitaine ! Le rapport de la Commission de Haut Niveau précise que les prix mondiaux devront s’établir entre 50 et 100€ / t en 2030. Le rapport Quinet est bien plus précis, car congru au territoire et aux enjeux français, et indique des prix de 250 euros /tCO2 en 2030, 775 euros /tCO2 en 2050 !!

Mise en lumière des auteurs du rapport Quinet, 192 pages limpides malheureusement méconnues.

On observe déjà cette montée drastique pour les quotas du marché obligataire européen : 8€ en 2014, 16€ en 2018, 80€ en 2020 ! Les prix attendus sont aux alentours de 100€ en 2030.

Que reste-t-il à faire ? Avec un cadre réglementaire qui s’intensifie, une pression des clients, employés et partenaires sans cesse accrue, il faut accélérer sur la décarbonation de notre société à vitesse grand V.

Cela passe notamment par la mise en place d’un Prix Carbone impactant dans toutes les organisations. Cette notion de prix carbone doit permettre de répondre aux 3 enjeux cruciaux suivants :

  • Sensibiliser massivement votre écosystème au vrai prix environnemental de toute activité pour un changement rapide de mentalité
  • Inciter à la réduction via un signal prix fort, pour pousser à la sobriété et rendre rentables des usages aujourd’hui embryonnaires
  • Faire émerger les solutions bas carbone de demain, en finançant les solutions bas carbone dans votre secteur d’activité dont nous avons tous besoin, pour aider leur déploiement

Convaincu ? Révolté ? Emu ? Lâchez vos commentaires !

--

--

Gregoire Guirauden
Riverse
Editor for

I do my best to save the world, but I find it very tough.