Modeste traité de vulgarisation de l’énergie à destination des braves gens de tout bord.

Gregoire Guirauden
Riverse
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9 min readMay 5, 2022

La littérature sur la décarbonation des différents secteurs de l’économie n’a jamais été aussi intense. Si nous serions bien incapables de produire de tels rapports de centaines de pages, ils constituent en revanche la base de notre éducation; au cas où vous auriez la flemme de les lire, nous vous proposons donc un résumé de l’état de l’art sur le sujet.

1 Sonic produirait la puissance de 4 réacteurs EPR, sans déchet radioactif. Malheureusement, il n’existe pas.

Rapports utilisés :

Résumé pour briller en société si vous êtes pressés

  • Toute mesure de sobriété énergétique ou d’efficacité énergétique doit être mise en place pour limiter autant que possible la consommation
  • 100% du mix énergétique en 2050 doit être décarboné. Finies les énergies fossiles — fioul, gaz, charbon — bonjour les énergies hors fossiles — ENR, nucléaire, biogaz, biomasse, hydrogène décarboné
  • Quoiqu’il arrive, il faut massivement déployer les ENR (même si les éoliennes c’est pas beau et qu’il y a du lithium dans les panneaux solaires). Ce rythme doit être très rapide avec le nucléaire, extrêmement rapide sans.
  • L’électrification des usages permet à elle seule de réduire les émissions de la France de 35 % d’ici 2050, soit 150M tCO2e.
  • Production, sobriété, efficacité, interconnexion, recyclage… dans tous les secteurs, il faut se bouger fissa ! C’est une question à la fois environnementale, mais également économique et de souveraineté nationale.
L’humain électrique peut-il nous sauver ? A priori, rien n’est moins sûr.

Constat

  • 60% de l’énergie utilisée en France est d’origine fossile : 40% pétrole, gaz naturel 20%, charbon 1%.
  • Nos importations viennent principalement de Russie, Kazakhstan, Nigéria, Algérie, Norvège et Pays-Bas (fort déclin), pays dont le manque de stabilité peut induire des crises énergétiques fulgurantes et destructrices.
  • Pour respecter les accords de Paris, nous devons réduire nos émissions de -55% en 2030 vs 1990 et atteindre la neutralité carbone à horizon 2050. Cela implique une décarbonation presque totale de notre mix énergétique, qui est à la base de l’empreinte carbone de toute notre activité économique.
  • L’électricité française est très faiblement carbonée grâce au nucléaire (380 TWh), l’hydraulique (60TWh) et le développement rapide des ENR (éolien 34 TWh, solaire 11,6 TWh, biomasses renouvelables 7,7 TWh).
Graphe de la Stratégie Nationale Bas Carbone sur les émissions de gaz à effets de serre de la production d’énergie en France

Les enjeux

  • Côté demande, la SNBC table sur une réduction de la consommation d’énergie finale en France de 40% d’ici 2050 grâce à l’efficacité énergétique et la sobriété
  • Côté offre, la SNBC mise sur une électricité décarbonée et l’utilisation massive de biomasse produite sur le territoire
Tout comprendre en deux “claquos” de la SNBC

Côté infrastructure, l’âge moyen des réacteurs nucléaires est de 36 ans, et même si on prolonge, ils pourront difficilement dépasser 60 ans. L’ensemble du réseau doit également être mis à l’échelle et moderniser. Il faut se bouger.

Les moyens pour y parvenir

Quelles énergies ?

  • RTE propose un rapport exhaustif, comprenant 7 hypothèses de consommation différentes, et 6 scénarios de production électrique plus ou moins nucléarisés (entre 0 et 50% du mix). Toutes les autres énergies bas carbone doivent être développées en fonction de leur potentiel et de leur disponibilité.
  • La question à mille euros pour décarboner 100% de l’électricité : nucléaire or not nucléaire. Les deux sont possibles, l’option sans ENR nécessitant en revanche d’être plein gaz sur les ENR et sur le développement d’une filière hydrogène compétitive. A l’inverse, le nucléaire ne peut pas se passer des ENR pour atteindre nos objectifs de neutralité carbone.
Le joli point d’interrogation tout mignon, c’est ce pourquoi tout le monde s’étripe à la moindre occasion

Les ENR doivent être développés massivement, avec une logique de volume sur la taille des parcs, afin de maximiser la compétitivité au KWh. Le photovoltaïque prend une part majoritaire, et l’éolien offshore connaît une croissance massive.

  • Des systèmes de stockage d’électricité doivent être développés, via le stockage hydraulique (STEP), l’hydrogène (voir ci-dessous), une gestion intelligente de la demande (smart grid), et le déploiement d’une filière des batteries européennes performante.
  • L’hydrogène bas carbone a la côte pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il est transportable et peut être une alternative aux carburants fossiles, notamment pour les transports routiers, aériens et maritime. D’autre part, il constitue un système de stockage électrique bénéfique pour palier l’intermittence des énergies renouvelables. L’inconvénient est en revanche la faible maturité technique de la filière et la complexité de développement, qui met en doute la capacité d’une production massive, efficace énergétiquement, et compétitives en terme de coût, de cette énergie. Sa production est aujourd’hui massivement carbonée, pour les besoins de l’industrie lourde et pétrolière.
  • Biogaz / biométhane : ce gaz issu de la filière biologique, qui aurait été émis quoiqu’il arrive, est un parfait substitut au gaz naturel. Il contribue dans une logique d’économie circulaire à valoriser les co-produits agricoles, et constituent notamment la troisième alternative efficace à la décarbonation des transports avec l’électricité et l’hydrogène. Il peut également être utilisé dans l’industrie ou le chauffage bien évidemment.
  • Biomasse (mot savant pour les arbres, les déchets agricoles toussa toussa) : la biomasse a le potentiel de remplacer les énergies fossiles pour monter des fours à très haute température (900–1200°C), par l’usage de granulats secs et concentrés. Cela lui confère un avantage énergétique — commun au biogaz et à l’hydrogène, que n’ont pas l’électricité ou les SMR (généralement capé autour de 600° maximum). Par ailleurs, c’est une ressource qui peut être abondante si elle est gérée correctement, notamment via une collecte et un usage intelligent des déchets / co-produits de toute la filière bois.

Note : Attention à l’appellation gaz naturel !!! Gaz naturel, ça fait tout gentil comme ça. Le pétrole aussi est naturel, tout comme le charbon ou les arbres. En revanche, il est fossile, il met donc + 100 000 ans à se régénérer. Cette notion de cycle long vs cycle court du carbone est importante. Quand vous utilisez du biogaz ou de la biomasse à des fins énergétiques, vous rejetez du CO2, mais c’est du CO2 qui appartient au cycle de la nature “terrestre” est qui aurait été rejeté à court terme dans l’atmosphère quoiqu’il arrive, et réabsorber ensuite par les cycles naturels. Quand on crame des ressources fossiles en revanche, on ajoute du “nouveau CO2” à la quantité déjà présente dans l’atmosphère. Etant donné que le CO2 naturel, cycle court, du biogaz et de la biomasse aurait été émis à court terme quoiqu’il arrive, son impact sur le réchauffement climatique est incommensurablement plus faible que son alter ego fossile. En revanche, il faut noté que le gaz a une empreinte carbone plus faible que le pétrole, et a fortiori le charbon.

Quels sont les gains possibles ?

  • Efficacité énergétique : rénovation des bâtiments, déploiement massif des pompes à chaleur et des véhicules électriques (dont les moteurs ont des rendements bien meilleurs que les véhicules thermiques
  • Interconnexion des réseaux électriques entre pays pour lisser la charge
  • Sobriété : un véritable choix de société, dur à trancher dans un rapport

Note : réindustrialiser la France par une énergie bas carbone augmente la consommation d’énergie mais baisse drastiquement l’empreinte carbone. Ci-dessous, un graphe sur l’impact et l’utilisation de l’électrification par secteur.

On consomme plus d’électricité mais on diminue largement notre empreinte carbone, ça paraît facile n’est-ce pas ?

Les difficultés

  • L’acceptation ou non du nucléaire doit être tranchée et le direction choisie doit être appliquée rapidement. Dans le cas de la poursuite du nucléaire, un véritable plan long-terme de gestion des déchets doit être implémenté.
  • Les conflits d’usage liés aux ENR, tels que l’esthétisme des panneaux solaires ou des éoliennes, l’artificialisation des sols dus à leur déploiement, ou encore les conflits vis à vis des ressources halieutiques, doivent être réglés en concertation avec les populations pour éviter le ralentissement du déploiement de ces solutions.
  • Les prometteuses solutions d’amélioration de l’efficacité de l’hydrogène doivent être soutenues activement pour qu’elles répondent le plus vite possible aux promesses mises en elles.
  • La filière biogaz, modèle d’économie circulaire, apporteuse de valeur pour le monde agricole, doit être soutenue activement pour devenir un substitut efficace au gaz naturel.
  • “L’industrialisation raisonnée” de la filière bois doit être mise en place pour augmenter la surface forestière tout en permettant l’augmentation de l’utilisation de cette ressource à des fins énergétiques.
  • La mise à niveau de l’ensemble du réseau électrique doit être effectuée pour supporter la montée en charge, réduire les fuites, et permettre une utilisation intelligente et lissée de la ressource.
  • Une filière performante du recyclage et de l’économie circulaire sur l’ensemble de la chaîne de valeur des infrastructures énergétiques est cruciale, pour anticiper les tensions certaines sur les matériaux rares utilisés.
  • Côté bif, il faut doubler le rythme d’investissements dans les systèmes électriques, et prévoir une hausse de 4 à 15% du prix de l’énergie, hors inflation, qu’il faudra anticiper socialement.

Note : il faut en finir avec l’idée que sur un cycle de vie complet, les ENR, le nucléaire, ou encore les véhicules électriques ne sont pas performants en terme d’empreinte carbone.

En gros, ce graphe explique que les usages électriques c’est forcément mieux que les usages fossiles.

Les divergences de points de vue

Les différents rapports s’accordent globalement tous sur les besoins de sobriété, d’efficacité énergétiques, d’électrification massive et de sortie complète des énergies fossiles. Les différences sont essentiellement sur le n……. et sur les niveaux de priorisation des différentes solutions.

  • SNBC : approche bien plus factuelle et “officielle”, qui sert de base pour les autres rapports. Le rapport acte le fait d’une réduction dans le mix électrique du nucléaire à 50% (modifications probables de ce ration dans les prochaines éditions). Il insiste également sur la disparition des moteurs thermiques, l’efficacité énergétique, et la réduction des fuites de méthane et de fluides frigorigènes. Forte prise en compte des risques liés à l’approvisionnement en métaux rares et en eau pour refroidir les réacteurs nucléaires en cas de réchauffement climatique, et de la tension autour de l’accroissement nécessaire de l’usage de la biomasse.
  • RTE : effort louable de proposer 6 scénarios avec différents niveaux de nucléaire, dont 1 sans nucléaire et 2 sans nouveaux EPR. Toutefois, un parti-pris extrêmement fort pour l’atome, tout en insistant fortement sur la nécessité absolue d’un développement massif et rapide des ENR..
  • Shift Project : de multiples rapports avec une approche par secteur particulièrement poussés. Le collectif insiste particulièrement sur les changements d’usage nécessaires, pour faire preuve d’une sobriété espérée maîtrisée plutôt que subie (sinon c’est de la pauvreté). Sur le plan énergétique, le Shift Project insiste sur l’électrification totale des usages, et pousse donc pour un accroissement net de la production électrique à base d’ENR et de nucléaire
  • Negawatt : rapport particulièrement intéressant, car il est le seul à proposer une vision complète et tenable en sortant du nucléaire. Un trio sobriété, efficacité, renouvelables dans des conditions plus ambitieuses que les autres rapports, et il insiste donc sur des changements d’usage et de modèle de société plus marqué et ambitieux. Des mesures prioritaires pour une sobriété et une efficacité accrue dans chacun des secteurs de la SNBC sont éclairantes sur les niveaux d’exigence et les enjeux d’un monde durable, sans nucléaire.
  • Rapport Rousseau : étude largement tournée vers les solutions à apporter, un focus particulier est mis sur l’importance du développement des “gaz verts”, et à l’importance du soutien à la décarbonation des modes de chauffages urbains, notamment collectif. Suavement, le débat ENR / nucléaire n’est pas tout à fait tranché et renvoie la balle au rapport RTE. Le rationnel coût / MWh, au centre de cette analyse, pousse tout de même vers les scénarios les plus nucléarisés, et des mesures de soutien au nucléaire, en plus du soutien aux ENR, sont suggérés par le rapport.

Que puis-je faire personnellement ?

Se renseigner bien sûr, mais le plus simple est avant tout de promouvoir une sobriété énergétique et de plébisciter ces usages autour de soi.

Quelques exemples ci-dessous de bonnes pratiques !

  • Limitation volontaire de la consommation de chauffage (coucou Ithaque Rénovation)
  • Augmentation de l’habitat partagé (vive la colocation Meilleurs Voisins !)
  • Recours massif au télétravail pour limiter la taille des bureaux et les déplacements (et pourquoi pas chez Outwork ?)
  • Ne pas céder à la frénésie avec un moindre équipement en matériel informatique (Allez voir ce que fait Ecodair pour avoir le baume au coeur)
  • Réduction de la taille et de la vitesse des véhicules
  • Systématiser le covoiturage (bonjour Karos)
  • Privilégier les transports collectifs
  • Prendre soin de ces équipements et le faire réparer pour allonger leur durée de vie
  • Privilégier une alimentation locale et moins transformée pour réduire l’empreinte du monde agricole (Merci RizeAg et Sysfarm)
  • Se balader avec une casquette éolienne fort chic (je dérive, vous aurez compris l’idée)

Conclusion : finis les éternels débats sur quelles doivent être les solutions à privilégier, il faut y aller plein gaz sur chacune d’entre elles, et les mettre en place. Côté personnel, faisons la chasse au gaspillage, preuve de sobriété, et soutenant toutes les initiatives de décarbonation dans notre environnement professionnel et personnel !

Le mot de la fin.

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Gregoire Guirauden
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I do my best to save the world, but I find it very tough.