Les Mystères du Grand Paris — 2.4

Saison 2 . Episode 4/15

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Une créature, un monstre, une bête

Résumé de l’épisode précédent: Gyn sort de boîte de nuit. Elle prolonge sa folle soirée un casque vissé sur les oreilles, alors qu’elle traverse Paris et sa banlieue direction le Val d’Oise. Arrivée à Conflans-fin-d’Oise, son passage au café Le Bouquet nous apprend que Gyn s’appelle Alex. Il mène une double vie: transformiste la nuit, chef de chantier le jour. Mais pas n’importe quel chantier! Celui sur lequel travaille Pierre; Alex est son supérieur. Celui à côté duquel Dylan avait surpris son père en pleine discussion à propos d’un monstre et d’une cryptozoologue…

→ Lire l’épisode précédent : “Gyn”

- Ecoute ça Georges : “L’Oise est une rivière du bassin parisien au nord de la France et en Belgique, principal affluent de la Seine “… Pourtant je continue de me faire avoir, et de passer par Wikipédia pour mes recherches… Alors que des perles comme ça j’en ramasse à chaque fois que je me connecte. Quel charabia ! Parfois, oui, on y trouve des anecdotes intéressantes, entre rumeurs et bêtises, tout ça bien mélangé. Tu sais ce que je pense de tout ça George ? Bien entendu que tu sais : une bêtise est un fait prouvé faux ; une rumeur peut être vraie tant qu’on n’a pas prouvé le contraire.

- Ok, mais pourquoi est-on ici ? Ils en parlent déjà, sur wikipédia, de cette bête ?

- Aucune trace, pour le moment. L’histoire est certainement trop fraîche. Mais les trois endroits où on l’aurait vue sont à quelques mètres d’une rivière. De l’Oise ou de l’Epte.

Tous deux s’abiment dans la contemplation du bord de l’eau. On les dirait peu convaincus, tant la rive et la rivière semblent paisibles. Du bucolique aménagé. Presque l’ennui, sous le beau facile. Est-ce qu’il peut se passer quelque chose d’effrayant ici ? Est-ce qu’un monstre peut surgir d’un paysage aussi cool ?

Cryptozoologue de métier, Jade Myre regardait son téléphone. Une lueur grandissait dans son regard, celle de l’excitation. Une excitation folle, rendant Jade plus vivante que jamais. Ce sentiment la parcourait depuis qu’on l’avait contactée, lui glissant quelques mots à propos d’une rumeur. Une créature, un monstre, une bête. Elle parcourait l’Oise, à la recherche de proies. Oui, un monstre marin, c’était exactement ce dont elle avait besoin pour lancer un nouvel épisode de son émission. Alors elle était venue en repérage avec Georges, son cameraman. Si elle arrivait à prouver la véracité de cette rumeur, elle aurait un véritable scoop et pourrait tourner les premières scènes.

Derrière elle, Georges s’occupait des derniers réglages de la caméra. Il avait insisté pour la ramener et faire quelques tests de tournage. De plus, Jade n’aurait jamais voulu repérer les lieux sans une caméra pour filmer si la créature venait à se montrer. Georges était une caricature typique d’un rugbyman, haut de son mètre quatre-vingt-dix, large d’épaules, il aurait fait un parfait troisième ligne (centre). Il était tellement absorbé par sa tâche qu’il ne prenait plus la peine de répondre à Jade, de toute manière elle passait son temps à parler, elle était toujours comme ça quand elle était excitée. Il fallait lui laisser le temps de redescendre un peu de son ivresse émotionnelle.

Devant elle, l’éclat brillant de l’Oise lui donnait une impression de grandeur et de fierté. Les reflets du soleil et des arbres à sa surface la rendaient presque vivante. Un léger courant emportait les détritus. Elle se purgeait de toutes ces saletés qui la souillaient, c’était un long mouvement continu, depuis la source jusqu’à l’endroit où la rivière rejoint la Seine.

- Après Conflans-Sainte-Honorine c’est ça ?

Jade observait la rive, et celle d’en face. Est-ce un décor ? Elle aime la nature, la trouve magnifique lorsqu’elle déploie toute sa puissance pour combattre toute forme d’adversité. Mais là… Si cette bête est réelle, est-ce qu’elle n’est pas la réponse parfaite à la pollution qui bousille les cours d’eau, l’air et la terre. Polluer, c’est le quotidien de l’humanité, chaque geste que nous faisons amplifiant encore un peu plus le phénomène. Jade n’est pas ce qu’on pourrait appeler une écologiste mais à ce moment précis, en voyant une brique de jus d’orange emmenée au loin par le cours d’eau, elle ne peut s’empêcher d’éprouver du dégoût à l’encontre de ses semblables.

- Si on trouve des trucs concrets, sur ce monstre marin, j’ai bien envie de demander si ce ne pourrait pas être une espèce mutante, liée à la pollution… A force de boire du jus d’orange…

- Hein ?!

- La nature, rendue furieuse par la pollution… Elle sort de ses gonds, présente un visage monstrueux — mais c’est la faute de l’homme — et elle se retourne contre l’homme pollueur, l’homme saccageur…

- Mmmm

- Je tiens un truc.

Jade Myre sort de cette espèce de rêverie et son regard se pose sur son reflet, sur ses propres yeux. Ses yeux que la rivière utilisait actuellement pour la sonder, la jauger en retour. Elle pouvait ainsi observer sa chevelure blonde platine, virevoltante sous son gambler, chapeau qu’elle avait acheté après avoir regardé Le Bon, la Brute et le Truand. Elle remarqua avoir mis des vêtements légèrement trop courts ; elle dépasse, la dentelle de ses sous-vêtements. Mais après tout pourquoi pas ? Elle aurait plus de facilité à soutirer des informations. De plus ça lui fait perdre au moins dix ans. Elle redresse la tête :

- Tu as fini avec le matériel ? Il faut qu’on commence, je dois voir du monde, trouver des témoins, essayer de tirer le faux du vrai pour comprendre ce qu’on recherche et comment le chercher.

Georges semble embêté.

- J’ai fini les réglages, mais je ne sais pas si on va pouvoir tourner aujourd’hui, j’ai oublié les batteries de rechange.

- Prends la jeep, je t’appellerai plus tard pour que tu me rejoignes. Je vais longer la rive, parler à des pécheurs et aux vieilles qui promènent leur chien. Si je tombe sur des Japonais à la recherche de Van Gogh, je les enregistrerai avec mon téléphone.

- T’es quand même bien à vingt bornes d’Auvers-sur-Oise, ici.

Elle pianote sur son smartphone.

- Non regarde : en suivant la rive ça ne fait que neuf kilomètres. Je dois pouvoir pécher du Jap !

Elle se retourna sans laisser le temps à George de lui répondre et commença à trottiner le long de la rivière. Elle ne s’arrêta que lorsqu’elle put observer une poule d’eau au bord de l’eau. Celle-ci, dans un petit renfoncement coupé du courant, avait fait son nid dans du roseau et semblait couver ses œufs. Une deuxième poule d’eau viendrait bientôt la relayer, mais Jade n’avait pas de temps à perdre avec ça, elle aurait d’autres occasions de le voir. Elle s’éloigna donc en glissant à l’oiseau : “J’adore ton espèce !”. Elle marcha ainsi une bonne demi-heure avant de croiser une première personne. C’était un homme, il devait avoir la cinquantaine et pêchait tranquillement, assis dans une chaise longue, sirotant une Hoegaarden. Sa bière semblait on ne peut plus fraîche, et donna immédiatement soif à Jade. Elle se planta devant l’homme, un large sourire aux lèvres !

- Bonjour monsieur ! Excusez-moi, je suis cryptozoologue…

- Hein ?!

- Cryptozoologue.

- C’est un défaut ou une qualité ?

- Un métier, c’est mon métier… ça consiste à étudier des espèces dont l’existence n’est pas encore prouvée.

- “dont l’existence est pas encore prouvée”… Continuez…

- J’ai entendu parler d’une rumeur concernant une créature ici, une bête qui parcourrait le Val d’Oise, et plus particulièrement l’Oise, est-ce que ça vous dit quelque chose ?

L’homme la jauge rapidement, il s’attarde quelques secondes de trop sur sa chemise trop courte avant de répondre d’une voix sèche :

- Rien du tout. J’écoute pas les rumeurs et je n’ai rien vu d’inhabituel alors que je pêche ici tous les jours. Si vous voulez mon avis…

“Non, je ne t’ai pas demandé ça”, pensa-t-elle agacée.

- …les rumeurs c’est rien qu’une perte de temps. Ça amuse la galerie parce que la galerie elle adore se faire peur, mais sinon…

Il lui fit un signe de main pour qu’elle s’éloigne et reprit sa pêche. En s’éloignant, Jade vit une ombre passer sous l’eau, la canne du pêcheur se mit à teinter et il se précipita dessus. Trop tard, la canne s’en allait, tirée dans le sens du courant. Était-ce la créature ? Impossible de l’affirmer, la canne était un modèle assez léger, une grosse carpe aurait pu l’emporter. De plus, bien que l’ombre lui était apparue plus grosse que la moyenne, elle ne dépassait peut-être pas la taille d’une grosse truite.

Trois cent mètres plus loin, un autre pécheur lui adressa un beau sourire :

- Ni grosse ni petite ! Y’a pas de carpe ici, c’est bon pour les bassins, les douves des châteaux. Et les truites c’est pour des rivières plus tourmentées, ou des torrents. Vous voulez que j’vous donne un cours particulier ?

Jade continua sa balade encore quelques heures, croisant plusieurs personnes. Un jeune garçon lui raconta comment il avait entendu des grognements la nuit près d’une autre rivière du Val d’Oise, l’Epte. Il lui apprit qu’elle pouvait y faire des descentes en canoë si elle le souhaitait, pour être plus proche de l’eau. Jade décida qu’elle irait y faire un tour à l’occasion. Bien que personne ne semblait réellement au courant de la rumeur, plusieurs personnes purent lui donner des témoignages pouvant mettre en cause une espèce inconnue.

Alors que la journée était bien avancée, Jade estima qu’elle avait assez cherché pour la journée, qu’elle avait eu assez d’informations pour pousser un peu plus loin ses recherches. Maintenant, il ne lui restait plus qu’à trouver un moyen de rentrer. Elle voulut prendre son téléphone pour appeler Georges, il pourrait revenir avec la jeep en moins de trente minutes, mais ne l’y trouva pas. Après avoir fouillé son sac pour la troisième fois et vidé toutes ses poches, elle fut obligée d’admettre qu’elle l’avait perdu ou oublié dans la voiture, elle aurait besoin de trouver une autre solution pour rentrer.

Texte: Ronan Kencker & Arno Bertina (suivez le journal de bord du feuilleton sur Remue.net) / Dessins au feutre: Dorothée Richard/ Musique: PAVANE

Episode suivant : Danse macabre

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