Sarah Frikh, la lanceuse d’alertes pour les femmes SDF

Arièle Bonte
Sans A_
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5 min readNov 5, 2020
© Chloé Sharrock / Sans A_

Initiatrice du mouvement Réchauffons Nos SDF, aujourd’hui constitué en association, et autrice de la pétition « Des centres d’hébergement pour les femmes SDF », Sarah Frikh, ancienne enquêtrice et négociatrice dans une grande radio nationale, mobilise aujourd’hui plus de 400.000 personnes autour d’une même cause : la mise à l’abri de femmes et d’enfants vivant dans la rue.

Que se passe-t-il quand plus de 400.000 personnes unissent leurs forces et leurs ressources pour sortir des femmes de la rue ? Sarah Frikh le sait, les choses peuvent aller très vite. Une fois un profil identifié et vérifié, elle lance une alerte à sa communauté et une journée peut suffire pour lui trouver un toit temporaire et lui faire livrer vêtements et nourriture. Le processus est déjà bien rôdé et a permis à une centaine de femmes de dormir à l’abri ou de bénéficier de produits de première nécessité. « Encore hier, nous avons apporté à une maman qui vit dans la rue des vêtements pour son nourrisson. » La semaine précédente, Maria pendait sa crémaillère après plusieurs années passées dans un parking de Puteaux.

Comment Sarah Frikh, ancienne enquêtrice et négociatrice pour une grande radio nationale, a-t-elle réussi à mobiliser autant de personnes autour de cette cause ? Tout est parti d’une pétition, lancée en 2017 sur la plateforme change.org.

Rencontre avec le père Noël des Champs-Élysées

Sarah Frikh est alors engagée depuis de longues années pour la cause des personnes sans-abris. Déjà, petite, elle raconte qu’elle était « très naïve » et croyait « qu’on pouvait acheter un immeuble comme une baguette de pain ! », s’amuse-t-elle. À sa mère, elle explique qu’elle en achètera plusieurs pour mettre à l’abri celles et ceux qui vivent dans la rue. « Je ne comprenais pas comment des gens pouvaient dormir dehors », explique-t-elle aujourd’hui.

La prise de conscience de l’âge adulte et la réalité du marché immobilier ne lui font pourtant pas perdre de vue son envie d’aider. Il y a environ douze ans, la quarantenaire organise avec des proches des « maraudes silencieuses » et un Noël des SDF pour leur apporter des « sacs de survie », comportant des produits de première nécessité et vêtements chauds pour passer l’hiver. Le mouvement Réchauffons Nos SDF est né et se poursuit les années et saisons suivantes. La lanceuse d’alerte envisage alors Réchauffons Nos SDF comme « un mouvement citoyen, avec une ambition nationale ».

En parallèle, elle fait la connaissance de Michel Baldy, « Mich-Mich » pour les intimes, un homme sans-abri qui s’est installé derrière la radio où l’enquêtrice travaille, principalement sur des affaires d’arnaques mais aussi des rapatriements de familles en danger. « J’ai réalisé que j’avais un auditeur qui dormait dans la rue, derrière la radio, c’était cocasse ! », confie celle qui a noué un lien d’amitié avec l’homme, connu pour être « le père Noël des Champs-Élysées ». La maraudeuse l’aidera à réaliser deux rêves : devenir gardien d’immeuble et sortir de la rue.

Une pétition signée par plus de 400.000 personnes

En parlant de son vieil ami aujourd’hui décédé, Sarah Frikh a le sourire aux lèvres. L’homme l’a beaucoup inspirée. « Il m’a expliqué les difficultés du retour à la vie normale : ne pas pouvoir dormir dans un lit, ouvrir tout le temps les fenêtres, et la solitude ». Michel Baldy tombe ensuite malade. Trois cancers à la suite. « Dès qu’il a pu relâché son corps, celui-ci n’a pas tenu ». La veille de « son départ », son amie lui rend visite à l’hôpital. « Avant de partir, il m’a dit de continuer ce que je faisais mais de ne pas oublier les femmes SDF ». Étonnée, Sarah Frikh lui répond qu’elle n’en voit pas beaucoup. « Ouvre les yeux et elles viendront à toi », lui assure le gardien d’immeuble.

La demande de Mich-Mich reste dans un coin de la tête de la future lanceuse d’alerte. Un jour, elle entend à la radio le témoignage de Anne Lorient, une femme qui dit avoir vécu 15 ans dans la rue. Elle vient de publier son autobiographie, Mes années barbares. Les deux femmes se lient d’amitié. « À partir de là, c’est comme si on m’avait enlevé des œillères ». Les femmes dans la rue, qui composent environ 40% des personnes SDF, ne sont plus invisibles à ses yeux. Sarah Frikh en voit partout et ne pense plus qu’à elles : comment les aider ?

« Je me souviens très bien, j’étais sur la table de mon salon et je me suis demandée quelle était la meilleure façon de rassembler les gens autour de cette cause ». C’est ainsi que lui vient l’idée de lancer la pétition, « Des centres d’accueil pour mettre les femmes SDF en sécurité ». « Elle a pulvérisé les records », s’étonne encore aujourd’hui la lanceuse d’alerte, trois ans après sa mise en ligne.

Aujourd’hui, « le mouvement a pris beaucoup d’ampleur » et la communauté se mobilise à tout moment pour venir en aide à des femmes, seules ou avec enfants. Il y a celles qui les hébergent de façon temporaires, ceux qui se portent garants pour la location d’un appartement, ou qui font livrer des vêtements et de la nourriture. Bien sûr, les hommes SDF ne sont pas mis de côté et Réchauffons Nos SDF, constitué en association depuis juin dernier, continue de leur apporter de l’aide. « On fait beaucoup de choses pour les hommes comme pour les femmes SDF mais on ne communique pas sur tout », détaille la fondatrice de l’association. « Mais aujourd’hui, à la demande des hommes SDF, j’appuie sur la question des femmes ».

Précarité menstruelle, IST, viols… la réalité des femmes sans-abris

Depuis le lancement de la pétition, plusieurs centres, notamment à Paris et Levallois-Perret, ont ouverts. Mais la lanceuse d’alerte ne cache pas non plus sa déception face au gouvernement, qui s’est pourtant engagé, dès le début du quinquennat, à faire de l’égalité entre les femmes et les hommes sa « grande cause nationale ».

« Marlène Schiappa est la personnalité politique qui m’a le plus sidérée et déçue », lâche celle qui veut qu’on médiatise davantage le sujet des femmes SDF. Car les tabous perdurent encore, et les problématiques sont nombreuses. Précarité menstruelle, contraception, accouchement, infection sexuellement transmissibles, agressions sexuelles, viols, énumère celle dont les actions ne manquent pas pour faire cesser ce fléau.

Cet hiver, la militante prévoit la préparation de 200 sacs de survie pour aider les personnes sans-abris à passer l’hiver. Une cagnotte sera prochainement par ailleurs être mise en ligne, avec le concours de Sans A_, pour permettre au grand public de financer des nuitées en chambres d’hôtel à des femmes sans-abris. Le grand projet de Sarah Frikh ? Monter son propre centre d’hébergement et accompagner cinq à six femmes vers la stabilisation. Une vingtaine ont déjà pu retrouver une vie normale grâce à la communauté de Réchauffons Nos SDF. Qui sait ce dont elle serait capable avec plus de moyens ?

Texte : Arièle Bonte/ Photographies de Chloe Sharrock

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