Anticiper le futur de la mobilité grâce à l’IA
La mobilité urbaine est en pleine rupture avec le passé. L’augmentation de l’urbanisation couplée à l’urgence environnementale, à la multiplication des modes et à la congestion des réseaux, entraîne de nouvelles problématiques pour les pouvoirs publics et de nouvelles difficultés pour les habitants. En effet, avec une surreprésentation de l’utilisation de la voiture pour les déplacements quotidiens, la mobilité représente un enjeu particulièrement fort pour les organismes de santé publique et les collectivités, et ce en complément des objectifs écologiques (de réduction des gaz à effet de serre et des particules fines). Tous ces défis sont autant d’impulsions qui accélèrent la transformation de la mobilité. Et comme tout changement, cette transformation nécessite une certaine anticipation. Car si les innovations technologiques peuvent en partie répondre à toutes ces questions, il n’en reste pas moins de nombreuses zones d’ombre qui poussent la réalisation d’études prospectives pour éclairer l’avenir et guider l’innovation. Pour ce faire, ces études doivent notamment pouvoir s’appuyer sur la compréhension des déterminants qui façonnent nos comportements de mobilité.
Mais comment faire pour comprendre et pour anticiper parfaitement la mobilité d’une ville sachant qu’il s’agit d’un problème avec un très grand nombre de variables inconnues et interdépendantes ?
Pour vous donner une réponse courte, c’est impossible
Pour la réponse longue, disons que c’est seulement possible en utilisant un intermédiaire entre le système réel et les réponses aux questions que l’on se pose. Cet intermédiaire, il s’agit d’un modèle, c’est-à-dire une représentation partielle de la réalité, suffisamment simplifiée pour que l’on puisse l’étudier, et suffisamment détaillée pour obtenir des réponses pertinentes aux questions posées. Des modèles, nous en utilisons tous les jours : la carte du GPS de votre voiture, par exemple, n’est qu’une représentation schématique de l’environnement dans lequel vous conduisez. Néanmoins, ce modèle de la réalité vous permet de naviguer sur le réseau routier et d’atteindre votre destination.
Ainsi, il est possible de faire des modèles de mobilité pour mieux comprendre et anticiper le futur en fonction de différents scénarios prospectifs (développement de l’usage du vélo, création de nouvelles zones piétonnes, …). L’outil informatique peut ensuite aider à animer ces modèles, i.e. les rendre dynamiques. On entre alors dans le monde de la simulation informatique, un outil devenu indispensable pour l’étude des systèmes complexes.
A partir de là, il est important de comprendre qu’un modèle produira des réponses pertinentes à la mesure des connaissances expertes et des données que l’on pourra lui fournir en entrée. Pour revenir sur l’exemple de la navigation GPS, son aide est pertinente parce qu’il a intégré certaines notions du code de la route et qu’il récupère des données sur l’état du trafic en temps réel.
Récupérer des données est donc un prérequis essentiel
Par exemple, la reconnaissance d’image et les algorithmes de Deep Learning (ou apprentissage profond) permettent de récupérer massivement de nombreuses informations sur la mobilité. Plus besoin d’installer des dispositifs mécaniques de comptage, aujourd’hui un simple flux vidéo (issu par exemple d’une caméra de sécurité) permet non seulement de compter les objets en mouvement mais aussi de les classifier automatiquement (reconnaître s’il s’agit d’automobiles, de bus, de piétons, de vélos, …) et d’enregistrer leurs caractéristiques et leurs trajectoires. C’est d’ailleurs l’un des objectifs pour Scalian dans le cadre du projet Comp4Drones.
Autres ressources, la disponibilité grandissante des données ouvertes (Open Data) misent à disposition par les pouvoirs publics et les collectivités. Ainsi, il est possible aujourd’hui de récupérer des centaines de couches géographiques (couches SIG) capables de fournir des informations précieuses sur un territoire en temps réel. D’autant plus précieuses qu’il est possible de créer de nouvelles connaissances intermédiaires en les croisant et en les pré-traitant.
Enfin, les enquêtes ménages-déplacements (ou enquêtes déplacements) représentent l’apport ultime des données de mobilité sur les villes de France. Ces grandes enquêtes standardisées par le CEREMA fournissent des indicateurs précieux sur le déplacement des citoyens (mode de transport, trajets domicile-travail, …).
Toutes ces données nous permettent de mieux comprendre la mobilité, et sont autant de briques permettant aux experts de créer des modèles. Un modèle, nous l’avons compris, est une simplification de la réalité qui permet de faire des diagnostics et des prédictions en fonction de données d’entrée.
Par le biais des modèles, on peut faire de la simulation et ainsi anticiper le futur
Historiquement, le domaine de la simulation de la mobilité repose majoritairement sur la simulation mathématique du trafic routier à partir de lois inspirées de la physique et de la thermodynamique (par exemple les lois de poursuite, les lois de génération de véhicule, …). Cependant, ces lois mathématiques n’offrent que des réponses globales, génériques, voire désincarnées car elles ne rendent pas compte des phénomènes de mobilités qui, par leur richesse, sont très complexes (sans compter les comportements humains qui peuvent parfois se révéler irrationnels).
Plus récemment et pour pallier aux limites des modèles mathématiques, une nouvelle classe de modèles issue de l’intelligence artificielle collective est en plein essor :
Les systèmes multi-agents (ou modèles à base d’agents)
Ces nouveaux modèles permettent de faire de la simulation comportementale. Ils permettent de simuler la mobilité à partir d’entités individualisées, c’est-à-dire de prendre en compte individuellement chaque habitant, ses caractéristiques, ses motivations et de les faire évoluer dans une ville artificielle.
Là où les modèles classiques reposent généralement sur des systèmes d’équations et font disparaître les individus, les modèles à base d’agents permettent de recentrer l’humain au cœur de la simulation et de prendre en compte les caractéristiques comportementales dans les études prospectives.
L’exemple du projet HealthKer illustre l’intérêt de ce type de modèles pour la mobilité. Le but du projet est de lier la mobilité avec la pollution de l’air dans la ville de Rennes. Ce projet est financé par L’Union Européenne via le Fond Européen Développement Régional (FEDER) et par la Région Bretagne.
Ce que Scalian propose avec le projet HealthKer, c’est un intermédiaire pour comprendre la ville d’aujourd’hui et réfléchir à la ville de demain par une approche à la fois systémique et transdisciplinaire.
En combinant la prise en compte des comportements humains, la simulation et les données issues de l’Open Data et de capteurs, la solution proposée permet d’anticiper les liens complexes entre les comportements de mobilité et leurs effets sur la qualité de l’air à l’échelle de la ville. Basé sur le paradigme des systèmes multi-agents, HealthKer modélise les déplacements quotidiens des habitants de Rennes, permettant ainsi d’estimer très localement les émissions de gaz à effet de serre et de particules fines. La fiabilité de ces estimations se voit renforcée par l’utilisation de données mesurées par des stations et des prototypes de capteur à bas coût.
Ce projet en partenariat avec l’université Rennes 1, la société Eegle et l’association AirBreizh, s’inscrit dans le contexte du projet emblématique du groupe Scalian, qui cherche à améliorer la santé dans la ville. L’idée est de connecter de manière directe les informations sur le fonctionnement de la ville avec leurs conséquences sur la santé de ses habitants, afin d’influencer et de modifier en profondeur, tant les comportements individuels que les politiques publiques. Tous les facteurs de risque seront abordés, certains assez bien connus, comme les pollutions de l’air ou de l’eau, d’autres beaucoup plus enfouis, comme l’effet des déplacements urbains sur la propagation des épidémies, ou encore les conséquences de conditions météo particulières sur des accidents liés à des activités quotidiennes ou exceptionnelles.
Autre projet dans ce domaine, Scalian développe TERAI, un outil capable d’anticiper l’impact de différents scénarios d’implantation des tiers-lieux pour changer durablement la répartition des trajets domicile-travail à l’échelle d’un territoire (commune, métropole, département). Les tiers-lieux (coworking, fablab, makerspace, …) sont de nouveaux espaces hybrides entre le domicile et le travail qui modifient sensiblement notre mobilité quotidienne et favorisent la sociabilité. L’objectif est de devenir une aide à la décision pour les projets d’implantation, aussi bien pour les territoires saturés que pour les territoires à revitaliser. Cette solution innovante participera également à la valorisation des données ouvertes et à l’identification de lieux inattendus, souvent victime d’un abandon territorial.
Étroitement liée avec notre conception de la société et des territoires, la mobilité est un aspect majeur de nos vies. L’IA peut aider à anticiper l’effet des nouvelles technologies (nouvelles modalités, véhicules autonomes, ...) et des politiques publiques (piétonisation, voies de bus, aménagements, …) à la hauteur des enjeux écologiques et économiques. Néanmoins, les résultats des modèles doivent être interprétés par des experts avant leur communication au plus grand nombre, et ce dans la limite stricte du périmètre pour lequel ils ont été conçu. Et si les résultats d’études en simulation se révèlent précieux pour éclairer les prises de décisions, ils doivent avant tout servir à orienter des études de terrain plus approfondies. L’apport de l’IA pour anticiper le futur de la mobilité n’en est pas moins considérable et transforme notre manière de concevoir la ville de demain.
Thomas Huraux, docteur en IA, est spécialisé dans le développement de simulateurs utilisant des modèles à base d’agents. Son expertise porte notamment sur l’étude des comportements humains et la modélisation de la mobilité.
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