La communication engageante, un paradigme qui relie les idées à l’action

L.Ouissam Baidada
SCIAM
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6 min readOct 11, 2022

Une réponse aux limites de la communication classique

Les recherches scientifiques réalisées dans le domaine du changement de comportements ont montré que la majorité des campagnes de sensibilisation s’appuyant sur l’information et la persuasion ne sont pas efficaces en matière d’obtention de comportements cibles (voir, Petty, Brinol, & Priester, 2008). Plusieurs méta-analyses ont appuyé ce constat dans des différents domaines (e.g., les économies d’énergie, la consommation de tabac ou d’alcool). Par exemple une méta-analyse a été réalisée sur 350 campagnes de sensibilisation visant la protection contre le Sida (Albarracin, Durantini, & Earl, 2006) a montré que ces interventions de prévention n’ont pas pu changer les comportements à risque. Cependant, elles étaient efficaces pour changer les attitudes et le savoir et ont permis aux individus concernés d’acquérir de nouvelles connaissances. La communication persuasive est donc nécessaire pour changer les opinions et les connaissances, mais elle demeure insuffisante pour inciter les individus à passer à l’action et s’inscrire dans un processus comportemental, même s’ils sont convaincus de l’importance du comportement et qu’il s’agit de leur propre intérêt et/ou de l’intérêt commun.

Les limites de la communication persuasive en matière de changement de comportement ont conduit les chercheurs experts du sujet à focaliser leurs travaux sur la question suivante : Comment parvenir à changer les comportements et pas seulement les attitudes dans le domaine de la sensibilisation et de la communication ? En d’autres termes, comment peut-on lier les idées aux actes ? Ces questionnements renvoient au mécanisme sous-jacent à la problématique relative aux limites de la communication persuasive : L’implication de l’individu et son sentiment de responsabilité interne. Ceci souligne l’intérêt à inscrire les stratégies de la communication préventive dans un processus d’engagement. Sur la base de ce développement, Joule, Py et Bernard (2004) posent les jalons du paradigme de la communication engageante, en établissant un pont conceptuel entre la théorie de la persuasion et celle de l’engagement, pour obtenir à la fois la formation ou le changement d’attitudes et les comportements recherchés.

Image provenant du site Pixabay

Le paradigme de la communication engageante propose donc une reformulation de la question de Lasswell (1948) qui organise les stratégies de la communication de masse, en ajoutant un nouvel élément permettant d’impliquer l’individu dans le message « Qui dit ? Quoi ? A qui ? Par quel canal ? Avec quels effets comportementaux ? Et en lui faisant faire quoi ? ». Cet élément est appelé dans le cadre de ce paradigme l’acte préparatoire. Il permet de faire basculer le statut de l’individu d’un simple récepteur passif à un acteur engagé. Il facilite l’intégration et la mémorisation des informations diffusées dans le message persuasif (Goncalves, 2010) et augmente la probabilité d’émission de comportements futurs en consistance avec les attitudes formées.

La procédure de ce paradigme s’applique en deux étapes principales :

· L’acte préparatoire

Dans un premier temps, l’individu est amené à réaliser un acte préparatoire. Cet acte peut être seul ou une combinaison d’actions. Il doit être adapté aux spécificités de la population cible. Il peut prendre plusieurs formes (i.e., répondre à un questionnaire, signer une pétition, participer à une enquête, etc…). Il doit être réalisé dans un contexte d’engagement (contexte de liberté, sans rémunération, sans menace ou punition) et doit répondre à un ensemble de critères tels que : (1) la consistance (il doit converger avec le contenu du message persuasif et le comportement cible) (2) le coût d’émission de comportement (il doit être peu couteux en énergie, en temps et en effort) (3) le caractère public de son émission et (4) le respect du délai entre sa réalisation et les étapes qui suivent.

Le choix d’un acte préparatoire efficace repose sur : l’étude de plusieurs facteurs relatifs aux caractéristiques de la population cible, le domaine du comportement recherché et le degré d’intensité dans le processus de l’identification de l’action.

Image provenant de Pixabay

· L’exposition au message persuasif

Dans la deuxième étape, les individus doivent être exposés au message persuasif. Ce dernier doit remplir certains critères : (1) respecter les facteurs majeurs de la persuasion (i.e., les caractéristiques de la source, la conception du message, le contexte de transmission et les spécificités de la population cible) et (2) répondre aux questions permettant d’optimiser l’efficacité de la communication persuasive (voir, Girandola, 2003, 2005), telles que :

  • « Quels sont les arguments auxquels cette cible-là sera sensible ? »,
  • « Quelles sont les bonnes informations à transmettre à cette cible-là ? »,
  • « Quels sont les canaux, outils, médias, les plus appropriés ? ».

Cette étape doit s’appuyer également sur les modèles portant sur les processus de persuasion (i.e., le modèle de probabilité d’élaboration (ELM), le modèle de la réponse cognitive, le modèle de l’autovalidation).

Validation empirique

Afin de tester la validation empirique de la communication engageante, Hoaurau, Joule et Milhabet (2002) ont appliqué les deux étapes principales de ce paradigme auprès de 60 ménages de la région PACA avant de leur proposer de réaliser un comportement couteux en faveur des économies d’énergie. Selon les résultats toutes les familles acceptent de réaliser l’acte préparatoire, et une majorité s’est déclarée favorable à la réalisation de plusieurs actes. De plus, 88% des familles déclarent leur engagement en faveur des comportements cibles et la moitié de la population totale déclare maintenir ce comportement à long terme.

Depuis la conception de la communication engageante et sa validation empirique, une série d’expérimentations en laboratoire et sur le terrain a été mise en place dans l’objectif d’optimiser les actions d’utilité sociale visant le changement de comportements de masse. Les résultats de l’ensemble de ces applications ont appuyé l’efficacité de la communication engageante et sa capacité à augmenter les possibilités d’obtenir les comportements recherchés. Par exemple, grâce à la communication engageante, 65% des familles ont accepté le don de cornée de leurs défunts contre 15% des familles qui ont reçu un argumentaire persuasif (Joule, Bernard, Geissler, Girandola, & Halimi-Falkowicz, 2010). Dans le domaine de l’écocitoyenneté 56% des usager de plage ayant réalisé la démarche de la communication engageante ont utilisé un produit de lavage écolabel comparé à 24% ayant été exposés à la persuasion classique. Dans une autre étude visant le même domaine et une population cible similaire, le nombre de mégots jetés dans le sable a été réduit de manière significative dans une démarche de communication engageante (90 mégots en moyenne par jour vs. 174 mégots).

Conclusion

La communication engageante est une démarche visant le changement de comportement via l’articulation de la persuasion et de l’engagement. Sa procédure consiste à précéder l’exposition de la population cible à un argumentaire persuasif qui respecte les règles de la persuasion par un acte préparatoire bien étudié. Son application peut concerner un groupe social très réduit ou très large [e.g., des grandes villes, voir Joule, Py et Bernard, 2004)]. Elle peut être appliquée dans les différents domaines de la vie quotidienne selon une éthique qui respecte le bien commun.

Pour aller plus loin :

Eagly, A.H., & Chaiken, S. (2005). Attitude research in the 21st century: the current state of knowledge. In D. Albarracín., B.T. Johnson., & M.P. Zanna (Eds.), The handbook of attitudes (pp. 743–767). Mahwah, NJ. Lawrence Erlbaum Associates.

JOULE, R. Girandola, F. & Bernard, F. (2007), « How can people be induced to willingly change their behavior ? The path from persuasive communication to committing communication », Social and Personality Psychology Compass, 1, p. 493–505.

Girandola, F. & Joule, R. (2012). La communication engageante : aspects théoriques, résultats et perspectives. L’Année psychologique, 112, 115–143. https://doi.org/10.3917/anpsy.121.0115

Maxwell, T. (2022). Les défis épistémologique, théorique et méthodologique d’une stratégie de communication engageante. Communication. Information médias théories pratiques, 39(1)

Vandenberghe, C. (2019). Engagement organisationnel. Dans : Gérard Valléry éd., Psychologie du Travail et des Organisations : 110 notions clés (pp. 179–182). Paris: Dunod. https://doi.org/10.3917/dunod.valle.2019.01.0179

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L.Ouissam Baidada
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Docteure en psychologie sociale, experte en sciences comportementales et consultante chez SCIAM !