Pourquoi SCIAM veut réconcilier recherche et entreprises dans les Sciences Cognitives ?

Brent Strickland
SCIAM
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6 min readFeb 13, 2020
Image par Gordon Johnson de Pixabay

Je travaille principalement en tant que chercheur en sciences cognitives.

Je me considère avant tout comme un scientifique qui scinde son temps entre la direction de projets de recherche et de doctorants à l’ENS-Ulm/Institut Jean Nicod et la nouvelle Ecole d’Intelligence Collective de l’UM6P au Maroc, où j’occupe le poste de directeur scientifique. En complément, je consacre du temps au projet SCIAM, en tant qu’expert-conseil pour lancer de nouvelles offres s’appuyant sur les connaissances issues des sciences cognitives et répondant à des problématiques concrètes. Je développe, dans la suite de cet article, les raisons pour lesquelles je suis convaincu de l’importance du projet SCIAM, aussi bien pour les entreprises que pour la communauté française de la recherche.

SCIAM rassemble des compétences capables d’adapter des outils, des méthodes et des théories issus des sciences cognitives répondant aux problèmes concrets de ses clients

Pour celles et ceux qui ne seraient pas familiers avec les sciences cognitives, il s’agit d’une approche scientifique visant à comprendre comment l’esprit traite l’information. L’approche est hautement quantitative et s’appuie généralement sur l’application de la méthode des tests contrôlés randomisés pour appréhender les mécanismes neurologiques sous-jacents responsables des comportements humains. Les sujets d’études couvrent notamment les biais cognitifs, l’attention, la mémoire, le traitement du langage, le raisonnement moral, la cognition sociale et la motivation. Certains domaines de la psychologie cognitive ont atteint un niveau de maturité tel qu’il est désormais possible de prédire de manière fiable, au moins d’un point de vue statistique, les “mauvais” comportements et d’identifier les moyens les plus efficaces de les corriger.

SCIAM développe des offres qui trouvent leur ancrage dans les sciences cognitives, en adressant des problématiques telles que l’engagement des salariés, la simplification administrative ou la cybersécurité. Considérons la cybersécurité à titre d’exemple. La plupart des victimes d’escroqueries par phishing sont d’abord victimes de leur inattention. Ces personnes ne remarquent pas qu’un courriel ou un lien provient d’une source suspecte : l’information est déguisée et semble provenir d’une source légitime. Or, au cours des vingt dernières années, les psychologues cognitifs ont beaucoup appris sur les phénomènes psychologiques connexes tels que la “cécité d’inattention”, qui expliquent pourquoi nous finissons par ne plus “ voir” les informations les plus importantes alors qu’elles sont juste sous nos yeux.

Image par methodshop de Pixabay

La littérature scientifique regorge désormais d’études qui ont débouché sur des moyens fiables de diminuer la cécité d’inattention. Entre autres, une étude de Wolfe, Horowitz et Kenner montre que la fréquence à laquelle une “cible” (imaginez par exemple des contrôleurs dans les aéroports passant leur temps à regarder très attentivement les images scannées de sacs sur des écrans pour s’assurer qu’il ne s’y trouve aucun objet interdit) apparaît dans les essais est inversement corrélée à la probabilité de remarquer cette dernière lorsqu’elle est présente. En appliquant ce principe aux escroqueries par phishing, cela signifie que si vous êtes peu souvent confronté(e) à des tentatives d’un type spécifique (par exemple, celles liées à votre compte bancaire), alors le jour où elles sont réelles, vous risquez plus probablement d’en être victime. Ce qui suggère une méthode de résolution simple : implémenter un moyen d’augmenter artificiellement la fréquence d’exposition à des tentatives d’escroqueries par phishing du type concerné (par exemple, en créant de fausses escroqueries).

C’est en se basant sur ce type de connaissances que SCIAM est en train de créer, entre autres, de nouveaux jeux d’entraînement destinés à réduire la probabilité d’être victime d’une escroquerie. En parallèle, SCIAM met en place des protocoles pour évaluer l’efficacité de ces derniers à l’aide d’essais contrôlés randomisés (la méthode de test prédominante en psychologie cognitive). Je mentionne spécifiquement cet exemple pour vous permettre de mieux toucher du doigt la réalité du projet SCIAM vis-à-vis de l’application des sciences cognitives.

Le modèle actuel de collaboration entre entreprises et chercheurs ne répond aux attentes ni des unes ni des autres

Il existe une poignée d’entreprises françaises proposant des offres visant à appliquer les science cognitives : elles ne parviennent cependant pas à absorber la demande massive du marché.

Avant de commencer à travailler avec SCIAM, je rencontrais de nombreux partenaires industriels et commerciaux qui souhaitaient tous collaborer avec des spécialistes des sciences cognitives pour adresser les besoins spécifiques de leurs entreprises. Ils m’approchaient pour me demander si, à l’ENS-Ulm, nous souhaiterions construire un projet de recherche consacré à une nouvelle approche que leur entreprise espérait développer.

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Or ce modèle ne convient ni aux collaborateurs potentiels ni aux chercheurs (un problème auquel SCIAM est en train de répondre).

Les entreprises espèrent ainsi répondre à leurs problématiques. En réalité, elles souhaitent avant tout disposer sous 6 à 12 mois d’un service innovant sur lequel s’appuyer pour construire et tester une nouvelle méthode à la pointe et dont le bénéfice sera rapidement tangible.

Les scientifiques ne sont pas, par nature, des prestataires de services. Ils ont une préférence marquée pour les projets de recherche à long terme qui abordent des questions théoriques intéressantes et/ou présentant un potentiel gain sociétal à haut rendement.

En conséquence, il y a un décalage avéré entre les incitations et les attentes des entreprises et des chercheurs. Pour résumer : pourquoi un scientifique travaillerait pour aider une entreprise à gagner de l’argent alors que cela ne sert pas l’intérêt de ses travaux théoriques ? Et pourquoi une entreprise paierait pour quelque chose qui lui apporterait peu de valeur concrète ?

Le modèle SCIAM apporte une réponse différenciante à un problème structurel

SCIAM a d’abord commencé par embaucher des profils issus des milieux scientifiques français de haut niveau et disposant d’une formation en sciences cognitives. SCIAM a ainsi créé une proposition de valeur unique sur le marché en réunissant des profils combinant des compétences techniques (en science des données, en apprentissage machine, en développement de plateformes, etc…) avec une compréhension scientifique de l’esprit humain.

La structure de SCIAM permet également aux meilleurs chercheurs séniors de consacrer une petite partie de leur temps (dans les limites légales autorisées en France) en tant que consultants experts privés sur des projets spécifiques liés à leur expertise générale. Par exemple, si SCIAM devait concevoir et tester un plan de formation contre le phishing adapté aux besoins d’un client spécifique, un expert en cécité d’inattention pourrait contribuer à la conception des méthodes de formation et aux protocoles de test de leur efficacité.

Image par Sasin Tipchai de Pixabay

Au-delà de répondre à un besoin marché immédiat non comblé, la création d’un mécanisme incitatif adossé à une structure juridique appropriée pour l’application des sciences cognitives pourrait être très bénéfique pour l’ensemble du domaine en France. À court terme, proposer un modèle générateur de revenus supplémentaires pourrait aider la France à conserver certains de ses meilleurs chercheurs. SCIAM peut également offrir des opportunités intéressantes aux jeunes diplômé(e)s en sciences cognitives qui préfèreraient quitter le monde universitaire. Cela répond à un enjeu important. En considérant simplement le nombre de thèses produites, le nombre de postes ouverts dans la recherche reste insuffisant. D’autre part, en dépit de la demande du marché, le secteur privé offre peu d’opportunités aux experts en sciences comportementales.

Enfin, en répondant aux besoins du marché en matière d’“opérations cognitives”, SCIAM pourrait également proposer un modèle “win-win” : en vendant aux entreprises l’accès à des expertises de pointe issues de laboratoires et en contribuant ainsi au financement de la recherche fondamentale sur des sujets non nécessairement liés à son activité.

SCIAM s’est donné comme priorité de structurer un modèle de financement de la recherche qui permettra d’éviter les conflits d’intérêts. Pour ce faire il est impératif de séparer les activités appliquées (adapter une solution générique à un problème spécifique rencontré par un client) des activités de recherche fondamentale. Trouver la bonne formule prend du temps, mais une fois trouvée, elle pourrait constituer un puissant vecteur de changement. En appliquant concrètement les théories et les pratiques scientifiques issues de la psychologie cognitive aux problèmes concrets des entreprises, SCIAM pourrait contribuer à renforcer la crédibilité du domaine mais aussi générer de nouvelles idées et approches pour les scientifiques.

En conclusion, il existe une croyance populaire parmi les puristes selon laquelle la science peut être soit appliquée, soit théoriquement informative, mais pas les deux. Notre conviction est que SCIAM transformera cette croyance en mythe.

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Brent Strickland
SCIAM
Writer for

Researcher ENS-ULM; Scientific director at the School of Collective Intelligence, UM6P; Expert consultant for Sciam