Les enfants précoces ont-ils un cerveau différent ?

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8 min readSep 13, 2016
Les docteurs Fanny Nusbaum et Dominique Sappey-Marinier devant la TEP/CT du CERMEP (Photo : Eric Le Roux)

En travaillant avec les enfants précoces, on apprend beaucoup de choses sur la manière dont fonctionne notre cerveau (hors-norme ou pas).

Clémence avait deux ans quand je me suis rendu compte qu’elle avait un fonctionnement un peu à part : gros besoin de se dépenser, hypersensibilité, attitude conflictuelle vis-à-vis de nous”, témoigne Brigitte. “L’entrée à l’école a été difficile pour elle. Elle semblait débordée par sa peur de mal faire et était souvent punie. On a fini par l’emmener voir une psychologue qui a cerné le problème en cinq minutes.” Le “problème” de Clémence, confirmé ensuite par un test, est qu’elle est une enfant à haut potentiel intellectuel (enfant HP).

Les HP ne sont pas forcément plus intelligents, ils ont une forme d’intelligence différente

Doué, précoce, à haut potentiel… les termes varient selon les lieux et les époques pour désigner ceux que le grand public qualifie encore souvent de surdoués. “Le quotient intellectuel (QI) standard est compris entre 85 et 110, on parle de haut potentiel à partir d’un QI de 130”, précise Olivier Revol, enseignant à l’Université Claude Bernard Lyon 1 et responsable du service de psychiatrie de l’enfant à l’Hôpital neurologique de Bron. Son service travaille à comprendre le fonctionnement neurologique des troubles de l’apprentissage et il est un des rares spécialistes français des enfants HP. Il reçoit en consultation une quarantaine d’enfants par semaine.

L’“intelligence différente”, une réalité physiologique ?

Les HP ne sont pas forcément plus intelligents, mais ils ont une forme d’intelligence différente”, résume Olivier Revol. Est-ce que leur cerveau fonctionne différemment ? Pour le comprendre, le Dr Revol mène une étude auprès de 80 enfants avec le Dr Fanny Nusbaum, psychologue (Laboratoire Santé-Individu-Société, Université de Lyon), le Dr Dominique Sappey-Marinier (Centre d’imagerie du vivant, CERMEP) et le Dr Pierre Fourneret (Laboratoire sur le Langage, le Cerveau et la Cognition, Université Claude Bernard Lyon 1, CNRS).

L’intelligence a plusieurs caractéristique non mesurables par des tests de QI

Les enfants sont âgés de 8 à 12 ans : un groupe contrôle, un groupe d’enfants souffrant de troubles de déficit de l’attention (TDA), un groupe d’enfants HP dit “laminaires”, c’est-à-dire sans difficultés relationnelles ou scolaires particulières, et un groupe d’enfants HP dit “complexes”. Ce sont souvent les enfants HP complexes que l’on voit dans les reportages sur l’échec scolaire des enfants précoces. Leurs capacités cognitives sont en décalage avec leurs capacités de concentration et/ou leur maturité affective et psychomotrice. Ils sont très sensibles et généralement très anxieux.

Nous cherchons à identifier les différences entre HP laminaires et HP complexes”, précise Fanny Nusbaum. “C’est une des premières études sur le sujet, et nous avons la chance d’avoir une cohorte importante.” Le but est de permettre un diagnostic différentiel, car le haut potentiel est souvent associé à d’autres troubles, comme la dyslexie ou le trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, ce qui rend le diagnostic difficile.

Chacun des 80 enfants va passer 50 minutes dans une machine à IRM. Une partie de ce temps permet de faire des images du cerveau au repos. Puis on demande aux sujets de faire des exercices pour observer quelles zones de leur cerveau sont sollicitées. Le premier est une tâche de mémorisation : l’enfant doit apprendre des mots. La seconde tâche consiste à lire des mots chargés en émotion « afin de voir dans quelle mesure les émotions perturbent ou ralentissent l’exécution de la tâche”, précise Fanny Nusbaum.

Le quotient intellectuel ne reflète pas toute l’intelligence

L’analyse des résultats permettra de faire des liens entre la nature de l’activité cérébrale, le temps nécessaire pour accomplir l’exercice demandé, et le type d’enfant (HP complexe, HP laminaire, trouble du déficit de l’attention, groupe contrôle), pour comprendre plus finement le fonctionnement cérébral de chacun des groupes. “Le critère du QI de 130 est à relativiser”, indique Fanny Nusbaum, qui dirige également le Centre PSYRENE où elle accueille des HP, enfants et adultes. “Il nous sert surtout à valider une hypothèse. »

L’intelligence des personnes HP a plusieurs caractéristiques difficilement mesurables par un unique test de quotient intellectuel. Elle est, par exemple, parfois nourrie par une “pensée divergente”, c’est-à-dire la capacité à trouver des réponses créatives à une question ou une situation données, par opposition à la “pensée convergente” qui s’appuie plutôt sur la capacité à suivre une méthode, comme c’est le cas à l’école. On comprend mieux comme un enfant HP sur deux peut être difficulté scolaire, et que près d’un tiers n’atteigne pas le baccalauréat.

Anticonformistes, perfectionnistes, fâchés avec l’école

Si l’entourage ne prend pas suffisamment en compte ses besoins ou si lui-même préfère se conformer aux attentes des adultes, l’enfant peut se trouver en situation de “sur-adaptation” : il se contente de satisfaire la demande et met de côté ses talents et intérêts personnels. Au risque de finir par ressentir un découragement généralisé. « Les enfants HP sont plus à l’aise lorsqu’ils découvrent eux-mêmes les règles et les gestes techniques permettant d’être bon dans un domaine, avec un minimum d’aide de la part des adultes”, confirme Olivier Revol.

Le haut potentiel est abordé comme un trouble de l’apprentissage

Brigitte raconte qu’à l’entrée au CP, Clémence l’a étonnée en racontant pour la première fois ses journées d’école de manière très détaillée : “Je me demande si elle n’avait tout simplement pas, de son point de vue, rien d’intéressant à raconter avant…” Comme beaucoup d’enfants HP, Clémence a du mal à faire avec ses mains ce qu’elle est capable d’imaginer par l’esprit. Elle est très perfectionniste : “Elle se rend malade de ne pas réussir à tracer correctement les lettres ou à colorier sans dépasser. L’apprentissage de la lecture ne la met pas face à ce sentiment d’échec. »

Le haut potentiel est un trouble de l’apprentissage

Un autre trait marquant de l’intelligence HP est l’intuition. Ou plutôt l’apparence de l’intuition : “Les enfants HP pensent très vite, cela donne un aspect intuitif à leurs réponses”, explique encore Olivier Revol. Cela pose problème à partir du collège quand une partie de la note s’obtient en expliquant la démarche suivie pour arriver au résultat. ”Ils ont recours à la mémoire épisodique pour faire des comparaisons et des liens avec ce qu’ils ont déjà vécu. Ils font travailler des réseaux neuronaux plus étendus et activent sans doute davantage de zones du cortex : on parle de pensée en arborescence.” Cette manière particulière d’utiliser son cerveau devrait être confirmée par l’imagerie cérébrale.

Le haut potentiel intellectuel est abordé par les soignants et par l’Education Nationale comme un trouble de l’apprentissage nécessitant une approche personnalisée. Sa découverte se fait généralement à l’occasion d’une consultation pour des difficultés à l’école ou en famille. “On m’amène souvent ces enfants pour des troubles du sommeil”, note Olivier Revol. Une autre porte d’entrée en consultation est le conflit avec les parents : ces enfants ont besoin de tout comprendre et de sentir qu’ils ont le contrôle, ils ont donc tendance à tenir très tôt tête aux adultes.

Le ministère de l’Education Nationale a publié en 2007 une circulaire encourageant les rectrices et recteurs d’académie à repérer et accompagner les élèves concernés, d’où aussi l’impression qu’il n’y a jamais eu autant d’enfants HP : ils sont tout simplement mieux identifiés. L’académie de Lyon travaille de manière particulièrement étroite avec les chercheurs et cliniciens spécialistes du domaine.

Vers la neuroéducation

L’étude que nous menons nous permet d’obtenir des informations très variées sur le cerveau de ces enfants”, indique Dominique Sappey-Marinier, enseignant-chercheur à la Faculté de Médecine Lyon-Est de l’Université Claude Bernard Lyon1 et responsable du département IRM du CERMEP. Ces informations concernent aussi bien la morphologie que le fonctionnement du cerveau : “Avec l’IRM de diffusion et l’IRM fonctionnelle, nous pouvons voir les faisceaux de neurones et leurs connexions. Avec plus de 100 milliards de neurones connectés en permanence, notre cerveau est le système de réseau le plus complexe que l’on connaisse ».

Observer le cerveau au repos est riche d’enseignement. Quand on regarde le plafond en ne pensant “à rien”, notre cerveau passe en quelque sorte en mode “par défaut”. Ce mode repos serait associé à des activités mentales d’introspection, de référence à soi, mais aussi de simulations mentales basées sur les souvenirs autobiographiques, les expériences présentes, et même sur des projections dans le futur.

On peut utiliser les connaissances neurologiques pour améliorer la pédagogie à l’école

Les résultats n’ont pas encore été totalement analysés, et tous les enfants ne sont pas encore passés dans l’IRM”, dit le Dr Sappey-Marinier. “Mais on peut déjà observer que, chez les enfants HP laminaires, davantage de zones du cerveau sont impliquées que chez les enfants HP complexes.” Par ailleurs, les HP complexes semblent plus dépendants de leurs émotions et sujets à des difficultés d’attention. Ils ont plus de mal à se concentrer sur la tâche à effectuer et sont moins rapides. “Nous imaginons que, typiquement, les HP complexes feront plus travailler leur zone pariétale (analyse visio-spatiale, automatique), que la région préfrontale qui demande de l’attention (langage, mémoire de travail, raisonnement, contrôle de soi) pour les HP laminaires, tandis que le système de récompense sera sollicité de manière particulière par les enfants dits “hyperactifs”.

Fanny Nusbaum, Dominique Sappey-Marinier et Olivier Revol participent tous trois, au Rectorat de l’académie de Lyon, à la commission chargée de la prise en charge des enfants HP à l’école. “L’objectif de cette étude est, notamment, de mieux comprendre le fonctionnement cérébral des enfants HP pour l’intégrer aux techniques pédagogiques et le transmettre aux professeurs d’école”, souligne Dominique Sappey-Marinier. C’est le principe de la “neuroéducation” : utiliser les connaissances des neurosciences pour faciliter l’apprentissage, et concevoir des méthodes pédagogiques mieux adaptées au fonctionnement cognitif des enfants. Le cerveau des enfants est en développement permanent et varie en fonction des stimulations environnementales, de la même manière qu’un muscle peut perdre ou gagner en volume selon notre activité physique. “La neuroéducation offre des pistes pour améliorer l’apprentissage à l’école de tous les enfants, pas seulement ceux qui ont des difficultés !”, conclut-il.

Publié le 15 septembre 2014 par Cléo Schweyer sur Sciences pour Tous

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http://sciencespourtous.univ-lyon1.fr/dossier/cerveau/

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