Séverine Derolez, objet scientifique non identifié

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5 min readSep 13, 2016
Séverine Derolez devant l’accélérateur de particules Cockcroft-Walton © Eric Le Roux, Université Claude Bernard Lyon 1

De la fac de chimie au Musée des Confluences, Séverine Derolez s’est construit un parcours unique. La formule : un peu d’intuition, un grain de créativité et beaucoup de volonté.

Je me suis toujours sentie un peu un OVNI”, sourit Séverine Derolez. “Je ne connais personne avec un profil comme le mien.” Vêtements colorés et tresses blondes, la jeune chercheure arbore gaiement une grossesse bien avancée. A son retour de congé maternité, sa thèse en médiation des sciences viendra mettre le point final au parcours qu’elle a construit avec autant d’originalité que de volonté.

Des études d’histoire ou 5 masters de science ?

Au lycée, Séverine Derolez est plutôt forte en thème. Quand vient le moment de s’inscrire à la fac, la question se pose: histoire et littérature, ou chimie et physique ? Elle aimerait ne pas avoir à choisir, mais il faut bien se décider: ce sera les sciences, un peu parce que les bons élèves sont plus rarement poussés vers les humanités. Elle s’inscrit donc en licence de physique-chimie, avec le projet, pas encore très précis, de devenir enseignante. Bonne surprise: un des cours de découverte s’intitule “Enseigner les sciences par leur histoire”. La littéraire contrariée s’inscrit et apprend l’existence d’un master 1 Histoire, philosophie et didactique des sciences (HPDS): “C’est un peu par rébellion que j’ai décidé de le suivre”, sourit-elle.

Pour suivre un cursus de didactique des sciences, il est nécessaire d’être pleinement formé dans une discipline scientifique. Séverine décide donc de compléter son parcours en HPDS avec un master de physique-chimie. Petit problème : il n’existe pas… Elle se tourne vers Danny Davesne, chercheur en physique nucléaire. Il élabore le programme du futur master de physique-chimie, devenu nécessaire avec la réforme imposant le master 1 aux candidats au CAPES. Elle prend des conseils et suit quelques cours en auditeur libre pour mieux faire ses choix : “J’ai fait ma licence en 3 ans et demi : pendant que je bouclais mon dernier semestre de licence, les cours de master avaient commencé et ça m’a permis de les tester, en quelque sorte.”

L’étudiante compose donc son année sur mesure : chimie organique, chimie analytique, physique générale, physique appliquée à la médecine… et bien sûr HPDS. Histoire de corser un peu le tout, Séverine doit également s’inscrire en master 1 de mathématiques. A l’époque, c’est dans cette discipline que l’enseignement de la didactique est le plus développé : le master HPDS dépend donc du département de mathématiques. Au total, Séverine Derolez s’est donc inscrite cette année-là à 5 masters différents : “Autant vous dire que c’était sportif ! Je passais mon temps à tout expliquer à tout le monde”, se souvient-elle avec amusement.

Du patrimoine naturel au patrimoine historique

A son arrivée en master HPDS, ils sont… deux étudiants : “Un parcours comme ça, c’est rare ! C’est un peu la discipline qui me l’a permis, et aussi les professeurs que j’ai rencontrés.” Elle fait son mémoire de master 1 sur Nicolas Flamel et les alchimistes (peut-on les considérer, scientifiquement parlant, comme les ancêtres des chimistes ?), s’intéressant déjà au patrimoine à travers des recherches pour identifier le matériel utilisé alors dans les laboratoires. Son projet de master 2 porte sur la réalisation d’un livret pédagogique pour les classes de collège qui visitent les grottes de la Balme : il est question cette fois de patrimoine naturel : “Là aussi on est dans l’histoire. Être guide, c’est partager une histoire, des richesses locales”, souligne cette enfant du pays (elle est originaire d’Ambérieu en Bugey).

Puis vient le moment de se décider : thèse ou pas thèse ? Si elle opte pour la thèse, il faut trouver un financement. L’année ou elle demande une bourse ministérielle, deux personnes de son laboratoire sont retenues mais un seul financement est disponible… Elle se tourne vers l’université Lyon 2 : Véronique Prudhomme, conseillère en insertion professionnelle pour les doctorants, la renseigne sur les CIFRE (Conventions industrielles d’insertion par la recherche), qui permettent de réaliser un doctorat au sein d’une entreprise. Elle commence à prospecter les agences, les scénographes, bref, tous les métiers de la muséographie. Mais aucun de ces professionnels n’embauche des scientifiques comme elle. Elle s’en indigne un peu : “Comment peut-on choisir la manière dont on va parler d’un objet scientifique si on n’en sait rien ?

Faute de mieux, elle trouve du travail comme surveillante dans un collège. “J’étais presque décidée à passer le CAPES en interne quand, je ne sais par quel miracle, j’ai été recontactée par le laboratoire d’histoire et didactique des sciences de Lyon 1 : le Musée des Confluences de Lyon cherchait une doctorante pour une CIFRE et le labo avait pensé à moi !

Future docteure et chef d’orchestre

Un “gros dossier” plus tard, la voilà de nouveau coiffée de plusieurs casquettes : doctorante en didactique des sciences et chargée de la mission PATSTEC (Patrimoine scientifique et technique contemporain) aux côtés d’Anne-Marie Delattre (alors assistante de conservation de la collection science et technique), un programme national porté par le Musée des arts et métiers et le Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Son sujet de thèse porte sur la notion de patrimoine scientifique : “Patrimoine, ça fait passéiste quand on aborde le sujet! Dans une université scientifique, on est plutôt tourné vers l’avenir… Le patrimoine scientifique est donc une notion plutôt récente et encore en construction.” Dans le contexte de l’ouverture du musée, la mission a été pour le moment suspendue.

Séverine Derolez travaille sur la manière dont les instruments scientifiques “dépassés” techniquement deviennent des objets patrimoniaux, particulièrement ceux des années 1950, époque dite de la “Big Science”, et comment parler de ces objets parfois peu “sexy”. Parmi eux, un objet particulièrement spectaculaire est exposé au Musée des Confluences : l’accélérateur de particules Cockcroft-Walton (c’est devant cette pièce de 3 mètres de haut que pose Séverine sur la photo qui illustre cet article). Un autre exemplaire, démonté celui-là, se trouve au département de physique nucléaire de l’Université Lyon 1 : Séverine l’a fait expertiser par un jeune restaurateur et espère qu’il sera un jour remonté sur le campus de LyonTech-la Doua.

En parallèle, elle inventorie le patrimoine scientifique contemporain en Rhône-Alpes dans le cadre de la mission PATSTEC. “J’ai réalisé un inventaire de plusieurs centaines de pièces : à l’Université Claude Bernard Lyon 1, aux Hospices civils de Lyon, au musée d’histoire de la médecine (Rockfeller)…” Autant d’activités qui font d’elle une chef d’orchestre : “Quand on fait une thèse en CIFRE, il y a plein de monde à accorder : le laboratoire, l’établissement universitaire, l’école doctorale, l’entreprise qui accueille… On rédige chaque année un bilan que tout le monde valide. Finalement, je suis la seule à avoir tous les tenants et aboutissants du projet !”

Et la suite ? Pas facile à envisager. “J’aime beaucoup le milieu universitaire mais il est difficile d’accès : il faut qu’un jury qualifie la thèse, c’est-à-dire l’estime suffisamment bonne pour qu’on devienne enseignant-chercheur.” Le secteur privé ? “Malheureusement la thèse n’est pas très bien reconnue ni même connue dans l’entreprise. C’est d’autant plus dommage qu’un doctorant est déjà un professionnel en exercice, un chef de projet, un chercheur… On a beaucoup de cordes à son arc quand on arrive à la fin d’une thèse !” Finalement, ce qui lui correspondrait le mieux serait de devenir commissaire d’expositions scientifiques. “Mais je ferai comme j’ai toujours fait : je m’adapterai !”, conclut-elle en souriant.

Publié le 2 juillet 2015 par Cléo Schweyer sur http://sciencespourtous.univ-lyon1.fr

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