Écrire & faire l’amour

Valentin Vieira da Silva
Scribe
Published in
7 min readFeb 1, 2019

Ma journée a commencé ainsi :

En plein milieu de l’après-midi, je me suis réveillé et j’étais super excité parce qu’hier, je m’étais couché complètement ivre et que, durant la nuit, je fus pris d’une irrépressible envie d’écrire.

Irrépressible comme la respiration est irrépressible.

Irrépressible comme le besoin d’uriner est irrépressible.

Ou irrépressible comme de dire à quelqu’un que l’on aime que, justement, on l’aime. Vraiment.

Du coup, voici ce qui s’est passé : durant la nuit, je suis rentré chez moi avec une fille que je ne connaissais pas (ou pas plus que nécessaire) et on a fait ensemble ce qu’on voulait faire et, à un moment donné, au beau milieu de l’acte, j’ai été pris d’une irrésistible envie d’écrire. Comme une grande illumination.

Et laissez-moi vous dire une chose : c’était une erreur pour au moins deux raisons.

Premièrement, on était en train de faire quelque chose qui était très bien comme ça et qui n’avait absolument pas besoin d’être interrompu inopinément.

Deuxièmement, je sais par expérience que lorsque je me mets à écrire, j’en ai pour des plombes. Et même, la vérité c’est que je ne sais jamais combien de temps cela peut prendre. Une minute ou une journée, c’est pareil.

Donc ça voulait plus ou moins dire : adieu la nuit d’amour.

Et troisièmement (oui, en fait, j’y ai bien réfléchi, et c’était une erreur pour au moins trois raisons, et non pas deux, ce qui aurait vraiment dû me mettre la puce à l’oreille), quand vient cette sensation inouïe d’illumination, mélange de bouffée de chaleurs et de lucidité brûlante, et que j’écris ce qui me vient, et bien je suis quasiment certain que lorsque je me relirai (généralement le lendemain, mais parfois je peux laisser passer plusieurs jours parce que je sais, au fond de moi, la valeur, ou plutôt l’absence de valeur, de ce que je viens d’écrire. Et que du coup je n’ai aucune hâte de me relire), ce ne sera pas fameux.

Je ne sais pas pourquoi.

C’est toujours des platitudes du genre :

Je m’aime. J’aime la personne avec laquelle je suis.

Nous sommes dans le lit, chaud.

Ou bien:

L’amour est tout.

L’ordre aussi.

Et ainsi, tout arrive, naturellement.

Je n’invente pas.

J’écris vraiment des trucs comme ça.

Et parfois, en plus, je l’écris sur, genre, cinq pages !

Je mets tout ça sur le compte de l’alcool ou d’une soudaine lubricité mais cela ne suffit pas pour tout expliquer.

Tout ça pour dire que je regrette souvent d’interrompre ce que je faisais au préalable.

Mais bon, c’est pas comme si j’avais le choix.

C’est le destin.

Après tout, il reste quand même quelque chose de bien à tout ça, c’est que lorsque je prends le temps de les relire, mes élucubrations me font hurler de rire.

Parfois même je le partage avec quelqu’un, et on rit à deux.

On se moque de moi, gentiment.

Tout cela pour en venir au fait.

L’instant présent.

Au maintenant quoi. À rien d’autre que le maintenant.

Au fait qu’il y a toujours une petite voix ou une grande voix ou bien plein de voix pour dire plein de choses pas forcément tout le temps.

Mais quand même bien souvent et que parfois ces voix sont impérieuses : on ne peut rien à part consentir à leur appel (du genre : “écris, écris, tu verras tout ce que tu vas écrire maintenant est de l’or” même si c’est généralement faux ou en tout cas trompeur) et du coup faire le choix qui peut sembler ne pas en être un, mais si c’en est un, c’en est un sans hésitation.

Le choix d’écouter la voix. Sa voix. Et d’interrompre alors, toutes affaires cessantes, ce que l’on était en train de faire.

J’ai un ami qui a donné des prénoms et des surnoms à toutes ses voix.

Il m’a dit :

Ça fait 138 prénoms et surnoms, en tout.

Bon.

Certains diront qu’il est schizophrène. Ou qu’il a une bonne mémoire des prénoms.

Ma foi,

je ne suis ni psychanalyste, ni psychiatre.

Je ne suis que son ami — même si notre amitié est faite de hauts et de bas et que, là, on est plutôt dans un bas (ce qui signifie qu’on ne s’est pas vu ni parlé depuis au moins 6 mois).

En tout cas j’aime bien l’idée de reconnaître ses voix. De les nommer. De les apprivoiser.

Leurs tons, leur régularité, le lieu qu’elles affectionnent ou les situations où elles aiment bien ressortir : au travail, en vacances, le matin, le soir, avant un dîner, après l’amour, devant un miroir, en écoutant une bonne amie …

Après tout, on les connait bien : ce ne sont que de vieilles histoires que l’on se raconte.

Ce qui est drôle, c’est que j’ai toujours cru que les miennes étaient plus intéressantes que celles des autres.

Que ma vie justifiait des voix extravagantes et en dehors des sentiers battus.

Je crois que je me sentais tout bonnement différent. Et meilleur.

Du genre le mec de l’autre côté de la rive, l’étranger. Celui pour lequel les lois des autres ne s’appliquent pas ou avec des concessions, des aménagements conséquents.

Parce que bon, c’est moi quoi.

Et puis j’ai grandi.

Ou je pourrais dire :

Et puis j’ai compris que non, que tout ça, c’était faux.

C’était rien. Rien du tout.

Que la réalité, pour moi, c’est que l’on partage non seulement la vie en commun et qu’en plus de tout ça, à peu de choses près, on pense tous avec presque les mêmes histoires, les mêmes voix, qui nous disent presque toutes les mêmes choses.

Viens — debout — lève toi — plus vite — dépêche toi — habille toi — t’es moche — t’aurais jamais du dire ça — comment elle est trop belle (ou trop beau, hein, c’est pareil), putain — j’en ai marre — je n’y arriverai pas — je veux trente ans de vacances — de toute façon, personne ne m’aime (variantes: me comprends/me soutiens/m’aide) — tout serait plus simple si j’étais en couple — tout serait plus simple si j’étais célibataire — putain si seulement je pouvais gagner au loto (mais faut d’abord jouer, du coup) — je veux partir loin (là, vous avez le choix selon votre histoire personnelle : en Nouvelle-Zélande, au Mexique, au Chili, au Kenya, en Afrique du Sud, en Bretagne, au Kazakhstan, au Japon, en Sibérie, au sud du Portugal, dans les îles…) — je n’y arriverai vraiment pas — je veux être connu — je suis fou/folle — je ne veux pas être dérangé — je ne sais pas ce que je veux — mon dieu, les gens sont si laids/si tristes/si tendus/si perdus/ si nerveux/ si impolis…

Bref.

Je me suis aperçu que j’étais comme tout le monde.

Et même que ce que je pensais aujourd’hui et bien c’était à peu près la même chose qu’hier et, bon, sans trop m’avancer, je peux dire que ce sera à peu de chose près la même histoire que demain.

Il y a des théories sur ça.

Comme quoi cette sorte de continuité cognitive d’un jour à l’autre et aussi le fait de penser la même chose que tout le monde, avec quelques nuances & singularités tout de même, et bien permet tout simplement de vivre sans devenir complètement fou et forge aussi notre sentiment d’appartenance d’avec nos proches et, en premier lieu, notre famille.

Mais bon, je ne suis pas là pour les théories.

Sortis tous droits de mes petits papiers nocturnes, voici ce que je peux partager avec vous, dans le genre grandes révélations qui ne ressemblent pas à grand choses :

Fais ce que tu fais en toute confiance.

Si tu fais quelque chose qui ne te semble pas opportun, arrête de le faire sinon c’est que, contrairement à ce que tu crois, c’est le moment juste pour le faire.

Ce que tu fais là, maintenant, c’est ce que tu dois faire.

Le monde n’est pas censé être différent de ce qu’il est.

En fait quand tu vois le monde, vois le comme ta famille, vois le comme ton partenaire, vois le et sens le profondément comme la personne que tu aimes — et c’est simple, il n’y a pas d’autre issue : lorsque l’on aime une personne, on l’aime tel qu’elle est, pas autrement. Sans la retoucher, sans la changer, sans la gommer. On l’aime. Exactement comme elle est. Pas avec ceci ou cela en plus, en moins.

Prends tout cela (ce que l’on appelle la vie) comme un jeu, un jeu très sérieux mais un jeu, tout simplement, et aime ce jeu car c’est tout ce qui existe, là, maintenant.

Le monde devient fou, triste, pénible et confus à partir du moment où tu veux qu’il soit autre, qu’il soit diffèrent. Qu’il soit comme toi tu en as éventuellement envie. Et tu deviens toi même fou, et perdu, car, en agissant ainsi tu refuses d’honorer la réalité et de t’en tenir à ce qui est (et qui n’est pas autrement, du coup).

À partir du moment où ce que tu as face à toi ne te conviens pas et que tu désires le changer, si tu souhaites sincèrement changer quelque chose, pas la peine d’y penser. Simplement, fais le, fais ce en quoi tu crois, fais ce qui te semble juste.

Tu peux te tromper et tu vas te tromper. Le caractère d’une personne se révèle par sa capacité à vivre et supporter le poids de ce qui lui apparaît comme ses propres erreurs, ses propres errances. Et vivre, c’est être prêt, à chaque instant, à faire de tout cela un terreau fertile pour un nouveau jour, une nouvelle occasion de grandir.

Il est plus simple de construire un lendemain le cœur léger et l’esprit en paix.

Tout cela se fait sans grandes questions.

Cela se fait c’est tout.

Et c’est là que j’en arrive à la fin.

De l’histoire.

Et comme je ne l’ai encore jamais fait, je vais vous donner une morale à tout ce que je viens de raconter.

Donc,

la morale de l’histoire est celle-ci :

Quand vous faites l’amour avec quelqu’un et que vous vient l’envie absolument irrésistible d’écrire (ou de faire autre chose), écrivez (ou faite autre chose).

Mais n’ayez pas trop d’attente quand au résultat.

Ou apprenez à en rire de bon cœur.

La peinture est de Paul Klee.

Son titre est Rochers durant la nuit.

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