As-t-on perdu le temps de penser ?

Edith Maulandi
Scribe
Published in
5 min readFeb 28, 2019
Abdul Otman, prenant du temps pour penser au Pakistan

Le recul et la prise de conscience sont-ils cachés au fond derrière un mode de vie souvent trop occupé et fatigué ?

Il y a quelques semaines, je suis allée voir un ami à Londres. J’ai pris le bus depuis Paris pour y aller, à la fois par économie et pour ne pas prendre l’avion. Généralement les gens me disent “Mais quoi ? Le bus ? Ça a du être super long ! Aller et retour en plus ! Je pourrais pas !”

Un espace de réflexion

Sûrement que ce trajet de 6 ou 7 heures peut paraître une “perte” de temps. Moi j’adore parce que je peux être dans ma bulle. Une bulle de pensées, de paysages qui défilent, d’idées qui viennent me visiter (un génial concept découvert dans “Comme par Magie” d’Elizabeth Gilbert qui propose une vie propre aux idées qui viennent nous voir et se cassent vers quelqu’un d’autre quand on les garde trop longtemps sans les matérialiser). C’est un moment spécial, entre deux, un sas un peu irréel où je ne suis à aucun endroit et en chemin vers. C’est génial pour prendre du recul, se détacher du monologue quotidien pour se reconnecter à des idées et envies de longue date, ou d’en créer de nouvelles, qui pop dans le cerveau sans qu’on ai fait quoi que ce soit. C’est un peu similaire aux moments où tu cours, ou que tu es dans la douche, ou pendant une marche de plusieurs heures où l’esprit vagabonde tout seul.

C’est aussi un espace propice à l’introspection plus volontaire. J’aime bien aussi le matin dans un lieu calme pour ça.

Revenir aux fondamentaux et se demander si on va dans la bonne direction. Ce qui est vraiment important, ce pour quoi on veut agir ou ce qu’on veut défendre. S’observer avec recul et apprendre de nos choix et réactions passés, s’ouvrir et s’inspirer de possibles vers lesquels on veut tendre, exercer son esprit critique sur le monde.

Justement, c’est un espace à créer

C’est pas forcément évident à créer comme moment. Prendre le temps de le faire. Même en freelance, même avec plus de temps et de flexibilité, des fois je me noie dans un verre d’eau de tourments mentaux, de doutes pas constructifs, de “vais-je avoir assez pour vivre, haa c’est duuuur” alors que globalement toutes les ressources sont là, et qu’au pire je change. Trop d’auto-centrage moi moi moi ne me réussit pas pour créer ces moments plus “élevés”. Qui sont paradoxalement aussi liés à soi mais dans une optique d’agir sur le monde, d’être dans sa place, en harmonie.

Bref, ça se crée ou ça arrive avec des conditions favorables. Et j’ai quand même l’impression que c’est crucial pour bien vivre, vivre avec les autres et vivre avec soi.

Être confortable seul.e avec ses pensées

Pourquoi est-ce qu’on évite ces moments de solitude constructifs ? On préfère consommer des choses sur l’internet ? Être mal accompagné.e plutôt que seul.e ou toujours avec des gens ? Remplir notre agenda à + 3 semaines pour pouvoir dire “Nan mais je suis trop occupé” ? Jamais déconnecté du téléphone, remplir le vide ?

Peut-être qu’on a juste envie de rentabiliser tout notre temps. Sauf que sans en perdre un peu, finalement, on perd la totalité à aller quelque part où on ne veut pas vraiment aller.

Franchement pour quelques heures, fais en l’expérience : rien que toi, dans un café ou ailleurs, pas de tel, pas de gens, pas de livre, un carnet pourquoi pas pour noter ce qui passe. Lâche et observe. Ou commence dans un train, ou un autre moment qui de toute façon est “perdu”. Écoute toi un peu.

C’est “facile” dans le sens où ça coûte juste du temps. Alors, pourquoi est-ce qu’on ne le fait pas plus ? Pourquoi ne fait-on pas plus de place à ces moments cruciaux pour notre bien être mental à long terme ?

La roue du hamster ?

En rediscutant avec des ami.e.s et connaissances salarié.e.s à Paris, je me suis rendue compte que certain.e.s étaient super fatigué.e.s de leur job, vidé.e.s et pas motivé.e.s pour se poser ces questions. Plus assez d’énergie. Pas l’envie. Sans dire que le salariat uniquement fait ça, il y a des modes de vie avec beaucoup de transport et/ou peu d’alignement qui te vident carrément. Et il n’y a plus la place à l’introspection. Même si on le sait dans un coin de notre tête bien caché, on le remet à “plus tard” — qui des fois devient plusieurs années.

J’y étais, là, avant. Avec souvent l’envie de “se récompenser pour tous ces efforts” en consommant plus : des sushis, du netflix, des fringues stylées. Parce que peut être inconsciemment quand on ne prend pas l’occasion d’agir comme on le voudrait, au moins on essaie de paraître comme on le voudrait. Depuis quand c’est plus important de paraître que d’être ?

Souvent il y a choc ou un rappel à l’ordre qu’on ne peut plus fuir (choix multiples : maladie, burnout, perte d’un proche, voyage, perte d’emploi, bébé, divorce …). Mais c’est quand même un peu con d’attendre ça, non ?

Après peut-être que ça n’intéresse pas les gens ? Je ne peux pas vraiment croire qu’il existe des personnes qui n’ont pas — au moins un tout petit peu — l’envie de trouver leur bonne place, contribuer au monde pour qu’il soit un peu mieux que quand on y est arrivé.

Pourquoi t’es là ? Qu’est-ce que tu veux faire ? Qu’est-ce qui est important ? Pour quoi tu veux te bouger les fesses ?

Personne ne viendra te sauver

Pendant longtemps — et toujours de temps en temps — une partie de moi se dit que même si je sais plus trop répondre à ces questions, un jour je vais tomber sur un livre, sur une personne, bref, quelque chose va se passer et me donner toutes les réponses que je cherche et je saurais ENFIN pourquoi / comment / ou / avec qui. Toutes ces choses difficiles à cerner, qui prennent du temps, de l’énergie, de l’implication, on va me les livrer sur un plateau d’argent à un moment donné, non ?

Non.

Mais genre vraiment non. C’est chiant, hein ?

Ça sert à rien d’aller chercher tout ça à l’extérieur. Bien sur, s’inspirer, se nourrir, s’ouvrir, en parler aux autres, c’est super important. Mais au final c’est dedans qu’il y a les réponses, et si on regarde pas, ben on trouve pas.

La première bonne nouvelle c’est que quand ça commence à devenir plus clair, on sait quoi faire, ça s’impose à soi-même petit à petit (spoiler : faut continuer toute la vie parce que ça évolue).

La deuxième bonne nouvelle c’est que ce qui nous retient de passer à l’action, c’est souvent que dans notre tête (tu sais, l’auto “nan mais c’est pas possible”), et on peut s’entraîner à le dépasser.

La troisième bonne nouvelle, c’est qu’il n’a jamais été aussi facile de trouver l’information, les ressources, les motivé.e.s pour agir (au moins si tu lis ça et que tu as accès à la technologie, l’électricité et que tu as les fesses au chaud).

Alors, viens on va dedans ?

--

--

Edith Maulandi
Scribe
Writer for

In love with discovering and experiencing new universes and sometimes writing about it to share.