Ce soir j’ai brûlé les pages d’un carnet.
Je les ai maladroitement arrachées, avec une certaine précipitation, de peur de ne pas réussir ce geste que je retardais depuis quelques jours. J’ai ouvert la porte du poêle à bois et j’ai jeté rapidement dans les flammes ce qui représentait mes premiers mois ici, dans le Yukon.
Je n’avais jamais été si radicale, j’avais toujours assumé mes mots si ce n’était ceux de mon enfance que j’ai pu déchirer de mes journaux intimes quand j’étais petite, honteuse d’avoir pu être si enfantine justement.
Pourtant, aujourd’hui, il était nécessaire que je sois radicale.
Ces pages représentaient une déception trop importante, un fardeau que je ne voulais pas inlassablement ressasser. J’ai décidé d’aller de l’avant, j’ai décidé qu’il était temps de ne plus vivre dans ce passé qui m’empêchait de vivre dans le présent.
La gorge serrée, les larmes aux yeux, j’ai vu les pages s’embraser et devenir petit à petit poussières pour finalement disparaître dans un tout plus grand, plus important que les simples pages qu’elles pouvaient être jusqu’à présent. De ce papier froid, si difficile sous mes doigts, une chaleur est née, la flamme d’un instant éphémère et pourtant si important.
Mon regard s’est toujours attardé sur les signes que la vie pouvait m’apporter mais trop souvent trompée par mon intuition, ce soir j’ai moi-même créé un symbole, je me suis offerte la possibilité d’aller de l’avant.
Brûler les pages d’un carnet, c’est accepter d’oublier, c’est s’imposer une sorte de fatalisme, c’est me délier des mots que je chérie pourtant tellement. À travers ce geste, j’ai brûlé une part de moi, c’est mon cœur qui s’est aussi enflammé mais ce cœur là il a déjà tant souffert, je lui devais bien ça.
Un peu de liberté, un peu de facilité, les mots qui s’envolent, l’encre qui s’évapore vers un haut de là que je ne verrai jamais. Une part de mon passé se détache, l’épée de Damoclès est tombée, m’a brisé le cœur, je l’ai brûlé pour qu’il soit phœnix et renaisse de ses cendres. Il n’y avait ni colère, ni rancœur, j’ai agi rapidement, ne laissant aucune crainte limiter mon geste et remettre à plus tard une libération dont j’avais tant besoin.
Je suis extrême, je suis trop, je ne suis pas assez, je suis moi et tendre ma main au-dessus des flammes, c’était accepter d’agir pour moi, pour mon bien être et la paix qui depuis trop longtemps a quitté mon esprit.
Jamais rien ne semble arriver vraiment au hasard, ici, on me le répète souvent.
Chaque étape est une possibilité d’avancer, si elle se présente c’est aussi qu’elle était nécessaire. Tant de choses sont arrivées, tant de bouleversements, de larmes, de cris, de douleurs, de joies, de partages, d’amour aussi. Ces émotions m’ont bouleversée, c’était trop et parfois, pourtant, une sérénité emplissait mon cœur et je savais alors que le chemin continuerait d’exister sous mes pas.
Je ne suis pas fataliste, à mes yeux seules la vie puis la mort s’imposent et ne se reprennent pas, le reste est changement, évolution, possibilités.
Si la vie semble parfois s’imposer, si je ne peux prendre certaine décision à la place des autres, si je ne peux pas révoquer la maladie, un crash d’avion ou certaines larmes… il m’est tout de même possible de faire des choix, de me battre, d’être patiente, de vivre les émotions qui sont miennes afin de me libérer.
Tout est alors une question d’équilibre, accepter les étapes, accepter mes émotions, les vivre et accepter aussi l’autre qui toujours fera partie de mon existence. Il ne s’agit pas que de moi mais il s’agit aussi de moi, il ne s’agit pas que des autres mais il s’agit aussi des autres. Nous sommes un tout face à une destinée à choix multiples, nous sommes si seuls face à la vie qui ne semble parfois ne jamais vouloir cesser de nous provoquer.
Alors parfois, il ne s’agit que d’un geste.
Un geste si simple mais qui représente tellement. Un geste irrévocable puisque ces pages sont mortes. Un geste malléable puisque les émotions persistent. J’ai pris une décision, j’ai brûlé le passé mais pourtant celui-ci dans ma tête existera toujours, je me suis seulement offerte la possibilité de nouvelles perceptions. J’ai choisi d’être dans l’instant présent, futile et éphémère afin de ce soir me coucher, l’esprit un petit peu plus en paix.