Changements invisibles

J’échange des histoires, des questions, des craintes. Je rêve. Je médite. Je chante, et j’écris. Brique par brique se construit une représentation d‘un autrement. Une vie selon l’intuition, le coeur et l’esprit. Ne plus chercher à gagner ou réussir. Je range mon costume de guerrière. Il ne m’est plus d’aucune utilité.

Gabrielle Rivault
Scribe
Published in
5 min readJan 20, 2018

--

Il n’est plus temps de se battre. Quand ma mère était malade et perdait progressivement l’usage de la parole, de son souffle, de son corps, dans le silence j’entendais la petite voix me dire que seuls le plaisir et la lumière comptent. Quitte à vivre ici-bas, autant en profiter. Rien de plus. Manger, dormir, rire, danser et partager. Jouir de la pluie, de la mer, de son sourire, de notre intimité, de la poésie des voyageurs, de la musique des confiants.

Le processus est lent. Patience et Confiance à mes côtés, ces alliés qui ne se laissent pas capturer. J’explore mes freins, mes peurs dont certaines émergent alors que d’autres se dissolvent. Les fils qui m’attachent à la vie sous contrôle, la vie préconçue, la vie sur les rails, se coupent l’un après l’autre. Je laisse couler mes rêves sans chercher à en retenir un seul. Ils évoluent. Je les aime vivants et changeants. J’apprends à m’aimer sans but fixe, comme j’écrirais “sans domicile fixe”. Dans le balancier de l’incertitude, le flux de l’impermanence.

Pourtant quelque chose de solide se construit, qui n’empêche pas le mouvement, qui intègre le déséquilibre, la tristesse et la joie. Un centre ? Un canal ? Une plateforme ? Un quelque chose qui dit “je” sans fixer de représentation, qui apprend le non figuré et l’indicible. Un quelque chose qui apprend à se connecter à ses guides sans les questionner sans cesse sur ce qu’il adviendra de moi.

Je regarde Gabrielle à 20 ans ou même à 30, et c’est une autre personne. Elle n’existe plus. Rencontres, amitiés, amours, pertes, ratés, non-choix… les petites phrases dites en passant qui se muent parfois en cadeau, en nourritures précieuses distillées à point nommé. Tout ceci et bien d’autres choses invisibles ont fabriqué cet instant. Puis cet autre. Et encore celui-ci.

Nous sommes des fontaines jaillissantes, des cascades traversées par un flux perpétuel qui nous renouvelle intégralement.

Il me dit cela, et l’émotion monte entre douleur devant l’évidence qu’il faut lâcher prise, et soulagement de sentir cette connivence de perception. Il me parle de son père qui a cédé au renoncement à la vingtaine par frustration et désespoir. Le désespoir qui gît dans l’interstice entre nos capacités d’incarnés, si petites, et le désir d’absolu. La matière est si lourde, si lente. Je pleure.

Je ne crois pas au hasard. L’évidence s’est imposée un matin il y a deux ans : il me faut troquer la logique de la sécurité contre celle du désir. Pour cesser cette course folle, je dois accomplir ce qui me donne de la joie. Pas de la satisfaction. De la Joie. Je puise l’inspiration dans mes souvenirs. Je cultive la conscience fine de ce que je ressens afin d’identifier la joie lorsqu’elle se présente.

Le hasard c’est la providence qui nous porte en silence.

Et je me suis souvenue qu’enfant j’aimais écrire, j’aimais chanter. J’écoutais la musique avec délice parce qu’elle m’emmenait plus près de mon coeur, elle faisait vibrer mon corps, éveillait des larmes ou des rires. Grâce à la musique je me sentais plus vivante. Rien ne m’avait apporté plus de joie que de composer des chansons sur mon piano. Comment ai-je fait pour perdre ce fil-là ? Peu importe.

J’ai recommencé à chanter lorsque ma mère a perdu sa voix. Pas de hasard. Tous les événements nous enseignent et nous ramènent vers l’essentiel. J’accepte d’écouter. Peu importe également que je sois reconnue ou pas chanteuse, compositrice ou les deux. Pourvu que j’en éprouve de la joie et que cela nourrisse mon désir de contemplation, mon goût de la poésie. Et c’est vrai que la joie est plus grande lorsqu’elle se partage. Nos joies conjuguées fabriquent du bon-heur. Maintenant.

Mon métier ? Je l’aime encore. Mais je l’aime davantage comme on aime un bon serviteur qui prend soin de vos besoins matériels. Aujourd’hui mon métier est devenu mon sponsor : il finance mes recherches, mes travaux, mes formations et me soutient sur ce chemin de transformation. Mais il n’a pas les qualités requises pour nourrir tout ce qui a besoin de l’être. Il m’a appris à gérer des projets, à coordonner des équipes, à développer mon intelligence des situations et des mots justes, à développer mon acuité et à percevoir dans l’ombre ce qui doit être mis en lumière, ce qui au-delà des apparences mérite d’être révélé, la part cachée et belle.

Trouver du sens dans ce qui se présente. Vivre plus libre, plus consciente : nous sommes sans doute des êtres spirituels qui faisons une expérience de vie terrestre. Cela change tout. J’ai choisi cette vie-là, aussi insolite et douloureuse soit-elle à certains moments. Je ne veux plus l’oublier. C’est cette conscience que je recouvre progressivement et qui me transforme en profondeur.

Bien sûr j’aimerais savoir où cela me mène avec clarté et certitude. Mais la suite me reste opaque. Alors je fais un pas après l’autre. Je ne vais pas me rendre malade à cause du brouillard qui m’environne. Je ne vais pas m’empêcher d’en profiter parce que je ne sais rien de demain. Et même lorsque je croyais savoir, en vrai je ne savais rien.

La route ne se révèle à nous que rétrospectivement. Je refuse cependant de m’attacher au passé, même si j’ai subi, souffert, aimé et perdu. Ces histoires ont disparu. Les traces qu’elles ont laissé guérissent grâce au choix de les laisser guérir. Je sais les événements qui m’ont forgé, mais je cesse de me laisser définir par eux.

Comment dépasser mes propres résistances ? En aimant désirer et sentir, tout, même ce qui me fait vaciller, ce dont j’ai peur, ce qui me blesse. Le changement ne vient pas de la connaissance. Tom Asaker en parle d’ailleurs avec brio dans un Ted Talk de 2014. Le changement vient du désir d’un autrement. Le changement s’enracine dans l’imagination et nos émotions. Nous sommes tous invités à entrer dans cette danse de la transformation. Je sors du contrôle, tout simplement parce que tout m’échappe. Et c’est ainsi que la joie m’est rendue.

--

--