Comment j’ai réappris à compter #8mars

Anaïs Brood
Scribe
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3 min readMar 7, 2017

Je suis devenue féministe sans vraiment m’en rendre compte. Je ressens depuis longtemps un sentiment d’injustice, qui a grandi, s’est renforcé avec l’expérience, intellectualisé à l’écoute et la lecture de féministes et de sociologues. Des témoignages d’autres femmes, qui partagent les mêmes vécus, les mêmes frustrations. Cet engagement a eu un effet inattendu.

Je me suis mise à compter. Frénétiquement.

Quand je sors le soir, que je me retrouve dans un bar, je compte. Quand je prends le métro à une heure tardive, je compte. Quand je vais acheter des cigarettes, en pleine journée, dans un café PMU, je compte. Quand je me balade, à Saint-Denis ou à Roubaix, et que je regarde les gens en terrasses, je compte. Quand je participe à un événement ou à une réunion politique, je compte. Je compte les femmes. Je ne peux pas m’en empêcher. 1, 2, 3, 4. Je fais des pourcentages. Des statistiques dans ma tête. Et chaque fois ce même constat, cette même question.

Où sont-elles ? Ces autres moi ? Ces autres femmes ?

Parfois, je ne peux m’empêcher de le faire remarquer à ceux qui m’accompagnent. Suis-je la seule que cette non-mixité heurte ? Peut-être la seule à m’en rendre compte aussi systématiquement. Ces 16 hommes, dans ce wagon où ne se trouvent que 2 femmes, se posent-ils la question ? Ces 15 hommes, dans ce café qui ne compte aucune autre femme que la serveuse derrière le comptoir ? Ces 20 hommes dans une réunion politique qui n’a attiré que 3 femmes ? Je cherche des réponses. Je compte encore. Je me remets en question.

Qu’ai-je de différent par rapport à ces femmes qui ne sont pas là ? Qui ont choisi de rester chez elles, de peur, peut-être, d’aller seules, dans la rue, à une heure tardive. De fréquenter des bars. Ont-elles peur pour leur sécurité ? Leur réputation ? Je crois qu’à un moment, j’ai souhaité ne pas être une femme, parce que je ne voulais pas de tout ça. Avoir peur, devoir rendre des comptes. Je les vois, qui regardent l’Arabie saoudite où les femmes n’ont pas le droit de conduire ou de quitter le pays sans autorisation. On les traite d’arriérés. Mais ces logiques-là, de surprotection, d’infantilisation de la femme, elles sont aussi présentes dans notre société et je les ai trop souvent entendues : “je vais te raccompagner”, “si, si, j’insiste”, “tu ne vas quand même pas rentrer seule à cette heure de la nuit/dans cette tenue”.

La peur entretenue, la culpabilisation, le rappel incessant d’une vulnérabilité présumée.

Comme si un violeur nous attendait à chaque coin de rue. Pourtant, dans 90 % des cas, les victimes de viol connaissent leur agresseur : 58 % des viols sont perpétrés dans le cadre du couple. Le plus grand danger ne nous attend pas dehors. Alors sortons. Soyons libres. Osons sortir le soir dans les rues, les cafés : réapproprions-nous l’espace public. Pendant des siècles, les femmes ont été confinées à la sphère privée, à un espace clôt : celui de la maison. Les cafés, la place publique, étaient des lieux réservés aux hommes.

Les questions de la présence des femmes dans l’espace public et de leur participation à la vie de la cité, à la politique, sont intimement liées.

Sentiment d’illégitimité, socialisation différenciée dans une société où les garçons sont davantage encouragés à prendre la parole, à adopter des comportements qui faciliteront leur intégration en politique, cet environnement concurrentiel, conflictuel, réputé brutal et qui entretient une forme d’entre-soi viril.

En ce 8 mars 2017, j’ai envie, plus que jamais, d’appeler les femmes à prendre leur place. Dans la ville, dans la vie de la cité. Les lois qui régulent notre société ne doivent pas être dictées par une minorité non-représentative. Nous devons nous battre, pour que les Droits des femmes soient respectés et garantis. Au-delà de nos droits, l’enjeu est aussi celui d’une société plus juste, plus égalitaire.

Quand aujourd’hui, quelqu’un me dit que le féminisme n’a plus lieu d’être, j’ai envie de lui permettre de voir le monde avec mes yeux, de lui apprendre à compter. Le soir, quand il sort. Chaque fois qu’il fait quelque chose, qu’il se déplace. Fais le compte. La parité, l’équilibre, est un objectif à atteindre partout.

#8mars2017

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