Décroissance: réinventer nos modes de vie pour sortir de l’impasse.

Mathieu Bobin
Scribe

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Accroissement des inégalités, appauvrissement, désastres écologiques et crises économiques : le modèle capitaliste basé sur l’exploitation sans fin des ressources semble à bout de souffle et nombreuses sont les voix qui s’élèvent contre ce mode de fonctionnement. La machine économique s’est emballée, nous sommes allés trop vite et trop loin. Il faut ralentir, modifier notre rapport au temps et à la nature et il est nécessaire de songer à des alternatives. Parmi les notions qui reviennent régulièrement et qui cherchent à proposer des solutions viables au problème: la décroissance.

“Si le désir de croissance perpétuelle est source de crises économiques, sociales et environnementales alors sans doutes faut-il en conclure que la croissance n’est pas une solution » — André Gorz

Si le terme de décroissance a gagné en visibilité auprès du grand public dans les années 2000, le club de Rome en 1972 avait déja posé la question d’une exploitation durable des ressources naturelles non renouvelables par nos sociétés productivistes. A une époque où les théories néo-libérales font figures de référence, ce sont des économistes tels que André Gorz en France ou Nicolas Georgescu Rhogen aux Etats Unis qui évoquent et formalisent pour la première fois la notion de décroissance. Visionnaires, ces deux intellectuels remettaient déjà en cause les principes d’exploitation illimitée des ressources dans des logiques de production de valeur. André Gorz affirmait par exemple que “notre mode de vie actuel est sans avenir, que notre monde va finir, que les mers et les fleuves sont stériles, les terres sans fertilité naturelle, l’air étouffant dans les villes et la vie un privilège auquel seuls auront droit les spécimens sélectionnés d’une nouvelle race humaine ».

Depuis sa première apparition dans les années 70, la notion de décroissance s’est considérablement enrichie.

Comment définir la décroissance?

Si de nombreuses interprétations et définitions ont été attribuées à la décroissance, le socle de réflexion reste globalement le même: le constat que la croissance a ses limites, la nécessité de trouver des alternatives efficaces pour garantir la prospérité sans croissance, la conviction qu’une société égalitaire doit se libérer du capitalisme et de sa soif de croissance en poussant les individus à se limiter dans leur consommation et à coopérer.

L’économie de décroissance implique donc la déconstruction des schémas traditionnels de l’économie mondialisée. Là où les modèles capitalistes classiques vont davantage favoriser les notions d’individualisme et d’accumulation, la décroissance va elle surtout privilégier la proximité, le partage et la restriction.

Les partisans de la décroissance défendent globalement un mode de vie plus sobre et tourné vers la limitation volontaire de chaque individu dans sa consommation quotidienne. La décroissance ne se limite pas qu’à la simple sphère écolo-environnemental mais a pour vocation d’étudier et de remettre en cause le poids de l’économie traditionnelle sur nos modes de vie et de réfléchir et proposer des alternatives sur les formes de production et d’échange entre les individus.

Partage, simplicité, convivialité, sobriété: telles sont les expressions et les valeurs qui reviennent souvent pour parler de décroissance.

L’avenir de la décroissance

A quoi pourrait donc ressembler une société post-croissance? Si il est difficile d’en dessiner clairement les contours pour le moment, certains économistes ont jeté les premières fondations du modèle. Niko Paech par exemple, économiste allemand défenseur de la théorie de la décroissance, définit ainsi 4 grands axes:

  • Une nouvelle division mondiale du travail: Principe du jeu à somme nulle matérielle (rénover et réhabiliter plutôt que produire), des technologies efficaces et intégrées, des objets réparables et modulables et durables culturellement, des gains de surface supplémentaires grâce au démantèlement et à la revégétalisation.
  • Une économie régionalisée: Des associations pour le maintien d’une agriculture paysanne, des monnaies régionales et des chaines de valeur démondialisées.
  • Principe de subsistance: Favoriser l’auto-production (jardinage, bricolage, éducation des enfants), allonger l’usage (entretien et réparation des objets), favoriser l’échange de services en réseau, pousser à l’engagement et au bénévolat auprès de communauté.
  • Principe de sobriété: Se débarrasser du superflu, redevenir maitre de son temps et redonner du sens au travail, éviter la “surcharge sensorielle” (ex: exposition à la publicité, mails, SMS…).

Si le modèle semble sur le papier plus proche de l’utopie que de la réalité, les principes et les valeurs défendus par la théorie de la décroissance n’ont pourtant jamais semblé autant d’actualité: développement des AMAP et des réseaux d’entre-aides, création de monnaies locales, transformation du travail, lutte contre l’obsolescence programmée, développement de communautés responsables à travers les oasis… De nombreux facteurs semblent témoigner de l’émergence croissante de ce nouveau modèle et de son adoption progressive par nos sociétés.

Relever les défis de la décroissance

Quelle pourra donc être la place de la décroissance dans le futur? Le vrai défi viendra des contraintes et des habitudes culturelles de croissance: aussi triviale et pénible que la solution puisse paraitre, nous n’avons probablement pas d’autres choix en tant que citoyens et humains que de nous limiter dans nos choix et adopter un mode de vie plus sobre. Réinventer le bonheur et le bien être dans la convivialité plutôt que dans l’accumulation frénétique et déraisonné: tel sera le défi auquel devra faire face la décroissance pour avoir une chance de voir le jour.

Nous ne pouvons en tout cas plus prétendre que le monde est une terre de ressources illimitées et reproduire à l’infini notre modèle de consommation. Nous ne pouvons pas non plus continuer à croire aveuglément à la science et à l’innovation pour trouver des solutions miracles à cette impasse. Le changement viendra avant tout d’une prise de conscience collective sur notre responsabilité individuelle face au monde et à l’environnement.

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