De la soupe pour les cœurs brisés /2

Valentin Vieira da Silva
Scribe
Published in
5 min readSep 28, 2018

Parfois je me raconte des choses.

Et je me dis:

Voilà la vérité.

Voilà ce qui se passe et je ne peux rien y faire.

Ce que je me raconte depuis longtemps, c’est que personne ne me connait.

Ma famille, mes amis.

Je me suis aperçu qu’ils ne me connaissaient pas.

Disons: c’est ce que je me racontais.

Il ne savent pas ce que j’ai fait.

Ils ne savent pas ce que je pense.

Ils ne savent pas de quoi je suis capable.

Le plus drôle dans tout ça, c’est qu’il m’a fallu tout ce temps pour m’apercevoir que c’est moi-même qui ne me connaissais pas, moi-même qui me forçais à croire que les autres étaient là pour me connaître et m’aimer tel que je suis.

Alors qu’ils n’ont jamais été là pour ça.

Ce que je crois maintenant, c’est que les autres, tous les autres, sont là pour que j’apprenne seul à m’aimer et à me reconnaître tel que je suis.

D’une certaine façon, les autres m’apprennent à me passer d’eux et surtout, ils m’apprennent à me passer de toutes mes histoires, toutes ces vieilles rengaines auxquelles je crois sans m’y arrêter réellement, en me disant que c’est moi, que je suis comme ça — et pas autrement.

Alors que non, ce n’est pas le cas: toutes ces histoires ne sont pas ce que je suis, ni résument ce que je suis.

Ces histoires ne sont pas moi.

Je me souviens il n’y a pas si longtemps j’étais avec quelqu’un et nous vivions ensemble.

Nous étions proches, vraiment proches, l’un de l’autre — l’un avec l’autre.

Je me souviens même une nuit, alors que nous dormions côte-à-côte, je me suis réveillé, j’étais collé contre son dos, ses seins dans mes mains.

Elle était en train de pleurer et bon je savais qu’elle pouvait pleurer en dormant car c’était déjà arrivé mais je lui ai tout de même demandé si elle était réveillée, elle aussi.

Elle me répondit que oui.

Je l’embrassa dans la nuque et lui demanda de partager ce qui faisait couler ses larmes si elle le voulait bien.

Elle me dit simplement qu’elle pleurait parce qu’elle était là, que c’était la nuit et qu’elle était dans mes bras.

Elle pleurait sur cette réalité là.

Sur la chance inouïe qu’il nous avait fallu pour nous rencontrer et nous aimer.

Le temps est passé.

Nous nous sommes séparés.

Je me souviens, plusieurs mois avant de ne plus se parler du tout, avant la fin de notre relation, elle disait qu’elle voulait m’aider, qu’elle voulait plus que tout que l’on reste ensemble pour que nous puissions continuer à grandir ensemble.

Je lui avais dit qu’elle ne me connaissait pas.

Qu’elle ne me connaissait pas vraiment (je me souviens d’avoir dit ce vraiment comme si cela pouvait faire une différence monumentale).

Qu’elle ne savait pas qui j’étais.

Je me souviens encore aujourd’hui de sa réponse car ce qu’elle m’a dit à ce moment-là me déstabilisa.

Ce n’est pas à cela que je m’attendais dans sa bouche.

Elle me dit simplement:

Je ne suis pas là pour te connaître.

Je suis là parce que je veux te voir et te sentir grandir à mes côtés.

Je suis là pour que quoi que tu aies envie de partager avec moi, tu saches que je resterai à tes côtés.

Tu saches que je ne partirai pas et que je ne t’abandonnerai pas.

Je m’en souviens encore parce que lorsqu’elle m’a dit cela, j’ai pleuré et c’est bête dit comme ça, mais lorsque j’ai senti mes larmes rouler sur ma joue pour aller jusqu’à la commissure de mes lèvres, je me suis juste dit:

Tiens,

Je n’ai pas pleuré depuis l’école primaire.

(Bon, en vérité, j’ai quand même pleuré quelques fois mais je ne compte pas les films et les dessins animés).

Nous ne nous parlons plus aujourd’hui, elle et moi.

Je sais qu’elle est heureuse.

Du moins c’est ce que je me dis.

Moi, je ne sais pas trop.

Je suis heureux.

Mettons que j’ai découvert que me connaître, me connaître sans rien retoucher, sans rien changer à ce que je suis au moment où j’en prends conscience me rend heureux.

Mais c’est faux.

Cela ne me rend pas heureux.

Cela me rend vrai, cela me rend vivant.

Et responsable peu à peu de ce à quoi je tiens, de ce que je veux faire et être.

De ce dont je me sens capable de faire et d’être.

Cela me fait penser au Lapin de velours.

C’est une histoire pour les enfants qui raconte l’apprentissage de la vie par un jouet, une peluche, le fameux Lapin de velours qui donne son titre à l’histoire.

À un moment donné dans le livre, le lapin parle avec le cheval de cuir qui est l’un des plus vieux jouets et ils ont cette conversation ensemble, une conversation à laquelle je reviens souvent parce qu’elle me parle.

– C’est quoi être vrai? demanda un jour le lapin de velours.

Ils étaient allongés par terre, près du coffre à jouets.

– Est-ce que ça veut dire se mettre à vibrer quand quelqu’un appuie sur notre bouton ?

– Non, répondit le cheval de cuir.

D’abord, on n’est pas vrai immédiatement, on le devient. Quand un enfant t’aime, très, très longtemps, pas seulement pour jouer, non, mais quand il t’aime réellement, alors tu deviens réel.

– Est-ce que ça fait mal ? demanda le lapin.

– Parfois, répondit le cheval qui disait toujours la vérité. Mais quand tu es vrai et réel, ça ne te dérange pas qu’on te fasse mal.

– Est-ce que ça arrive comme ça, en une fois, comme d’être remonté, ou est-ce ça vient petit à petit ?

– Non, ça n’arrive pas tout d’un coup dit le cheval de cuir. Ça prend beaucoup de temps. C’est d’ailleurs pour ça que ça n’arrive pas à ceux qui se cassent facilement ou qui ont des angles pointus, ou alors à ceux qui réclament beaucoup de soin.

En général, le temps que tu deviennes réel, presque tous tes poils ont été usés d’amour, tes yeux tombent, il y a du jeu dans tes articulations et tu es dans un piteux état. Mais tout cela importe peu, car quand tu es réel, tu ne peux pas être laid, sauf aux yeux de ceux qui ne comprennent rien. »

La peinture est d’Emil Nolde.

Son titre est Madame T. avec un collier rouge.

Le Lapin de velours est une histoire qui a été écrite par Margerie Williams.

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