Écrire ou la recherche de la “vérité”

Marie M
Scribe
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9 min readJun 28, 2018

TW : article “un peu” prétentieux, sans début, milieu ou fin, sans construction internet ou externe, article qui se dit aussi vrai que faux, à prendre ou à laisser.

Je me souviens de cette lecture, Enfance de Nathalie Sarraute, de mon propre cheminement à travers ce livre car chaque ligne en était une quête personnelle. Dans ce roman, l’autrice fait l’effort de se souvenir et à la lecture de son travail, à mon tour, j’ai plongé dans ma mémoire, ma propre enfance. Des brins de passé me revenaient, des détails, des sensations parfois, c’était un voyage incroyable dans un vécu lointain que je pensais oublier.

Je redécouvrais alors mon existence.

Aujourd’hui je lis Et soudain, la liberté de Évelyne Pisier et Caroline Laurent. C’est un roman complètement différent puisque cette fois le travail du souvenir est effectué par l’autrice, Caroline Laurent qui tente d’écrire l’histoire de cette femme, Evelyne Pisier à travers le manuscrit qu’elle lui a donné et les évènements de sa vie qu’elle a tenté de lui compter avant sa mort : les détails, les anecdotes, les instants, les souvenirs. Pourtant il reste des trous et c’est à travers ses propres émotions, son propre vécu que l’autrice comble les vides et érige un roman absolument superbe.

À travers leurs mots, ceux de celle qui écrit et ceux de celle qui n’est plus mais revit au sein de l’autre, je plonge à nouveau dans mon passé.

À travers les pages de ce livre, une réflexion intéressante se libère sur la limite entre le réel et la fiction. L’idée de vérité est inlassablement mise en doute et Caroline Laurent tente d’éclaircir entre chaque chapitre de la vie d’Evelyne son travail de reconstitution, la part d’imaginaire qu’elle insinue dans l’histoire et pourquoi elle a fait ces choix. Elle tente en quelque sorte de se justifier.

C’est en faisant face à cette réflexion que j’imagine mon histoire, repense à mon vécu, écris dans mon esprit ce que pourrait être le livre de ma vie.

J’ai toujours eu peur des vides, des manques, des souvenirs envolés. J’ai toujours cru qu’il me serait impossible de coucher sur le papier ce que j’ai pu vivre car trop d’éléments restent manquants.

En lisant ce livre je comprends, alors soulagée, que la vérité n’existe pas. Il n’y a pas de mots justes, de souvenirs loquaces mais seulement la reconstruction dans le présent de ce que fut le passé.

Une vie ne s’écrit pas une fois, mais dix, vingt, trente fois… Une vie se réécrit tous les jours car à travers le spectre changeant de notre identité sa perception se mue en de nouvelles variantes. Je suis alors rassurée, peut être qu’un jour j’y arriverai, j’écrirai ma vie.

Dans le fond, j’ai toujours eu ce rêve : être écrivaine. Quand j’étais collégienne je m’empourprais de plaisir à l’écriture des rédactions qui nous étaient demandées. J’étais fière de moi parfois.

Mon premier souvenir d’écriture est celui de l’histoire de la construction de la tour Eiffel. Dans ma version des faits, l’architecte Eiffel (quid alors de Stephen Sauvestre) fit construire lors de l’exposition universelle sa tour sur deux piliers imposants. Cependant, celle-ci déséquilibrée, s’effondra. Structure de Kapla vacillante. Heureusement pour la gloire de la France, l’architecte ne s’arrêta pas à une défaite et fit reconstruire sa tour, cette fois instruit par son erreur, sur trois pieds éloquents.

Dans mon premier récit d’enfant, la tour Eiffel gisait, fière et éternelle, sur trois piliers. À cet âge-là, l’approche de la vérité ne m’importait peu et d’ailleurs je ne savais pas alors que je faisais erreur. L’innocence est donc peut-être la plus grande source d’inspiration puisqu’avec les années qui ont passées, j’ai eu le sentiment de perdre la capacité d’imaginer, de créer.

Avant, j’étais capable d’écrire des pages de rédaction sur des sujets toujours plus extravagants, il m’est maintenant impossible de mettre en place une histoire, d’inventer une intrigue ou des personnages. Je lis des romans (auto)biographiques ou de fiction et m’extasie devant l’ingéniosité de l’autrice ou de l’auteur à laisser se déployer sous mes yeux un récit captivant.

Si l’histoire est réelle ou du moins tirée de la réalité, je m’interroge sur la capacité à relater des faits, retrouver des dialogues, paraître si juste… mais dans le fond que sais-je vraiment sur la véracité des mots employés, des phrases relatées ? Le passé n’existe qu’à travers la subjectivité de celui ou celle qui le raconte et je n’en lis alors qu’une perception longuement floutée par le temps et les émotions.

Si je prends le temps de vous raconter ma vie et si par la suite vous entendez la version de mon existence à travers les mots d’un ou une ami.e.s, quelqu’un de ma famille, quelqu’un qui aurait pu m’aimer ou même me détester… Des similarités apparaîtront mais les variantes ne cesseront de se multiplier.

Où se tient alors la vérité ? Si on tend à penser que mon propre récit restera le plus proche de ce que ma vie a été, ça serait alors se méprendre sur ma capacité à me souvenir sans avoir filtré mon passé par quelques émotions vécues ou même la possibilité d’être véritablement sincère face à la honte, la douleur, la pudeur… Quand d’autres personnes n’auront pas forcément ces soucis de chasteté.

En exemple flatteur, mon grand frère a longtemps eu cette tendance à répondre à ma place, il me décrivait de façon élogieuse, n’épargnait aucun superlatif et je me surprenais parfois à ne pas me reconnaitre dans ses mots. Mon image était alors couvée dans la fierté d’un grand frère pour sa petite sœur. Ma vie, à travers son regard toujours si bon, était une aventure presque romanesque.

Les émotions, les sentiments, les cicatrices ou plaies encore ouvertes, le passé lointain ou proche sont autant d’éléments qui modifieront inlassablement les structures de nos souvenirs. La possibilité de prendre du recul, une thérapie, un voyage, une rencontre sont aussi d’autres facteurs pour appréhender à nouveau notre réalité passée.

Ce que nous avons été n’est pas inscrit, indélébile, dans notre mémoire mais glisse comme l’eau de source vers l’océan, passant de torrent à fleuve, plongé dans les cascades de nos interprétations.

Finalement : « rien ne se perd, rien ne se crée tout se transforme ».

C’est ainsi qu’il y a peu, je suis retombée dans mes carnets d’enfances, d’adolescente puis de voyageuse.

J’ai été bouleversée.

Une faille immense s’est créée entre mes propres souvenirs, ceux blottis dans mon esprit et ceux que j’avais écrits à l’époque. D’un même instant, deux versions parfois diamétralement opposées se faisaient face et je ne savais alors plus où existait ma propre réalité. Je reprenais conscience parfois de ce que j’avais pu vivre, je me noyais dans mes émotions passées. Certains vides se comblaient, d’autres s’agrandissaient.

Le plus amusant peut-être fut pour moi de prendre conscience que je n’avais pas tant écrit. Quand j’étais plus jeune, j’étais persuadée de noircir des pages et des pages de carnet, cette sensation m’est alors restée comme un fait absolu. Quand j’ai retrouvé mes carnets, une seule réalité possible : non je n’avais pas autant écrit que ce que je pouvais imaginer ou me souvenir.

De même que je me croyais à mes quinze ans relativement mature, du moins plus que le commun des mortels qui m’entourait et vous m’excuserez la condescendance de l’époque révolue. Puis j’ai fait face un jour aux conversations MSN que j’échangeais à cet âge-là ! Je n’aurais sûrement pas dû… finalement mes souvenirs prétentieux étaient bien plus agréables et me rendre compte du ridicule de mes propos fut absolument risible.

Il en est de même à la lecture des premiers journaux intimes puisqu’à cette époque je ne parlais pas encore de carnet. Si maintenant je suis capable d’être attendrie face à la naïveté de ce que j’ai pu écrire, je me souviens, plus jeune, avoir arraché, honteuse, de nombreuses pages car je n’assumais pas d’avoir pu être si enfantine.

Maintenant je regrette, évidemment.

Ces milliers de mot couchés sur le papier, cette bibliothèque de carnets sont mes livres d’histoires, mes archives, mes fondations oubliées. Les lire et les relire, m’y plonger des heures, c’est une possibilité de me redécouvrir, c’est voir mon évolution et si cette démarche peut paraître prétentieuse puisqu’incroyablement tournée vers mon égo, c’est avant tout pour moi, apercevoir l’espoir d’une évolution.

Retourner dans le passé à travers mes mots, prendre le temps du recul, c’est aussi se rendre compte qu’une seule vérité de notre être n’existe pas, que si les fondements restent les mêmes, notre identité est un kaléidoscope incroyable qui ne cesse de créer de nouvelles ébauches d’un futur incertain.

C’est l’une des raisons qui me poussent encore et toujours à écrire. Mes textes, mes articles, mes carnets sont des facettes multiples de ce que j’ai été ou ce que je suis, ils sont diverses façons de m’appréhender.

Mes carnets, par exemple, sont un instant T, une émotion ressentie à la seconde même où la plume touche le papier. Je ne cherche pas le mot juste, je déverse, vide mon âme et mes entrailles afin d’alléger mon être. Ce qui a pu être écrit sous l’emprise de la colère, de l’amour, de la joie, de l’excitation… ne sera pas forcément vrai quelques instants, heures, jours, mois, années après.

Je me relis et suis parfois stupéfaite de ce que j’ai pu écrire mais ces mots sont là, tels un exutoire, ils me libèrent, me soulagent et même si parfois ils ne veulent rien dire, les déposer sur le papier, c’est me permettre d’avancer. Ces mots-là sont mon intimité la plus profonde, plus qu’une mise à nu, c’est la tentative d’oubli de toute pudeur afin de me libérer d’un carcan personnel et sociétal.

Dans mes carnets, un mot posé ne s’efface pas.

À l’inverse, quand j’écris un article et que je suis alors sur mon ordinateur, je “copie-colle”, reviens en arrière, supprime des paragraphes, recommence, m’arrête, ne reprends jamais, me relis (quoi que l’orthographe m’échappe encore et toujours…), cherche des synonymes ou des définitions. À l’écriture d’un article, parfois j’ai cette impression de travaille.

Malgré le fait que mes écrits restent très égoïstes et contentent en moi un besoin d’expression qui m’est très personnel, je tente tout de même de faire sens. Dans mes articles, je me censure, je n’ose pas toujours, quoi que Medium m’ait permis plus de liberté puisque je reste anonyme sur cette plateforme et donc plus emprunt à écrire ce que je souhaite vraiment.

Écrire un article, c’est aussi dévoiler une part de moi. C’est souvent une recherche, un travail personnel, une possibilité d’extérioriser ce qui me touche. C’est m’exprimer publiquement sur des « vérités » qui me sont propres et confronter ce que je suis au regard d’autrui. C’est aussi donc avoir une certaine retenue puisque parfois je n’ose pas complètement m’exposer, puisque à travers le lecteur naît le jugement, l’avis ou la confrontation. Le nombre de “claps”…

C’est à la lecture de ce roman, Et soudain, la liberté, au trois quarts du livre, que j’ai posé les mots de l’autrice sur un coté de la table pour libérer les miens. Je n’avais rien prévu, rien pensé. Peut-être alors que cet article ne fait pas vraiment sens mais il était avant tout une réflexion.

Une phrase en a apporté une autre et au fil des lignes qui se sont déchainées, je me suis construite de nouvelles vérités, en ai délié d’autres. C’est ainsi que j’en arrive à simplement citer la définition puisque c’est à mes yeux une incroyable façon de redécouvrir un mot :

Vérité : nom féminin (latin veritas, de verus, vrai). Adéquation entre la réalité et l’être qui la pense.

Ainsi, dire vrai, écrire la vérité serait en quelque sorte trouver un équilibre entre l’extérieur : le monde qui m’entoure, l’instantané du vécu, l’éternel changement… et l’intérieur : mon conscient et inconscient, mon être profond, mon passé…

Ainsi, la vérité, en réalité n’appartient qu’à chacun puisqu’elle est un rapport avec celui “qui la pense”, n’appartient qu’au présent puisque l’être est en perpétuellement mouvement de conscience. La vérité est faillible, fragile, multiple et incontestablement subjective.

Ainsi, cet article comme les milliards de mot déjà écrits ou prononcés ne sont donc que réflexions, remises en question, possibilités, ils ne sont rien si ce n’est le bénéfice du doute.

Ainsi, il est donc grand temps pour moi d’écrire le livre de ma vie et demain… de recommencer.

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Marie M
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Entre écriture, lectures, voyages et réflexions.