Fais gaffe si tu te retrouves à lui ranger ses chaussettes

marie vdm
Scribe
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6 min readSep 17, 2017

Je suis avec lui depuis 9 ans et nous n’habitons pas ensemble. Enfin SI, je vis avec lui au quotidien : on parle, on s’envoie des messages, des mails, on regarde des films et des séries, on mange ensemble, on dort ensemble. Mais pas tout le temps, et pas toujours sous le même toit. Il a son appart et j’ai le mien. “Mais quand est-ce que vous allez finir par vivre ensemble après tout ce temps ?!” m’a demandé Lisa l’autre jour. Je n’en sais rien, et rien ne presse.

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Apparemment cette question travaille beaucoup de gens autour de nous. Et c’est toujours quelqu’un d’autre qui vient me la coller dans le crâne, jamais une question que je me pose au réveil ou quand je suis sous la douche. Pas comme quand tu dois annoncer à tes parents que tu voudrais faire artiste ou quand tu te demandes ce que tu vas porter à cette teuf ce soir. Des questions existencielles.

Ça ne m’inquiète pas plus que ça, mais ça obsède un peu les autres. Ne pas vivre ensemble fait qu’on est “pas comme les autres couples”. Ce n’est pas spécialement l’effet recherché, mais c’est ce qu’on est à leurs yeux. Le grand jeu devient “alors quand est-ce que vous faites comme tout le monde ?”. Et c’est rarement une curiosité saine comme celle de Lisa. Le plus souvent, tu sens qu’ils veulent te voir échouer.

Et ce n’est pas grave, moi aussi je fais ça. Moi aussi, quand je vois des couples qui n’ont pas plus de 25 piges je me dis “aaaw c’est trop mignon, ils croient qu’ils vont rester ensemble toute leur vie !”. Sauf que je ne leur balance pas à la gueule (ok peut-être une fois). Et qu’on a 37 ans. Et qu’on n’est pas en train de ne pas vivre sous le même toit pour éviter de se planter ou de faire les mêmes erreurs que les autres ont faites. Ou qu’on a faites nous-même avant.

Ça n’était pas par choix, au départ. On a gardé chacun son appart par pragmatisme. Quand on s’est connu, je venais d’emménager dans le mien. Il venait de racheter les parts de son ex dans le sien. Tu vis comme ça pendant un moment, tu laisses la relation prendre. Ou mourir. Mais elle a pris. Et nous on a pris des habitudes. Les week-ends chez lui (plus grande télé), quelques nuits en semaine chez moi (plus central). Des soirées chacun chez soi pour faire nos affaires.

Ca a commencé après 2–3 ans. Les regards inquisiteurs. Comme s’il y avait une date de péremption à vivre chacun chez soi. “Alooooors ?”. En même temps, ce n’est jamais venu de nos parents. Ils ont demandé une fois en passant, on a dit que c’était pas prévu, ils ont dit ok et on est passé à autre chose. Mais la famille élargie et les connaissances, ceux qui te demandent un mariage et des enfants, tu sais que c’est comme ça qu’ils mesurent la vie. Un pas après l’autre, les mêmes pour tout le monde comme ça c’est plus facile à compter. Je me souviens avoir eu de la peine pour sa tante qui essayait juste d’être sympa et de créer un lien avec moi, n’importe lequel, après lui avoir répondu que non, ça ne nous intéressait pas de faire des gosses, non, jamais, et que non, on n’avait pas l’intention de dépenser une fortune pour commencer notre vie ensemble. En plus, notre vie ensemble a commencé il y a bien longtemps.

En fait c’est ça le truc : on est comme tous les autres couples. On fait les mêmes choses, on mange gras, on regarde Game of Thrones et House of Cards, on part en vacances, on dîne avec nos parents. On fait des selfies, des blagues, il râle parce qu’il est mon “google-guide husband”, je râle parce qu’il faut toujours tout ranger avec lui. On s’embrasse, on baise, on n’est pas d’accord, on fait la gueule. On est comme eux, comme vous, on EST ces autres couples.

Ce qui était du pragmatisme au début, ça a continué d’être du pragmatisme sur la longueur. Ce n’est pas qu’on a peur, je le redis : on l’a déjà fait avant, on s’est déjà planté, on sait très bien comment ça marche. En tout cas les règles de base. Et on sait qu’on inventerait d’autres règles qui nous seraient propres. À vrai dire, c’est EXACTEMENT ce qu’on fait depuis 9 ans, on ne le fait juste pas sous le même toit. D’ailleurs, quand on part en vacances, on passe un mois sous ce fameux toit, et on en sort vivant et toujours unis. Unbelievabeul.

Avec les aléas de l’échange d’appart pour les vacances d’été, on va maintenant vivre 2 mois ensemble, et la première chose que j’entends c’est “fais gaffe, si tu te retrouves à lui ranger ses chaussettes et avoir des pensées déco, là tu pourras avoir peur”. Encore une bonne âme qui vient plaquer ses angoisses sur ma relation. Parce que tu vois, quand on ne vit pas ensemble, il y a les gens qui souhaiteraient que tu le fasses, et il y a ceux qui souhaiteraient que tu ne le fasses pas. Au final, tu n’es jamais gagnant.

C’est comme si on ne pouvait jamais faire comprendre que ne pas vivre ensemble n’est pas un problème pour nous. Ce n’est pas qu’on ne veut pas le faire un jour, et ce n’est pas qu’on aimerait le faire maintenant mais qu’on ne peut pas. C’est juste que jusqu’ici, ça fonctionne. On ne fait pas ça pour être différents, et on ne le fait pas non plus parce qu’on prend de haut ceux qui choisissent d’emménager ensemble. On ne vit pas non plus comme ça par idéal, parce qu’on serait trop attaché à notre indépendance et notre liberté individuelle. Nos vies sont aussi enchevêtrées que possible pour un couple hétéro de notre âge qui s’en fout des bébés et des liens sacrés du mariage.

Très vite tu as l’impression ça se résume à : pas mariés, pas reproduits, pas endettés, tout ça c’est une autre façon de dire pas investis. Or ce n’est pas le cas. On s’efforce de se rendre heureux, on s’emploie à se faire grandir, on s’applique à créer un chez-nous où qu’on aille.

Le plus fondamental pour moi, c’est que ça me permet de me construire moi-même tout en étant partie d’un tout, d’une team. C’est un équilibre délicat, et c’est comme ça qu’on y arrive. Est-ce que ça ne serait pas ça, aussi, le but d’un couple ?

Alors pour ceux qui continuerons de poser la question, demandez-vous plutôt en quoi nos choix de vies menacent les vôtres — que vous ayez choisi la route commune de la vie à 2 ou l’autre tout aussi empruntée (ou forcée) de célibataire endurci. Peut-être que cette réponse-là sera beaucoup plus intéressante pour vous.

Ouvrez les yeux sur les mille façons qui existent d’être ensemble, au lieu de vouloir tout simplifier. Décortiquer ma relation et la qualifier de bonne ou mauvaise ne changera rien pour vous. Et pendant ce temps-là, je n’attends l’approbation de personne. Je crois qu’on peut façonner notre lien comme on en a envie, au fur et à mesure, vous avez le droit de le croire aussi.

En plus de tout ça, il préfère ses chaussettes pliées d’une façon différente de la mienne, et de nous deux, c’est lui qui est le plus à fond dans la déco. Donc dans l’ensemble, je suppose que ça devrait finir pas trop mal cette histoire.

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