La fierté d’une mère

Samuel B. Rozenbaum
Scribe
Published in
4 min readApr 30, 2019

ÉÉté mille neuf cent quatre-vingt-dix-huit. Gisèle écoute attentivement de l’autre côté de la porte vitrée. Ce qui lui parvient de la bibliothèque est beau et feutré. Un courant d’air doux en profite pour lui caresser le cou. Elle réagit peu ou prou, un sobre sourire peut-être qui s’amplifie sur les joues. Elle sait pourquoi elle a ouvert les fenêtres en ce milieu d’après-midi ensoleillée, elle sait que ce n’était pas seulement pour alléger la température de la maison. Elle voulait que le vent, son confident, puisse s’inviter à n’importe quel moment.

Et le voilà. Il a compris que l’on parlait de lui. Il a entendu ce que les trois gaillards racontaient à la fille de Gisèle. Il les a observés assis en rond, par terre, sur le tapis. En guise de cadeau idéal, de don aussi imprévu que vital, Michel, Louis-Jean et Dan jouent et rejouent la chanson qu’ils sont venus offrir à Marie-Pierre. Sa première.

❝ Mais quand j’reviens d’où je viens, je retrouve mon horizon
Le ciel me prend par la main, le vent m’appelle par mon prénom.❞

C’est d’abord en qualité de mère que Gisèle est émue, fière de voir qu’un compositeur extraordinaire comme Michel Rivard valide le choix de parcours de sa fille. Que par ces quelques notes et mots fournis, il conseille implicitement à Marie-Pierre de prendre son envol pour vrai. Même à vingt ans, même mélancolique, elle peut tout obtenir si elle travaille pour atteindre son but. Et puis au son de cette note répétitive, martelée tout au long de la chanson par la guitare, l’esprit de Gisèle part se promener au gré des souvenirs qui lui sont soufflés à l’oreille.

Gisèle se rappelle de sa mère au piano, des veillées familiales enchantées, de la chorale de filles qu’elle avait intégrée pour chanter aux fêtes du Canada un 1er juillet ; vers onze ou douze ans. Elle se rappelle de son arrivée ici, à Grande-Vallée, à quinze ans, avec ses deux sœurs et ses parents. La rencontre avec Arthur qui deviendra bien plus que son complice musical.

Avant de fonder ensemble une fratrie d’instrumentistes accomplis, c’est sur scène qu’ils s’unissent, au sein des Coronets 4. Gisèle chante et percussionne, Arthur gratte aux côtés de Marcel, Carole officie à la basse et Gaston à la batterie. Elle revoit ses cheveux longs de l’époque, et sa magnifique jupe vert-forêt à plis que sa mère avait confectionnée pour le tremplin à Montréal. Au cours du concours, un imprésario avait voulu les signer même s’ils n’avaient pas gagné. Les parents ont refusé, il lui manquait trois années pour prendre les décisions de la majorité. Elle a toujours un peu regretté.

Été deux mille dix-huit. Sur la terrasse de sa maison, Gisèle continue de se confier.

❝ On se projette forcément un peu dans ses enfants. On espère qu’ils réussiront mieux que nous. J’étais heureuse que Marie-Pierre aille dans cette direction. J’ai toujours rêvé qu’au moins un de mes enfants soit musicien ; j’ai été gâté, ils sont quatre ! Pas tous connus, mais très bons pareils.❞

Gisèle ne se doute pas qu’au détour de l’ensemble de ses récits, je capte une confidence capitale supplémentaire. Dans l’accumulation de ses mémoires aux teintes euphoniques, elle me dévoile l’âme cachée de la ballade qui a été offerte ce jour-là à sa fille.

Tout comme on perçoit encore les empereurs romains et la foule monumentale en admirant le Colisée, dans cette chanson c’est tout le passé familial et mélodique des Mélanson et des Fournier qui est encapsulé. En filigrane, chaque génération de musicien est présente, avec pour confident constant, le vent.

À croire que c’est lui qui a souhaité que cette ritournelle existe, à croire que c’est lui qui l’a soufflé à Louis-Jean et Michel. Finalement, les souvenirs ne s’en vont jamais bien loin. Ils errent et s’amusent dans l’air, en attendant que des oreilles attentives et compréhensives acceptent de les capter de nouveau.

Écoutez Le vent m'appelle par mon prénom de Marie-Pierre Arthur.Entrevue réalisée à Grande Vallée, à l'été 2018.
Pour en savoir + :
Gisèle, Marie-Pierre Arthur, Petite Vallée
Texte & photos :
Samuel R.

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Samuel B. Rozenbaum
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Si ma croissance est terminée, pourquoi mon front continue-t-il de grandir ? ● Explorateur de mots, de notes, et d'images.