La main féconde (ou pas) : récit d’une expérience maternelle

Far far away

Anne-Laure Frite
Scribe

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Un écrivain qui n’écrit pas écrit quand même.
Il est juste plus malheureux.

En 2017, je n’ai presque pas écrit. Ici, sur Medium, mais aussi ailleurs.
J’ai suivi deux ateliers d’écriture chez Aleph, sympathiques mais peu structurés, surtout où la communauté n’a jamais fait sens, jamais pris consistance malgré quelques heures agréables partagées ensemble. J’ai même tenté d’aller aux Iles Canaries (le bol !), où rien n’a réussi à me sortir du brouillard malgré la beauté sublime des lieux et une rencontre intime entre mon genou et les roches volcaniques sous marines.
Et puis j’ai décidé d’arrêter les frais.

Je ne blâme personne, le problème vient de moi. Ou plutôt du contexte.
Mon coeur n’est pas ouvert, mon esprit peu disponible. J’ai beau essayer, essayer, forcer, ça ne fonctionne pas. Là où les idées s’enchaînaient à une vitesse folle, avec clarté, vivacité il y a encore quelques mois, il ne subsiste qu’un brouillard mou. Un gros tas de boue qui colle.

Je vais le dire franchement, quatre ans de France, dont une grossesse et 18 mois de parentalité, m’ont rendu le cerveau stérile.
Je ploie sous le poids de mes illusions, les amis.
Netflix est devenu mon meilleur pote. Fabuleuse anesthésie cérébrale qui permet de souffler quelques heures (plusieurs heures) par jour.

Pour te l’expliquer autrement, j’étouffe dans un espace minuscule dans lequel je peux à peine me retourner. Je suis sûre que tu vois le tableau.
On en passe tous par là, par moments.
Coincée dans ma tête mais aussi sur le territoire, voire entre les murs de ma maison, comme on peut l’être dans un RER bondé à essayer d’extirper son journal pour le mettre au niveau de ses yeux, sans y parvenir.
Puis abandonner et fixer le paysage l’oeil tombant entre Nogent-sur-Marne et Magenta.

Je n’arrive même pas me distraire.
Je suis dans ce train qui roule à une allure exaspérante tant elle est lente, entourée d’une masse de gens sans visages et sans noms avec qui je n’interragis pas.

La seule lumière vient de ma petite fille qui mange avec un air malicieux tout ce que j’ai à offrir. (ceci n’est pas une métaphore sur l’allaitement. Plus sur le temps, l’espace, l’énergie vitale. Ce genre de trucs. Merci de ta compréhension).

Séance de dégustation de cube en bois — devis sur demande.

Il semble que pour le moment, il faille juste être là et attendre. Quoi ? La sortie ? Une chance, une opportunité. Une porte qui s’ouvre, tout simplement. Ou peut-être suis-je coincée là pour toujours, avec obligation de trouver un moyen d’apprécier le voyage. Bon, je vous l’accorde, il paraît qu’avoir un bébé ET tenter d’entreprendre en même temps après trois ans de thèse finalement avortée et trois ans de startup à l’étranger peut avoir ce genre d’effet sur le moral. En tous cas sur l’usure nerveuse, la fatigue.

Mais chaque fois que je consulte un thérapeute (avec un vrai diplôme et tout), il me dit que je suis équilibrée, lucide, autonome. Il y en a même qui ont refusé de me prendre. “Non, non, vous êtes juste impatiente et révoltée. Au vu de la conjoncture c’est parfaitement légitime. Ca ne se soigne pas ça, madame. Ca s’appelle la fougue. Démerdez-vous.”
Pas moyen de me faire porter pâle.

Heureusement il y a le yoga, découvert en 2014 à mon retour du Canada, qui fait office de petite paille me permettant de respirer sous l’eau pour ne pas mourir.
Plus ça va plus j’augmente les doses.
Est-ce bon signe ?

Lost in transbiberon

La maternité a effectivement tout chamboulé, mais pas comme je l’attendais. Je suis très heureuse et très fière de ma petite fille. Je ne vais pas te mentir, ne pas l’avoir eue serait bien pire. Il y a juste un jour où ton corps fout la merde dans toute ta vie jusqu’à ce que tu lui donnes ce qu’il réclame. Tu peux citer cette définition scientifique de l’horloge biologique, par Alf.

Ma fille est l’être le plus minuscule et le plus immense que j’ai jamais rencontré.

Elle va avoir 18 mois et enfin, je peux respirer et reprendre la plume. J’ai appris seulement hier l’existence de ce qu’on appelle la “préoccupation maternelle primaire” , à savoir le fait que l’intégralité des ressources maternelles (et paternelles aussi, je crois) sont tournées vers l’enfant, de la grossesse jusqu’à que l’enfant soit plus autonome (vers 2 ou 3 ans). Je parle esprit, corps, énergie, attention, concentration, émotions.
Tout ce que tu as en stock, elle en voudra. Cette petite boîte au fond à droite, les rideaux, le gros cartons du milieu et aussi les miettes.

La blague du petit pot

Comprends bien, mon problème n’est pas du côté couches-biberons. Tous les blogs du monde parlent de couches, de cododo, d’éducation positive, de tétées, de “dépression post-partum” (à grand renfort de clichés), déballent des banalités sur le fait qu’il ne faut pas laisser pleurer son bébé ( SPOILER : il ne faut pas non plus le laisser mourir de soif. Merci superparent.com !).

Quant à trouver une pensée construite sur “comment survivre en tant qu’adulte, femme, être pensant et diagnostiqué ‘fougueux’ avec un petit être qui vous mange le coeur quand l’ensemble de la société vous claque la porte à la figure”, j’ai fait chou blanc.

Je n’ai pas plus de problème qu’une autre avec le couches-biberons. Soyons honnête, c’est contraignant mais pas très compliqué (quand tout va bien et qu’on est entouré d’un super-papa et de supers mamies-papys, comme moi)(lucky me)(ou lucky strike, ça marche aussi).

En revanche, j’ai le sentiment de ne plus m’appartenir. De ne plus pouvoir respirer. De ne plus savoir qui je suis.

Certes je ne dispose ni de mon temps, ni de mon espace. Ca n’aide pas. Mais j’ai aussi le sentiment de ne bénéficier d’aucun soutien extérieur, par le collectif j’entends. Je ne parle pas ici de la famille et des proches, mais d’une acceptation sociale, voire sociétale. Politique, même.

Qui est-on quand on ne travaille pas (ou alors, autrement), que le seul boulot qu’on fait 90 heures par semaine (that is : parenting) ne rapporte pas un centime et qu’on tient absolument à mettre du sens dans sa seule activité lucrative (qui, du coup, l’est modérément) ?

Il faut réinventer sans cesse son lieu d’appartenance.
Trouver des alliés, fouiner partout chez les autres minorités sociales, celles qui ne travaillent pas, qui viennent d’ailleurs, qui peut-être permacultivent, thérapisent, voyagent, créent, se serrent les coudes, assument. Ceux qui ont abandonné l’idée d’arriver là où tout le monde croit vouloir aller, ceux qui pourraient peut-être m’aider à gagner en sagesse et à accepter mon chemin tel qu’il se présente.
A condition d’y trouver un petit espace de liberté rien qu’à moi.

Etre parent, c’est un choix de nos jours. C’est un “projet”, au même titre qu’un beau tableau, une maquette d’architecte ou un pont.
“Vous étiez sur un projet bébé donc on vous a pas rappelé…”
MANGE TA LANGUE, MICHEL !

Il faut te dire que je n’avais pas choisi le Canada par hasard.
Fi des caribous, poutines et autres paysages enneigés à la con.
Mon unique objectif a toujours été l’émancipation. La liberté, l’autonomie, la dignité, tout simplement. Pas besoin de millions de dollars. Une méritocratie inclusive, pacifiste et dotée d’un cerveau, c’est tout ce qu’on demande.
Pouvoir être une mère, avoir un job qui me respecte et pour lequel on me paye normalement, c’est à dire assez pour pouvoir vivre sans être obligée d’avoir un mari qui, lui, “fait carrière” pendant que je repasse ses chemises (à carreaux).

Mum’s (Fight) Club

Si on ne parle jamais du Fight Club, c’est peut-être qu’il n’existe pas. Etre mère ici est un immense facteur d’isolement. C’est un constat qui me surprend, je n’y était pas du tout préparée. Je pensais me refaire des amies via la maternité, rencontrer d’autres maman, trouver des lieux de soutien, un espace de rencontres ou même trouver une certaine spontanéité dans les échanges.

Que nenni.
J’ai peut-être manqué d’assurance.

La daronne n’est pas friendly gratuitement avec ses sisters.
Elle a sûrement le même problème que moi, c’est à dire peu de temps et peu d’espace à elle pour exister. Alors taper la discut’ avec toutes les pousseuses de poussettes, non merci.

A mon grand désaroi les personnes croisées dans la rue ou ailleurs ne sont donc pas plus enclines à la conversation qu’avant, même si nos bouts de chou font des combats de regard. Je précise que je vis dans un (en)clos pavillonnaire où le nombre de voisins est relativement limité, et pas en plein Paris où le non-contact est une règle sacrée.

Aujourd’hui je n’aspire donc qu’à m’évader. Penser à mes obligations parentales pour les 25 années à venir me file des angoisses. Surtout parce que le système qui nous entoure ne m’a jamais permis de m’émanciper (ou que je n’ai pas réussi) (les deux, en fait).

J’ai donc la farouche volonté de tout faire pour que ma fille ne subisse pas le même sort. Mais quelle pression !

Repartir à l’étranger ? Pourquoi pas, quand elle sera plus grande et que j’aurais récupéré quelques forces. Miser sur une éducation Montessori qui va nous coûter un bras ? Whatever it takes. Prendre un bullshit job ou un semi-bullshit job pour espérer avoir assez, d’ici seize ans, pour lui payer un ticket de sortie vers une société plus évoluée que la nôtre (du moins envers les femmes) ? Ou travailler à trouver/construire du bon ici (il y en a, beaucoup de beaux projets, de belles personnes, de courage et de volonté), à rejoindre cet élan positif, pour enfin trouver un lieu où habiter durablement.
En ce moment je suis sur la dernière option. Un jour j’y crois et le lendemain une autre porte me claque à la figure.

How to Meet Your Mother

Je n’avais pas encore réussi à écrire sur la maternité.

J’ai traversé la grossesse, et les deux premières années de ma fille sans écrire un mot là dessus. Je crois que je manquais totalement de représentations mentales sur ce sujet. Voyager partout dans le monde, j’avais les images, le plan, l’intention, aucun souci. Nous sommes inondés d’utopies dans le genre. Sur le travail aussi. Me retrouver dans un pavillon de banlieue cloitrée à la maison tous les jours à mixer des petits-pois en pyjama à 14h00 n’a jamais traversé mon esprit, en rêve ou autrement.

As-tu remarqué comme toutes les séries cool s’arrêtent quand les personnages se marient et font des enfants ? Friends, How I met your mother… Toutes les romances concernent LA rencontre de deux célibataires, dans la vingtaine ou la trentaine… Après cet âge, la vie disparaît du fantasme collectif. Alors quoi, après les potes, la drogue et l’alcool on meurt ? N’y a-t-il rien d’intéressant et d’intructif, voire de distrayant, que l’on puisse imaginer sur la famille, sans tomber dans le cliché de Desperate Housewife et des forums sur les vergetures ? Remarque il y a bien Modern Family, mais l’utopie californienne n’est pas la réalité franchouillarde.

Ne te méprend pas je ne regrette rien.
Ceci est un message depuis l’autre côté de la rivière que je viens de traverser. Je suis un peu secouée, plutôt crevée, effectivement désorientée.
Mais j’ai pensé que le partage d’un moment initiatique valait mieux qu’un article sur les couches lavables ou les “cinq méthodes pour endormir bébé”.

Tu me diras ce que tu en penses.

Géographe de formation, écriveuse en devenir, Anne-Laure est la fondatrice de retourenfrance.fr et l’auteur du Guide du retour en France. Elle anime une communauté d’entraide pour les personnes revenues de l’étranger sur les média sociaux. Pense trop, n’écrit pas assez, se cherche, beaucoup.
Lui écrire : annelaure(at)retourenfrance.fr

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Anne-Laure Frite
Scribe

Passionnée par les Internets, je tente régulièrement de devenir chercheuse universitaire ou écrivain célèbre sans jamais y parvenir.