L’histoire reste à écrire

Samuel B. Rozenbaum
Scribe
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3 min readMay 7, 2019

DDans un salon lumineux et chaleureux, un enfant de cinq ans écoute en boucle une chanson courte sur les mamans. Ou du moins, c’est ce que lui fait croire le titre, sobre, Maman. Comme si nous assistions au tournage d’un clip vidéo, il chante en silence chaque mot de ces paroles dont il ne comprend pas le sens.

❝ Maman dis-moi pourquoi j’me sens vieux de l’intérieur, même si les minutes, les heures, sont encore trop jeunes pour m’assoupir ? ❞

Ses lèvres sont parfaitement synchrones, ses larmes aussi. Le divan rouge aurait été plus confortable, mais Raphaël s’est instinctivement allongé sur le ventre et le tapis vert. Il ne sait pas encore qu’il sait, ou plutôt, il ne sait pas encore qu’il sent déjà ce que d’autres passeront une vie à chercher ; il a bientôt six ans et l’empathie affutée. En grandissant, il n’aura pas besoin de lire Le petit prince pour apprendre que l’essentiel est invisible pour les yeux, imperceptible pour les oreilles.

Dans cette même maison de Mont-Joli, dans cette même pièce aussi, il passera plus de temps à apprendre la guitare qu’à regarder la télévision. Installé sur son cheval de bois garé près de la fenêtre, il évitera la vue sur le meuble d’une couleur douteuse pour commencer son apprentissage d’émetteur. Note après note, accord après accord, majeur ou mineur, il aura simplement l’impression de s’amuser. À l’âge où c’est encore possible de faire fi de l’intellectualisation des émotions, il s’entraîne sans savoir qu’il est en train acquérir les bases nécessaires pour restituer un jour, à son tour, ce qu’il capte autour de lui.

Deux mille dix-huit. Raphaël a maintenant quinze ans et garde en lui cette force d’accepter toutes les émotions qui le traversent, même lorsqu’elles ne sont pas siennes. Il n’est toujours pas dépressif, ni envieux de mourir comme le personnage principal de la chanson dont il se souvient. Pourtant, il me confie rester profondément ému à chaque fois qu’il l’entend de nouveau.

❝ C’est peut-être que Pierre Lapointe a tellement écrit dans l’ouverture, dans la nudité totale, que le sentiment véhiculé passe directement de sa voix à nos oreilles, du système de son à notre esprit.❞

Raphaël n’a pas encore l’âge de savoir qu’il est un récepteur d’émotions sans ambages. Il n’a pas le bagage pour se rendre compte de son aptitude naturelle, du canal idéal qu’il est. Sa qualité rare qui le qualifiera plus tard lui semble commune, innée à chacun. Alors, moi d’ordinaire si loquace quand il s’agit de poser des questions, je me tais, comme on se fige devant un beau livre que l’on vient de découvrir. Je refuse de l’ouvrir immédiatement, de peur de l’abîmer. J’ai saisi l’ami inouï que Raphaël sera pour son entourage, à la fois sensible et prévenant, altruiste et indulgent.

Je ne suis ni dans un salon ni allongé par terre, mais c’est à mon tour d’être touché et ému par une sincérité inconditionnelle, par cette définition même de la candeur.

Écoutez Maman de Pierre Lapointe.Entrevue réalisée à Petite Vallée, à l'été 2018.
Pour en savoir + :
Raphaël, Pierre Lapointe, Petite Vallée
Texte & photos :
Samuel R

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Samuel B. Rozenbaum
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Si ma croissance est terminée, pourquoi mon front continue-t-il de grandir ? ● Explorateur de mots, de notes, et d'images.