J’offre à mon premier réveil ici, la plénitude de l’écriture. Dehors, j’entends le vent entre les branches des peupliers déjà dénudés, les premières neiges se déploient des arbres par bourrasques légères. En 48h, j’ai plongé dans l’hiver, il me semble retrouver le Yukon là où je l’avais laissé, il y a déjà 7 mois de ça. Le présent me parait alors irréel, perchée sur ma chaise, devant ma petite table de bois, je suis entière dans cette cabine qui sera la mienne pour les mois à venir.
Le changement est radical, je suis passée de ma sous-loc parisienne, minuscule appartement de 13m2 à une petite maison de palettes recyclées. D’une seule fenêtre donnant sur la grande et bruyante rue des Pyrénées, j’ai maintenant face à moi un panorama de montagnes, la vue qui porte loin entre les sommets enneigés. Il n’y a de bruit que les crépitements du poêle et de la nature, de la neige qui fond dans la marmite pour ma prochaine toilette de chat.
Tout juste arrivée, je sens le froid parcourir mon corps. Il faudra s’habituer, jour après jour, me délaisser des épaisseurs pour savoir en faire meilleur usage quand les températures descendront véritablement en dessous de zéro, le mercure vacillant sous la barre des moins trente. J’ai encore le temps, alors la froidure qui ankylose mes doigts sur le clavier semble un doux rappelle de ce qui ne tardera pas à venir. Si pour l’instant, le stock de bûche me parait trop maigre pour venir à bout des températures ambiantes, je sais que cette fois mon corps est prêt à s’adapter, que le froid ne l’effraie plus comme il y a un an de ça, à ma première venue ici.
Je m’évade alors dans le passé, si j’avais su un jour que je reviendrai seule ici, que cela serait mon choix et non celui d’un autre. Mon arrivée dans le Yukon, c’est une piqure de rappel : on ne sait jamais où la vie va véritablement nous mener. Si je n’ai jamais eu une tendance aux projets sur le long terme, si j’ai souvent pris la vie telle qu’elle venait et que l’on me la de trop nombreuses fois reproché, aujourd’hui une part de moi me donne raison. Ce sont des fragments de réalité, des rencontres, des possibles incertains, des doutes et leurs bénéfices qui m’auront ramenés dans ces contrées si lointaines. Il est évident qu’une part de moi reste craintive, que face aux discours du futurs, je peine encore à trouver une réponse au présent mais en réalité, en cet instant T, c’est ici plus que n’importe où ailleurs que je souhaite être et je m’en suis donnée les moyens, je suis repartie… je suis revenue !
C’est avec une certaine fierté, le baume au cœur que je regarde par la fenêtre et contemple le silence. Je ne sais de quoi les prochains mois seront faits pourtant hier, en arrivant à Vancouver, j’ai eu la réponse tant attendue qui définit dans ces vastes contours mes deux prochaines années.
L’agent de l’immigration, mon passeport entre ses doigts tenus, l’air sévère et déstabilisant de celui qui a entre ses mains votre futur proche, m’a rendu le verdict final : « you’re good for two years ». Mon visa vacances travail venait d’être accepté. C’est la larme à l’œil que j’ai alors récupéré mon sac, jeté sur l’épaule dix kilos de simple fortune et franchi les quelques mètres qui me séparaient de la frontière invisible entre l’espace international et le Canada.
A chaque pas, mon sourire se faisait plus convaincant, mon esprit convaincu, je l’avais enfin ce petit bout de paperasse officielle tant attendu ! Cette phrase qu’il venait de prononcer, je ne l’oublierais jamais, elle fut un soulagement tel que je me sentais délester du poids des trop nombreuses questions sans réponse qui pouvaient me tarauder l’esprit. Je ne sais que faire de ma vie, je ne sais pas où je serai dans 5, 10, 20 ans mais je savais à cet instant-là, qu’il ne me restait plus que 24 heures avant mon avion pour le Yukon, là où mon présent m’attendait vraiment.
Ce matin, j’y suis enfin. J’ai rattrapé quelques heures de sommeil perdues entre mes quarante-huit heures de trajets. Je me suis réveillée encore un peu trop tôt, déboussolée par le décalage horaire brutal entre la France et ici. J’ai mis du café à chauffer, utilisé la neige que j’avais mis à fondre la veille pour me débarbouiller du voyage éreintant; deux tartines à dorer sur le poêle et la réalité qui s’offre à moi. Aujourd’hui, je m’accorde des vacances, je ne pense à rien d’autre que ce que le paysage me donne à voir. Mon esprit s’éparpille sur le clavier après presque 7 mois sans l’avoir véritablement confronté. Parfois, les formalités me reviennent à l’esprit : numéro de travail, compte bancaire, internet, provisions alimentaires, stères de bois pour l’hiver, ma participation active au terrain, permis de conduire… Je laisse alors mon regard se perdre au loin, je calme les battements de mon cœur habitués à la frénésie parisienne et je me concentre sur l’instant présent, chaque chose en son temps.
Et déjà, l’extérieur m’appelle, je rêve de couper du bois, d’aller récupérer à droite, à gauche le capharnaüm qui fera de ma cabine le nid douillet qu’elle est pourtant déjà. Je pense aux escaliers que je voudrais construire, aux bois inutilisés qui deviendront peut-être des meubles et les rayons du soleil qui percent pour la première fois à travers les nuages, éblouissent mon regard, me rappellent alors à l’ordre : chaque chose en son temps. Je voudrais faire des listes arbitraires, recouvrir les murs de poésie, m’échapper entre les mots des livres, ceux que j’écris sans savoir où aller, l’énergie en moi bouillonne. Je prends peur, me calme, tremble, pense encore et encore, ne sait plus par quoi commencer et me rappelle pourtant une chose : je suis bien arrivée.
J’allume une cigarette de plus, moi qui pensait diminuer, geste trop familièrement lié aux doigts frénétiques sur le clavier. Je me resserre du café et vérifie le poêle à bois. La réalité, soudain me revient. Le vent, sans que je m’en rende compte a attisé le feu et la température s’est trop fortement élevée, je diminue à son maximum l’arrivée d’air, jette sans trop d’espoir un peu de neige sur le four bouillonnant puis j’attends.
C’est un rappel à l’ordre, me voilà enfin revenue, les gestes redeviennent familiers. Ici, le poêle est une priorité. Dans le fond, c’est ça que je suis venue retrouver dans le Yukon, c’est ce pragmatisme poétique et vivifiant oublié de la modernité. Profiter de la chaleur du poêle, c’est doux, apaisant, enivrant, je pourrais passer des heures à regarder le bois bruler… mais une réalité bien plus terre à terre se cache derrière. Le feu est peut-être l’un des plus grands dangers de l’hiver, où alors si je reste un peu plus réaliste celui qui m’effraie le plus. Combien d’histoires m-a-t-on déjà racontées sur des cabines qui partaient en fumée à cause d’un poêle négligé, d’un oubli inopinément démesuré !
C’est alors une leçon de l’instant présent qui s’applique au quotidien, la fragilité de la vie est palpable sous les doigts, on prend conscience véritablement de ce qu’il est avant tout nécessaire de faire : ne JAMAIS oublier le poêle à bois, ne jamais négliger le vent qui semble souffler seulement hors des murs, tout est intrinsèquement lié.
Ici, la nature reprend ses droits, digne, parfois impardonnable mais aussi incroyablement généreuse. L’intérieur et l’extérieur sont alors d’autant plus connectés, c’est un travail du corps et de l’esprit. Ici je n’aurais pas le choix c’est au quotidien, face à une réalité qui souvent me dépasse, que je devrais jongler avec un équilibre vacillant. Tout est à apprendre, construire et déconstruire. Je suis sur un terrain de jeu incroyable où le physique, le matériel ne seront que matière à l’âme pour se développer toujours plus. Ici, je suis venue chercher le temps pour confronter mais aussi conforter mon esprit, trouver le juste milieu entre ce qu’il y a de vrais, de juste et les accords qui m’ont été pendant si longtemps dictés sans que je les remette véritablement en question.
De mon arrivé dans le Yukon, je vois la possibilité d’une renaissance, forte du passé qui m’a amené jusque dans ces contrées saisissantes de beauté et d’absurdes. Je ne viens pas me trouver ou me retrouver mais me réconcilier avec ce qui fait l’entièreté de mon être dans un cadre qui offre une multitude de possibles.
Publié avec quatre petits mois de retard mais mieux vaut tard que jamais !!