Petit traité de l’abandon avant épopée lisboète

Je pars dans 10 jours. Vivre dans un autre pays, apprendre une autre langue, d’autres codes.

Flora Clodic
Scribe
5 min readFeb 21, 2017

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Certes, j’ai prévu de revenir régulièrement. Mais je pars. Me perdre dans les hauteurs de Lisbonne, m’immerger dans l’écume du Tage. Déconnecter un peu de ce rythme fou que pourtant je recherche et j’entretiens. Retrouver du temps, pour travailler, bien sûr, mais aussi pour flâner. Profiter du beau temps, sauter dans un train pour aller caresser la mer, apprendre le surf dès qu’il fera suffisamment bon pour me mettre à l’eau.

Un pari sur demain

Il y a quelques mois, j’ai fait ce choix, écouté une intuition, forte.

« Tiens, et si j’allais cultiver mon destin dans la capitale la plus ensoleillée d’Europe : et s’il était lisboète pour un temps, mon destin ? Et pourquoi on ne vivrait pas, toute sa vie, d’autres vies que la sienne, sans pour autant cesser de vivre sa vie ? Et si je commençais là, dans cette ville coup de cœur ? »

Pas d’attache ; ma plume en bandoulière ; des opportunités à saisir dans une effervescence dynamique. Un affront à l’ambiance terne de l’hiver parisien qui rend grises les conversations ; aux élections françaises qui m’affligent et m’infligent ; aux relents racistes de ma société qui flippe. Un camouflet à la morosité. Du soleil à cueillir en ouvrant ma fenêtre.

Les remarques qu’on me fait quand je dis que je pars sont toujours les mêmes :

« mais pourquoi Lisbonne ? Et pourquoi faire ? T’as des origines portugaises ? Mais, tu parles portugais ? Ah mais tu dois avoir plein d’argent de côté ? Ah, je t’envie mais je ne pourrais pas ! Pour partir comme ça, tu fuis forcément quelque chose ? »

Je ne fuis rien. Je me donne ma chance. Je n’ai pas non plus de fortune de côté. Je suis ma propre fortune. Un pari sur demain.

Je pars dans 10 jours, et depuis plusieurs semaines, je m’y prépare. Quelles relations ai-je envie de clarifier avant ce départ ? Qu’ai-je envie d’emmener ? J’aligne à nouveau ma vie avec mes intuitions, mes envies profondes, mes talents, mes besoins. Je me fais alchimiste.

Je mets autant de cohérence que possible entre mes pensées et mes actes. Je fais des choix, qui me coûtent. Rompre des liens, en renforcer d’autres. La vie en somme, mais en accéléré. Un concentré — un condensé — de mouvement, de couleurs, de bonheurs, de petites douleurs.

“Cultive la terre là où elle est fertile”

Je donne rendez-vous à tous ceux que je voulais rencontrer « dans la vraie vie » ou que je n’ai pas vus depuis longtemps ; je profite de mes amis très chers dont les circonstances m’avaient un peu éloignée. Je remets l’essence-ciel au cœur de mon temps.

Oui, je suis souvent fatiguée, il m’arrive d’être cernée, et je suis parfois insomniaque. Mais je suis vivante, j’hume les miens, que je les connaisse depuis longtemps ou que les découvre à peine. Je me délecte d’eux. Et je leur donne mon essence — ma nature fondamentale — ma substantifique moelle. En concentré.

« Cultive la terre là où elle est fertile », me disait récemment Stéphane Roger, un ami avisé. Remettre l’écriture au cœur de tout. C’est cette intuition-là que j’ai, chevillée au corps, ces dernières semaines. Gratitude à ceux qui se reconnaîtront et me disent depuis des mois : « Ton truc, c’est d’écrire. Tu es faite pour ça. Tu veux bien arrêter de faire semblant de ne pas le voir, s’il te plaît ? ». Je les écoute, mais dans le fond, je m’écoute. Mon flow, mon kif, c’est d’écrire. Raconter la vie, les gens, ce qui les meut et les émeut. Leurs projets. Leurs passions.

Respecter mes envies profondes de rester électron libre, plume folle, et mon besoin de sens collectif : voilà donc un défi qui m’a beaucoup occupée ces derniers temps. Ça m’a même demandé des ajustements permanents. Et pourtant, si certains liens se défont ou se relâchent, d’autres se renforcent. En trouvant mes tribus. Barbares. Zébrées. Libérées. Partagées. Je les aime, mais je pars. Je les emmène avec moi. Je suis sûre qu’elles comptent des membres partout ailleurs et que je ferai bien vite leur rencontre à Lisbonne. Je sais que je viendrai me lover près d’elles à chaque retour.

“Au pire, ça marche”

Il parait que personne n’est irremplaçable. Ça n’est vrai d’aucun de ceux que j’aime. Et j’espère ne pas l’être à leurs yeux — remplaçable. Comme chacun d’eux que je chéris, je suis une combinaison unique de traits communs. Je suis une boule à facettes, un kaléidoscope de moi-même. Je change en fonction de la lumière qui m’éclaire. Je reste la même. Et je suis autre. Une autre. Et moi-même.

« Au pire, ça marche », dit-on souvent, dans mon entourage. A force de l’entendre, c’est devenu une croyance forte — presqu’un mantra. « Au pire, ça marche ». Je risque quoi dans le fond, même si ça ne « marche » pas comme les gens l’entendent ? Découvrir un pays et sa culture, rencontrer de nouvelles personnes extraordinaires, monter de mes mains un projet, co-construit avec une amie ? Je risque quoi à part prendre une bonne tranche de vie ? Avec son lot de déconvenues, parfois, de remous. Mais avec tellement de petits et de grands bonheurs à la clé.

Un « ami de bien » qui compte beaucoup pour moi m’a offert il y a quelques semaines un livre qui compte beaucoup pour lui. Un morceau de philosophie quotidienne signé Alexandre Jollien. Chaque page a résonné avec ce que je viens de vous raconter. Tout. Un Petit traité de l’abandon à déguster dans tous les moments de la vie, bons ou mauvais, bons et mauvais. Pour se rappeler que le plus beau don qu’on puisse se faire, c’est de s’abandonner à ce qui est. L’accueillir.

Dans 10 jours, je pars. Avec ma plume en bandoulière et toute ma niaque. Construire du collectif et du sens, dans un cadre dont je dessine les contours. Développer les liens entre Paris et Lisbonne. Etre un trait d’union et encourager ceux qui le veulent à l’être. A être. Et c’est bon.

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Flora Clodic
Scribe

Plume raconteuse d’histoires. Jardinière de communautés. #Tribus Happycultrice #AuBonheurDesZèbres Collapso-something #Effondrement #Résilience