Prendre la dernière photo de quelque chose

Jp Valery
Scribe
Published in
4 min readMar 20, 2017

Le récent effondrement à Malte de la Azure Window m’a enfin décidé à m’armer de ma plume et de vous conter l’histoire derrière ce cliché ci-haut.

Cela faisait un moment que je voulais raconter cette histoire. L’histoire d’une photographie. Mais pas n’importe laquelle. Une photographie lourde en symbolisme. Une photographie qui se classe dans un monde un peu à part. Celui des derniers clichés de quelque chose de disparu.

C’était l’été 2015. Nous étions partis en escapade sur la Côte-Nord. Cette belle région du Québec à l’embouchure du Saint Laurent. Un road trip somme toute assez classique. Départ de Montréal, escale à la Ville de Québec, deux nuits aux Grandes Bergeronnes à côté de Tadoussac, et voilà un bon week-end d’oxygénation. Un résumé en vidéo juste ici :

Mais parmi la centaine de photos capturées durant cette fin de semaine, c’est bien cet hydravion solitaire sur un lac au coucher du soleil qui fascine le plus.

Mais là où la fascination du spectateur qui ne connait pas encore l’histoire que je vais vous conter se limite à son esthétisme. Elle est tout autre pour le photographe et le spectateur initié.

Cette photo a été capturée le 2ème soir de notre week-end. Alors que nous nous dirigions vers Tadoussac pour souper, nous avons aperçu au bord de la route cet hydravion et ce lac. Ce genre de moment où tous les passagers de la voiture s’émerveillent devant la beauté d’un moment fugace d’un coucher de soleil et que le détour pour descendre au bord de l’eau n’a même pas à être questionné.

C’était donc le 21 Août 2015, à 20h13.

Pis le surlendemain matin…

Alors que nous étions sur la route pour rentrer sur Montréal, la radio annonce l’écrasement d’un hydravion d’Air Saguenay. Après l’évidente horreur et empathie pour les victimes, vient la réalisation. La réalisation que ce cliché est probablement l’un des derniers, voir le dernier, cliché existant de cet appareil.

Dernière trace visuelle de cet avion dans toute sa splendeur, “Immortalisé” innocemment par mon appareil…

C’est d’ailleurs mon plaisir coupable… Cette photo attire de manière inexplicable les regards et les attentions. Tels aimantés par une force invisible, les spectateurs s’arrêtent et contemplent. Et j’aime venir et tenir un propos de contextualisation…

Jp : “Tu aimes ce cliché ?”

Spectateur : “Oui, il est vraiment [insérer un adjectif positif comme beau, superbe,…]!”

Jp : “Tu sais qu’il y a toute une histoire derrière ce cliché.”

Spectateur :

Jp : “Cet avion s’est écrasé le surlendemain de ce cliché. C’est probablement l’une des dernières photos de cet avion.”

Spectateur : *expression hybride de fascination et de semi-dégoût face à cette information nouvelle mais morbide*

C’est là qu’on se rend compte vraiment de la responsabilité du photographe. Nos clichés seront peut-être la dernière trace d’une personne, d’un lieu, d’un objet. Ou ils seront peut-être la dernière trace que nous laisserons dans ce monde. C’est pour ça qu’ils se doivent aussi d’exister (et les perfectionnistes diront “d’être parfaits aussi”).

Et c’est là aussi que j’ai vraiment pris conscience de l’étendue du terme de visual storyteller pour parler d’un photographe. L’histoire que nous racontons n’est pas forcément dans l’image même. Dans ce moment capturé, immortalisé, sauvegardé. Non. Elle se situe parfois dans l’avant ou l’après. Dans une temporalité non figée dans une image.

Mais prendre une photo et savoir que c’est la dernière de quelque chose est une expérience unique. Morbide mais profondément esthétique. Fascinante mais lourde de questionnements. C’est un sentiment à part pour une œuvre à part.

Presque deux ans après je ne sais pas encore comment je feele par rapport à cette image et la responsabilité qu’elle apporte. Mais je sens qu’elle me prend aux tripes, et qu’elle le fera jusqu’à mon dernier déclenchement.

Pssst. Si tu aimes cette photo, tu peux acheter une impression en cliquant ici. Un tirage de qualité à petit prix, pas de raisons de pas se gâter!

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