Se Souvenir Du Ciel

Valentin Vieira da Silva
Scribe
Published in
5 min readAug 4, 2019

Cela fait longtemps que je n’ai pas écrit.

Que je n’ai pas vraiment écrit.

Alors oui bien sûr, je pense à des phrases, il y a des mots qui me viennent.

Parfois même c’est très beau.

Je veux dire: je suis étonné par la beauté de ce qui me passe par la tête.

De ce qui me traverse.

Mais cela ne peut cacher le fait que lorsque je m’assois pour écrire ou lorsque je m’arrête de faire ce que je fais pour écrire, rien ne vient. C’est comme si il y avait l’envie et l’innocence mais rien d’autre à récolter que le silence.

Un silence sans tumulte.

Un silence sans mots ni trompettes.

C’est comme si c’était la fin de l’histoire. Que je n’avais plus rien à raconter, plus rien à me raconter.

Sauf que c’est faux, complètement faux.

La terre continue de tourner et la réalité continue d’être ce qu’elle est: tout.

Et rien, en même temps, même si je ne vois pas trop comment je peux expliquer ce que je viens d’écrire.

Je continue de respirer.

C’est bien qu’il doit rester des choses à accomplir, des motifs profonds, ceux dont sont fait les rêves et les chantiers colossaux, à parcourir, à travailler.

À incarner.

Et à faire passer.

Voila le genre de choses que j’écris en ce moment:

Suivre la voie de la nature:

C’est ce qui est écrit, en lettres simples,

À même la peau des arbres.

Ou bien des trucs comme ceci:

Quel est donc le bruit du vent

Qui apporte avec lui la pluie?

Ou bien je commence une histoire, je me sens tout excité et puis au bout d’un instant, quelques minutes à peine, tout cela s’essouffle, je ne sais pas ce que je fais, je ne sais pas où j’en suis et je ne sais même pas pourquoi j’ai commencé à écrire ce que je viens tout juste d’écrire.

Et je m’arrête comme l’on s’arrête parfois, hors d’haleine, lors d’une longue course à pied sans but ni direction, et où il est impossible de continuer puisqu’il faudrait alors répondre par la marche à la question sous-entendue de l’orientation.

Lorsque les pieds permettent de trouver un sens à tout cela…

Je serai heureux de trouver un sens à tout cela ou bien à défaut de sens, simplement l’énergie de continuer, même si c’est pour continuer sans question, sans pourquoi, cette trace dans le vide et l’ignorance.

Et j’aimerais trouver ce sens avec mes mains, le tailler avec des mots et du blanc.

Si je parle au conditionnel, c’est que ce n’est pas le cas.

Pour le moment.

Peut être est-ce simplement le moment de vivre sans écrire, ou bien sans écrire de longues phrases.

Ou sans écrire avec le désir d’écrire quelque chose de long, ou la prétention d’écrire quelque chose de long. Et de riche, avec tout plein d’aventures et de rebondissements.

Un roman peut-être.

Qui sait?

Mais l’heure, pour moi, n’est pas au roman, ni à la phrase longue, ni au sentiment d’ordre que peut procurer une histoire qui se tient, avec un début un milieu et une fin.

L’heure est elle peut être simplement au silence.

Ou à autre chose que cela, l’écriture.

À tout ce qui fait une vie, à tout cet à-côté de l’essentiel et qui pourtant porte la trame d’un quotidien qui, aussi modeste soit-il, donne la chance au lendemain et l’opportunité de vivre même ce qui ne semble pas fait d’or et d’argent.

Je viens de lire un long texte, mélancolique (presque élégiaque, je dirais), sur les baleines et particulièrement les os de baleines disséminés ça et là, comme des petites chapelles, en Scandinavie et au nord du Royaume-Uni, particulièrement dans les îles mordues par le vent et les flots sans fin d’une mer belle et terrible à la fois.

Des îles qui portent les noms d’un autre temps.

Saint-Kilda.

Sula Sgeir.

Uist.

L’auteure du texte se demande si ces os sont là pour que l’on se souvienne des atrocités qui ont été commises à l’époque de la chasse à la baleine.

Ou pour que l’on se souvienne qu’il n’y a pas si longtemps, tous ces os, massifs et lumineux, appartenaient à des géantes dont on ignore presque tout et que ces côtes positionnées telles des arches, ces vertèbres posées à flanc de falaise ou bien au sommet d’une colline, ces fanons qui ne filtrent rien d’autre que le vent et permettent aux insectes de trouver un abri et aux fleurs de pousser dans leurs interstices, sont peut-être là pour que nous puissions nous rappeler du mystère de leurs existence et du lien qui nous uni à elle, au delà de l’espace et du temps.

La dame qui avait écrit ce texte (il datait déjà de quelque années quand je l’ai lu) parlait de ce qui vient et de ce qui repart, comme ça.

Elle parlait de tout ce qui fait une époque, une période, le merveilleux d’un siècle, et qui s’étiole, inexorablement, jusqu’à disparaître presque.

Demeure tout de même les ruines qui nous permettent de nous élever, un peu plus, et de continuer de vivre, généralement dans l’oubli partiel du passé qui a forgé notre monde présent.

Elle parlait de tous ces moments importants, de tout ce qui a donné la couleur du jour à nos ancêtres et dont nous ne faisons plus grand cas puisque notre monde n’est plus le leur et que nous aussi, à notre tour, nous marchons et marcherons encore une peu sur cette roue qui nous mène nulle part et partout à la fois jusqu’à ce que nous soyons à notre tour, pour notre plus grande bénédiction, englouti par l’oubli, le vent, la mer et la mémoire labile des hommes et des femmes, de tout ce qui vit.

Peut-être est-ce ainsi qu’a commencé la première histoire que se sont racontés nos plus lointains aïeux.

Pour se souvenir de ce qui était là, de ce qui se tenait là, sous le ciel.

Pour se souvenir de l’âme qui persiste dans les ruines.

Pour se souvenir du monde avant que ce que nous appelons changement et progrès et nécessité prennent possession de nos jours et de nos nuits.

Reconnaître cela, cette impermanence, et cette alternance, ce rythme obscur et puissant qui gouverne nos vies.

Je ne sais pas.

Ce que je veux dire: une fois que j’ai terminé le texte de cette femme sur ces baleines, sans raisons, aucunes, si ce n’est la force du besoin, j’ai pris un stylo, je me suis assis.

Et j’ai écrit.

Et j’ai écrit.

Et j’ai écrit.

La peinture est de Tsama do Paço.

Son titre est Papillon Iceberg.

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