Twitter et communication politique : comment la “riposte party” fut créée (et les leçons à en tirer)

Romain Pigenel
Scribe
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9 min readMar 20, 2017

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La communication digitale politique est encore jeune, mais elle a déjà ses rituels et en premier lieu, les réunions de twittos militants pour commenter en direct les événements de campagne. Baptisé “riposte party” ou “support party”, ce type de rendez-vous est aujourd’hui banalisé et organisé par toutes les forces politiques, du Parti Socialiste aux Républicains en passant par le Parti de Gauche. Cela n’a pourtant pas toujours été le cas. Cette technique de campagne a été conçue puis généralisée par l’équipe de campagne de François Hollande, durant la présidentielle 2012. Et c’est son histoire que je vais, pour la première fois, vous raconter.

Crédit Mehdi Mebarki

Les fondations

Retour en juin 2011. Je rejoins en tant que responsable de “l’e-influence” l’équipe de campagne de François Hollande, pilotée pour la partie web par Vincent Feltesse. La candidature de l’ancien premier secrétaire du Parti socialiste est alors celle qui bénéficie du moins de soutien organisé sur le web et les réseaux sociaux, faute de militants suffisamment aguerris et organisés sur ce terrain. Il faut brûler les étapes pour rattraper notre retard, et donc prendre des décisions stratégiques fortes. La première décision est de recruter le maximum de blogueurs politiques pour soutenir la campagne, et créer et renforcer des groupes de riposteurs. La deuxième décision est de réorienter l’activité de riposte en ligne. Cette pratique était directement héritée de la campagne pionnière de Ségolène Royal, où la “netscouade” de Benoît Thieulin (qui n’était pas encore une agence web mais l’unité digitale de la candidate), organisait des groupes de “colleurs d’élite” pour aller poster des commentaires sur les sites de journaux, les forums et les blogs influents. Pour ne pas perdre de temps et favoriser la visibilité immédiate, nous réduisons en 2011 cette activité de commentaire pour nous concentrer sur la production et le relais de contenus propres. La troisième décision prise est de tout miser sur Twitter. C’est un pari : le réseau est encore vu comme élitiste, et vient tout juste de gagner une notoriété plus grand public au cours de l’affaire DSK, durant laquelle il a été utilisé par les correspondants judiciaires pour relater le procès de l’ancien directeur du FMI depuis New York. En termes de masse et d’enracinement, Facebook domine de la tête et des épaules. Mais je constate, d’une part, que le président sortant est beaucoup plus fort dessus, tandis que François Hollande, lui, est bien positionné sur Twitter. D’autre part, la viralité des contenus politiques me semble à ce moment plus difficile à organiser sur Facebook que sur Twitter. Dernier point et qui va être déterminant pour nous : Facebook n’intéresse déjà plus les journalistes, qui ne l’utilisent pas, ou peu, à titre professionnel. A l’inverse, Twitter commence à être à la fois leur outil de travail, et un sujet récurrent d’articles et reportages. Je conjecture que le réseau à l’oiseau bleu va être “la” nouveauté de la campagne web : c’est donc là que notre action va pouvoir être la plus visible, et surtout la plus relayée. A partir de là, toutes nos forces se concentrent sur ce média social, et nous y formons massivement nos élus et responsables locaux de campagne. Les fondamentaux de l’activisme en ligne hollandais sont posés : ils ne changeront plus, d’ici mai 2012. Manque une dernière pièce au puzzle : le “monde réel”.

La maturation

Cela faisait des années que la dimension IRL était intégrée par les internautes politiques les plus actifs. Il y avait eu pendant longtemps la “République des Blogs”, premier rendez-vous de blogueurs politiques, suivie d’une déclinaison clairement orientée à gauche, le “Kremlin des Blogs”, apéritif régulier de blogueurs de gauche au Kremlin-Bicêtre, autour de l’emblématique Jegoun, pilier de la “gauchosphère”. Mais les partis politiques tardaient à s’approprier la pratique. C’est ce vide que va venir remplir la “riposte party”.

Le concept va se façonner par étapes, empiriquement. Nous organisons d’abord en septembre 2011, à l’Assemblée Nationale, une rencontre de blogueurs avec François Hollande. Parallèlement, je demande à ce que les réunions de militants autour de l’équipe de campagne, en particulier pour suivre les débats télévisés, intègrent une dimension digitale avec un espace réservé pour les blogueurs et twittos, du wifi, des prises électriques. La pratique entre dans les mœurs et lors de la grande convention d’investiture le 22 octobre 2011, nous organisons avec Valerio Motta, alors responsable web du Parti socialiste, des accréditations en bonne et due forme, et un traitement semblable à celui des journalistes, pour les activistes web invités.

Le Bourget

Après Noël, la campagne entame sa dernière ligne droite, avec comme premier temps fort le meeting de lancement du Bourget, le 22 janvier. Le concept de “salle de presse pour blogueurs et twittos” est reconduit, dans des dimensions inédites : plusieurs dizaines d’activistes web sont invités, pour commenter et relayer en direct le meeting sur les réseaux sociaux. Nous organisons sur place avec Mehdi Mebarki, mon adjoint à la tête du pôle mobilisation, une “war room” digitale.

Le mail d’invitation à la toute première riposte party

En préparant l’événement, j’ai une discussion avec Marie-Vorgan Le Barzic, alors coordinatrice de la campagne web. “Et si on gardait tes activistes après le meeting, pour en faire le SAV sur le web, faire des infographies, du fact-checking en direct ?”. Entrepreneuse du digital, elle a la culture des hackathons, moi celle des rendez-vous blogueurs. Tout converge. Nous tombons d’accord sur une invitation adressée au noyau dur des webmilitants pour venir avec nous, le dimanche soir, au siège de campagne avenue de Ségur, et prolonger le débat sur le web. Il faut un nom opérationnel pour ce “spin of” du Bourget. “Une pizza party”, puisque nos invités seront nourris de la sorte ? “On va faire de la riposte, donc appelons cela une riposte party”. La plaisanterie, née sur un coin de table, se fraie un chemin jusqu’au mail d’invitation. L’appellation est désormais officielle.

Afterhours

Le soir dit, la salle de presse du QG de François Hollande, avenue de Ségur, se remplit. Blogueurs, twittos, geeks politiques se pressent autour de tables rapidement trop petites. On finit par s’asseoir par terre, le portable sur les genoux. Des écrans muraux retransmettent le journal télévisé. Petit-à-petit, le silence se fait et on n’entend plus que le staccato des claviers.

Deux journalistes sont venus pour l’occasion, Jonathan Bouchet-Petersen de Libération et le communicant Philippe Moreau-Chevrolet, qui tient alors une chronique pour l’Express. Alors que je réponds à leurs questions en aparté, je remarque que nous baissons spontanément la voix, comme dans un bâtiment officiel. Je me retourne vers la salle. Des dizaines de paires d’yeux sont fixées sur leur écran d’ordinateur, dont le halo de lumière bleue se reflète sur autant de visages concentrés. La scène est étonnante. Je comprends que nous venons de créer un objet politique inédit qui présente, en outre, un intérêt médiatique. Le web n’est plus une annexe des événements de campagne mais devient l’événement. Changement d’époque.

Montrer le web

Cette “invention” survient au bon moment. Car le développement de la communication digitale politique, en cette campagne 2012, a suscité un intérêt inédit dans les médias. Des rubriques spéciales sont dédiées au suivi du versant web de la campagne, des journalistes s’en chargent exclusivement, le sujet finit même au journal de 20H ou dans des émissions généralistes comme Envoyé spécial. Mais ce nouveau terrain d’investigation présente une grosse limite, notamment d’un point de vue audiovisuel : autant Internet est quasi infini, autant on fait vite “le tour” de ce que l’on peut en montrer dans le cadre d’un reportage grand public. Je me souviens encore d’un échange surréaliste avec une journaliste me demandant avec insistance de lui “montrer un tweet en train de se faire” … Une fois écrit un papier sur les responsables des équipes web, un autre sur les sites des candidats, que montrer, que raconter ? La “riposte party” va venir répondre à ce besoin nouveau. Elle a un nom que l’on retient et qui accroche. Elle déploie une scénographie très particulière et assez télégénique. Elle a enfin, pour un journaliste, l’immense avantage de réunir au même endroit plusieurs dizaines de militants aimant communiquer … soit autant de possibilités d’interviews. C’est l’überisation du micro-trottoir.

Avec Mehdi Mebarki, nous allons donc en raffiner et en “industrialiser” la pratique. Des dispositifs aujourd’hui évidents se mettent en place : batailles de hashtags, mails d’éléments de langage en direct et en flux tendu … Chaque meeting, chaque débat, chaque passage TV va être accompagné de sa soirée riposte. Elle présente bien entendu des avantages ne se limitant pas aux retombées médiatiques : elle devient un “lieu” identifié des militants et leur permettant de participer activement au pilotage de la campagne. Elle crée de l’émulation et donne envie de rejoindre la campagne. Elle installe un esprit de famille entre des activistes venus d’horizons et de chapelles politiques souvent bien différents, et qui se retrouvent pourtant à fréquenter ces rendez-vous autant pour se retrouver amicalement, que pour s’engager politiquement. Elle devient la partie émergée et l’avant-garde de la mobilisation digitale, adossée à une forte stratégie d’e-mailing. Surtout, nous créons une marque, qui va, au côté du porte-à-porte, construire l’image de la campagne web de François Hollande et rejaillir positivement sur l’aura générale de sa candidature. Une marque qui se diffuse sur tout le territoire, la “riposte party” se déclinant en soirées délocalisées partout en France.

Nous devons bientôt refuser des participants, malgré le passage à une salle plus grande au siège du Parti socialiste. La série culmine le 2 mai 2012 avec une riposte party géante à la Bellevilloise, durant le débat d’entre-deux-tours, réunissant soutiens de François Hollande, de EELV et des autres candidats ayant apporté leur appui au candidat de l’alternance. La campagne terminée, le Parti socialiste pérennise le dispositif en le rebaptisant “support party” pour marquer la sortie de l’opposition et l’arrivée au gouvernement … et le concept finit par se normaliser et par intégrer le “bagage” de tous les partis, parfois même porté par des anciens de la campagne #FH2012.

Quelles leçons ?

Voilà pour l’histoire. La riposte party est une technique créée dans un contexte de campagne particulier, très lié au développement de Twitter et à la pratique, propre à ce réseau, du commentaire d’actualité en temps réel. Chaque époque digitale a ses règles ; les techniques de mobilisation propres aux réseaux de “nouvelle génération”, d’Instagram à Snapchat, restent à inventer. Mais la genèse que je viens de vous raconter illustre quelques principes simples et toujours valables pour réussir une campagne digitale, qu’elle soit politique, associative, ou même au-delà :

  1. Une campagne, c’est un lieu. Les internautes mobilisés ont envie de rencontrer “l’Etat-major” et tout simplement de se retrouver IRL. Les bonnes campagnes ont un “quartier général” accessible et convivial.
  2. Une campagne, c’est un accueil. Dans tous les cas mais plus encore pour du digital, le management descendant à sens unique, qui se limite strictement à distribuer des tâches aux activistes, n’est pas une option. Prendre soin des militants est un minimum, les associer dans l’ouverture et la transparence à la stratégie de campagne, une évidence.
  3. Une campagne, c’est une famille. J’ai l’habitude de dire qu’une campagne politique est réussie si des couples s’y forment. On doit y arriver comme militant mais en repartir comme ami.
  4. Une campagne, c’est une histoire. Une histoire à laquelle tous les militants doivent avoir le sentiment de participer collectivement. Une histoire qui sera d’autant plus facile à raconter aux médias qu’elle est bien réelle.
  5. Une campagne, c’est un concept. La “riposte party” ne vient pas de nulle part, pas plus qu’elle n’apporte d’innovation fondamentalement inédite. Mais elle a rassemblé au bon moment des pratiques pré-existantes dans un “package” cohérent, et sous un nom qui fait mouche. Comme toujours, le mot fait la chose.

Romain PIGENEL

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Post-scriptum

Un salut amical et fraternel à l’équipe qui mena cette aventure ; Mehdi Mebarki, que j’ai déjà cité, et qui fut l’animateur quotidien de nos réseaux militants ; Jean-Claude Bénard, notre Monsieur argumentaires ; Ambre Cerny, attachée de presse — couteau suisse ; Elodie Cabirol notre stagiaire ; et last but not least Benjamin Fallot, responsable du pôle veille, compagnon naturel et au long cours du pôle e-influence.

Merci enfin, ou plutôt d’abord, à toutes celles et tous ceux qui passèrent des heures avec nous au 59 avenue de Ségur, tôt le matin jusque tard le soir, pour porter jusqu’au bout cette campagne victorieuse sur le web.

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Romain Pigenel
Scribe

Enseignant en communication politique à Sciences Po, ex-conseiller du président de la République et directeur adjoint du SIG. http://romainpigenel.fr