Voyager ? …En Norvège

Marie M
Scribe
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9 min readAug 22, 2018

De nos jours, il n’est pas rare d’entendre, “j’ai fait” la Norvège, la Thaïlande, le Portugal ou je ne sais quel pays. À croire que de par la générosité de notre déplacement dans telle ou telle contrée, on crée à nous même l’endroit.

D’ailleurs avant de faire Hodalen, Hodalen n’existait pas en Norvège, c’est un endroit récent puisque je l’ai fait il y a quelques semaines de cela. Bref, trêve de bavardage, on ne fait pas un pays mais un voyage, c’est ma famille de puristes qui me l’a rappelé puisque j’avais moi-même sombré dans les nombreuses erreurs du français “nouvelle génération”. Cependant pour ne pas s’arrêter à une faute de vocabulaire, s’insinue Nicolas Bouvier qui nous suggère alors dans L’Usage du monde :

« On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait ou vous défait. »

Donc, pour conclure cette introduction, je n’ai pas fait la Norvège, ni même un voyage en Norvège, je suis allée à Hodalen, une sorte de lieu-dit près de Tolga… en Norvège ! Je ne peux pas ajouter présomptueusement ce pays à ma liste de destination visitée puisque je n’en ai vu qu’un centième si ce n’est moins de cette terre inconnue. Pourtant je vous assure je suis allée en Norvège d’ailleurs j’ai beaucoup aimé et je vous conseille vivement de faire ce pays en espérant quand même que le voyage ne vous défera pas trop.

Je suis revenue en forme de ces trois semaines là-bas, toujours aussi craintive à l’idée de rentrer en France mais cette échappée loin du monde m’aura fait du bien. J’avais oublié le silence, le vrai. La nature à perte de vue. C’était être à nouveau en pleine mer mais au milieu d’un plateau qui n’en finissait pas.

Là-bas, mon corps a aussi repris forme, l’effort physique (il m’en faut peu), les réveils matinaux, les gestes simples et quotidiens qui s’instaurent rapidement pour créer une routine bienfaitrice puisque de courte durée. Je ne suis pas restée assez longtemps pour me lasser, m’ennuyer, j’aurais aimé rester plus mais je me suis aussi convaincue qu’il faut savoir partir à temps et puis j’avais de belles raisons de rentrer !

Je suis partie le 29 mai pour un woofing de trois semaines auprès d’une famille française. Comme quoi, vraiment, je n’ai pas fait un voyage en Norvège puisque j’ai retrouvé des marques culturelles que je connaissais déjà.

Pourtant là-bas, je n’étais pas en France, j’étais à L’escapade Norvégienne, un gîte mis en place depuis presque dix ans par le couple qui m’a accueillie. Le concept est simple : en hiver, ce sont les balades en chiens de traineaux, à ski, en raquette… et en été, des semaines de pêche, le tout agrémenté d’une cuisine digne d’un très bon restaurant français et d’un accueil chaleureux.

C’est un petit paradis perdu où la plénitude des lieux permet autant de se ressourcer que de se dépenser. C’est un endroit pour lire autant que pour marcher, un endroit qui m’a comblée puisqu’il m’a apporté ce que j’étais venue chercher.

Je ne me lancerai pas dans un récapitulatif spongieux de ce que j’ai pu faire là-bas. Je manque cruellement de talent pour tenter de redonner vie aux lieux par de sempiternelles descriptions et ça m’ennuie d’ailleurs plutôt vite. Peut-être ai-je seulement le besoin de retrouver l’usage des mots, le besoin de retrouver ainsi les sensations vécues, de prendre du recul sur ce qu’ont représenté ces trois semaines pour moi.

Il m’est impossible de partir dans l’idée de prendre simplement des vacances, je ne voyage pas au sens récréatif ou touristique du terme.

Je voyage car le déplacement en lui-même est une possibilité pour moi d’envisager ma propre existence sous un angle différent.

En sortant du contexte dans lequel j’évolue normalement, je perçois les choses, du moins j’essaie, avec de nouvelles perspectives. Ma vie n’étant pas une anamorphose, je ne peux pas l’envisager que d’un seul point de vue.

Partir en Norvège, c’était une porte de sortie nécessaire, le besoin de me retrouver hors de France afin d’évoluer dans un quotidien qui n’était pas le mien, me détacher d’un environnement qui ne pouvait pas m’apporter « assez » de bien à ce moment-là.

Le woofing que j’ai trouvé là-bas était un rêve inespéré. D’ailleurs quand j’ai lu l’annonce de l’ancien woofeur qui en faisait l’éloge, j’ai pensé que c’était trop beau pour être vrai et le projet a été long avant de se concrétiser puisque je n’ai pris mes billets qu’une courte semaine à l’avance.

De base, je cherchais un projet en Europe, du côté du Portugal ou au Sud de l’Espagne, mon besoin de chaleur me préoccupait toujours autant… mais quand j’ai trouvé ces mots : mushers, 24 alaskans huskies, nature, tranquillité, loin du monde … et devrais-je alors préciser que les derniers mots n’étaient autre que le fruit d’un désir espéré et pas forcément ceux lus dans l’annonce !? Je n’ai pas hésité et ai tout donné de ma sincérité pour aller me perdre dans le petit coin perdu d’Hodalen.

Après des semaines d’attentes, non je n’exagère jamais, la réponse positive m’a alors transportée de joie. Un woofing avec des chiens, un rêve plus qu’une réalité à mes yeux. Il m’aura pourtant fallu attendre de voir ces 24 bêtes joyeuses venir me sauter dessus à l’unisson pour y croire et sur le moment retenir aussi une certaine crainte d’être mise à terre.

Rencontrer de nouveaux individus, faire face à des inconnus est pour moi, parfois, une source d’angoisse. Créer des liens, un contact peut me demander un certain effort alors qu’un partage canin, et l’expression me fait rire, semble pour moi la plus douce des occasions. Les Alaskans Huskies sont d’ailleurs une race extraordinaire, je ne crois pas avoir déjà reçu autant d’affection et les voir quémander caresses et autres tendresses me paraissait presque inespéré.

C’était une expérience en tant que telle, j’ai eu immédiatement une sorte d’admiration pour ces chiens et un amour sans limite. J’ai été surprise de voir que 24 chiens, c’était réellement 24 comportements distincts et je souris en repensant aux manières de certains.

Je crois, de plus, avoir eu la chance de rencontrer un musher qui respectait sa meute autant qu’elle le respectait. Là-bas, les chiots ne sont pas abattus s’il y a un surnombre, les retraités non plus, un futur propriétaire est choisi alors avec soin. Pas de dopages ou autres comportements abusifs que l’esprit de compétition fait naitre chez certains mushers. Cependant le chien n’est pas pour autant un animal de compagnie mais un athlète dont l’alimentation réfléchie et l’entrainement font partie de son quotidien. Le mushing n’est pas un simple passe-temps mais une véritable passion qui demande du temps, des efforts, une présence presque constante.

Il en est de même en quelque sorte pour la Norvège, si l’été est doux et clément, l’hiver est un temps plein. La vie devient une organisation et des codes s’instaurent afin de faire face à des températures qui chutent drastiquement. Aller là-bas, c’était aussi une façon pour moi de m’introduire au Yukon que je rejoindrai d’ici deux mois environ.

Entendre parler de l’hiver, comprendre que la nature reprend alors le dessus et que ce n’est plus elle qui se plie à l’humain mais bien nous qui nous adaptons. Face à — 40°, les habitudes changent, le quotidien semble ne plus être le même.

Je ne suis pas sûre d’être encore capable de faire face à un tel environnement cependant il me semble que c’est aussi une possibilité de retrouver notre position d’individus dans un tout, d’être plus humble puisque nous perdons le contrôle et un respect de la nature devient alors une évidence.

Un retour à l’essentiel se fait de lui-même et s’il n’est pas nécessaire d’aller s’ébrouer joyeusement dans des contrées hostiles pour enclencher une telle réflexion, les hivers en Norvège ou dans le Yukon sont des possibilités intenses de retrouver notre place dans l’ordre plus naturel des choses.

Evidemment, je rêve et me perds dans mes nombreuses lectures sur le sujet en écrivant ainsi. L’humain a depuis longtemps trouvé la technologie pour reprendre parfois le dessus mais n’est-il pas agréable de songer qu’un voyage peut encore nous défaire de notre humanité afin de mieux nous en rapprocher ?

La Norvège, du moins ce woofing, c’était une première possibilité de réflexion. J’étais loin d’être perdue au bout du monde ou dans la nature mais être là-bas c’était me mouvoir dans une bulle bien à part.

Du fait d’être avec un couple de Français, je perdais la sensation d’être vraiment loin de mon pays et pourtant les différences avec mon quotidien étaient si réelles que je n’étais pas non plus en France mais bien dans un pays nordique et sincèrement loin de la ville.

Je me souviendrai toujours de cette nuit passé dans une cabane sur les plateaux d’Hodalen, celles-ci sont nombreuses à être libre d’accès au premier venu. On trouve dans ces petits refuges le luxe nécessaire, lit, ustensiles de cuisine, poêle et bois en prévision (même si je sais que la cabane dans laquelle j’ai passé une nuit était dûment entretenue par le couple qui m’a accueillie).

La nuit tardant à venir, j’ai pu profiter jusqu’à 23h de la solitude des lieux. Poussée par un désir de vus toujours plus panoramiques, j’ai arpenté les plateaux, émerveillée. Les pieds trempés, m’enfonçant dans des marécages invisibles que les névés fraichement fondus avaient tout juste créés, j’ai enchainé les déclenchements de mon appareil photo et les soupirs de satisfaction.

J’ai retrouvé le plaisir que m’avait procuré il y a quelque mois de ça une balade au milieu des Météores grecques.

J’étais seule, si extatiquement seule.

La mélodie des ruisseaux, des oiseaux comme simple fond sonore et aucun bruit de moteurs, de routes, d’avions qu’il est pourtant rarement possible d’oublier de nos jours, même perdu dans la nature. Seul revenait à moi, portée par le vent, la litanie des chiens qui malgré la distance restaient à mes côtés.

Cette possibilité encore de citer ce vers de Victor Hugo qui toujours me revient en tête dans ces instants précis :

“j’appelais cette vie être content de peu !”

C’est en gravitant là-haut, prise dans un tout incroyable que j’ai pensé ce vers et ai senti en moi un épanouissement profond.

La Norvège, cependant, fut cette parenthèse dont j’avais tant besoin. C’était une destination inattendue puisque j’étais loin d’y retrouver la chaleur espérée mais mes envies restent adaptables et je n’ai ramené avec moi aucun regret.

La fraîcheur du matin apaisée par quelques rayons de soleil presque toujours au rendez-vous était d’ailleurs la plus belle des manières d’apprécier mon café encore chaud.

À Hodalen, ce n’est pas que la nature qui m’aura rattrapée mais des rencontres inattendues, des liens créés en un instant ou avec la patience du Petit Prince pour son renard.

Ce furent trois semaines d’échanges, de rires et de silences. Trois semaines intensives mais l’activité perpétuelle était aussi ce que j’étais venue trouver. Au détour du quotidien, de conversations et de petites échappées, j’ai appris bien plus que je ne le pensais.

Pas forcément devenue membre de leur famille puisque ce n’était pas la position recherchée, nous étions une équipe et après trois semaines en leur compagnie, j’avais le sentiment d’avoir trouvé ma place dans cette escapade norvégienne qui me manque déjà.

Ce n’est qu’avec sincérité que je pourrais vous encourager à prendre part à leur aventure nordique, que ce soit pour la pêche, les chiens de traineaux ou simplement grâce aux petits chalets qu’ils tiennent à disposition des amoureux de la nature. Ces trois semaines à Hodalen, c’était une agréable introduction à la Norvège et déjà l’envie d’y retourner s’est immiscée en moi.

Ce ne fut donc pas vraiment un voyage en tant que tel mais plutôt un déplacement de l’esprit vers de nombreux possibles. J’ai encore tant à découvrir de ce pays incroyable et partir de nouveau, c’était réveiller en moi le désir d’arpenter encore et toujours ce monde qui peut s’offrir à nous.

M’envoler ainsi vers cette contrée inattendue et sentir l’équilibre qui refaisait surface, c’était comprendre que la France restera mon pays mais que me mouvoir à travers les frontières reste la source de mon épanouissement.

C’est donc maintenant l’occasion pour moi d’ajouter les quelques mots de Nicola Bouvier qui précédaient ceux déjà cité plus haut :

« Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit que l’on va faire un voyage mais bientôt c’est le voyage qui vous fait ou vous défait. »

Il n’y a donc de réel dans mes voyages que ce que mon cœur entreprend et c’est celui-ci, d’ailleurs, qui me portera jusqu’au Yukon dans tout juste deux mois.

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