Conception d’un enfant dans les îles Trobriand

Tomwaya Lakwabulo et d’autres informateurs prétendent que ces enfants-esprits ne s’éloignent jamais trop de Tuma. Ils sont transportés aux îles Trobriand avec l’aide d’un autre esprit. Tomwaya Lakwabulo m’a donné le récit suivant :

Un enfant est emporté sur une planche flottante. Un esprit l’aperçoit et le trouve gentil. C’est l’esprit de la mère ou du père de la femme enceinte (nasusuma). Puis, il le met sur la tête, dans les cheveux de la femme enceinte, qui commence alors à souffrir de la tête, à vomir et à éprouver des douleurs dans le ventre. L’enfant entre dans le ventre, et la mère devient réellement enceinte. La mère dit alors : Il (l’enfant) a fini par me trouver. Ils (les esprits) ont fini par m’apporter l’enfant.

Dans ce récit nous trouvons deux idées directrices : l’idée d’une intervention active d’un autre esprit qui, d’une façon ou d’une autre, ramène l’enfant aux îles Trobriand et le remet à la mère ; l’idée de l’introduction de l’enfant dans le ventre de la mère à travers la tête ; à cette dernière idée est généralement associée (bien qu’elle ne figure pas dans le récit que je viens de reproduire) celle d’une effusion de sang, dans la tête d’abord, dans l’abdomen ensuite.

Sur la manière dont le transport s’effectuerait réellement, les opinions varient : d’après les uns, l’enfant serait transporté par l’esprit plus âgé soit dans un réceptacle, panier tressé, dans le genre de ceux dans lesquels on transporte les noix de coco, ou auge en bois, soit tout simplement dans ses bras. D’autres avouent naïvement qu’ils n’en savent rien. Mais le contrôle actif de la part d’un autre esprit est un facteur d’une importance essentielle. Lorsque les indigènes disent que les enfants « sont donnés par un baloma », qu’ « un baloma est la cause réelle de la naissance de l’enfant », ils pensent toujours à cet esprit qui contrôle, et non à celui de l’enfant lui-même. L’esprit contrôleur (qu’on me permette cette expression) apparaît généralement en rêve à la femme sur le point de devenir enceinte. Ainsi que l’a dit Motago’i, un de mes meilleurs informateurs :

Elle rêve que sa mère vient vers elle ; elle voit en rêve le visage de sa mère ; elle se réveille et dit : Oh, il y a un enfant pour moi !

La femme dira souvent à son mari par qui l’enfant lui a été apporté. Et la tradition du parrain et de la marraine est maintenue. C’est ainsi que le chef actuel d’Omarakana sait que ce fut Bugwabwaga, son prédécesseur dans la charge, qui le donna à sa mère. Mon meilleur ami, Tokulubakiki, fut offert en présent à sa mère par le kadala ou frère de celle-ci. La femme de Tokulubakiki reçut sa fille aînée de l’esprit de sa mère. Généralement, c’est un parent maternel de la future mère qui offre le présent ; mais ce peut être aussi son père, comme dans le récit de Tomwaya Lakwabulo.

Nous avons déjà dit quelques mots de la théorie physiologique qui est associée à ces croyances. L’enfant-esprit est déposé par celui qui l’apporte sur la tête de la femme. Le sang de son corps afflue alors vers la tête, et le courant de ce sang entraîne peu à peu l’enfant ‘jusque dans le ventre. Le sang contribue à la formation du corps de l’enfant, il le nourrit. C’est pourquoi les menstrues de la femme s’arrêtent, lorsqu’elle devient enceinte. Lorsqu’une femme constate que ses menstrues sont arrêtées, elle attend un, deux, trois mois, après quoi elle est certaine de sa grossesse. D’après une croyance moins généralement admise, l’enfant serait introduit per vaginam.

MALINOWSKI Bronislaw (1930/1970) : La vie sexuelle des sauvages du Nord-Ouest de la Mélanésie. Description ethnographique des démarches amoureuses, du mariage et de la vie de famille des indigènes des Îles Trobriand (Nouvelle-Guinée). Traduction française par le Dr. S. Jankélévitch. Paris, Payot

http://classiques.uqac.ca/classiques/malinowsli/vie_sexuelle/vie_sexuelle.html

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