La manufacture des enfants selon les Nggerikudi

Fabriqué à l’origine par Thunder, Anje-a est l’individu qui, selon les Aborigènes de la Pennefather [River] [Australie], façonne les enfants à partir de boue marécageuse et les insère dans le ventre des femmes. On ne le voit jamais, mais on peut l’entendre rire dans les profondeurs de la brousse, parmi les rochers, dans les lagunes, et le long des palétuviers ; quand on l’entend, les Indigènes disent « Anje-a il rit : il a un enfant ». Les femmes ne savent pas quand les bébés sont mis à l’intérieur d’elles — elles ne les sentent que par la suite — parce qu’ils peuvent être placés en position pendant la journée, la nuit et au cours d’un rêve. Avant de véritablement insérer ces bébés de boue dans les femmes, Anje-a fait parcourir aux garçons des détours à travers la brousse, leurs formes étant déjà moulées comme il le faut, alors qu’il fait passer les filles par-dessus un morceau de bois tendu transversalement à une certaine hauteur sur le chemin qu’il leur demande de parcourir : quand chaque fille tend les jambes au-dessus de la traverse, elle est fendue à l’entre-jambe, et elle est maintenant terminée. Pour découper l’orifice postérieur des deux sexes, Anje-a utilise une tenaille en bois d’Acacia Rothii … Parfois, un accident frappe ces enfants avant qu’ils n’entrent dans leur mère humaine, par exemple, ils peuvent se prendre le pied dans une bûche, et ainsi naître avec diverses déformations (pied-bot, etc.). Lorsque la femme a beaucoup de place à l’intérieur, des jumeaux sont envoyés.
Thunder peut aussi faire des enfants à partir de boue marécageuse et fabrique les siens gauchers, ce qui peut ainsi être distingué de ceux d’Anje-a qui sont tous droitiers. Comment le principe vital (cbo-i) est obtenu et mis dans le bébé de boue est expliqué ailleurs. [83/23]

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[Les principes vitaux] Ngai et Cho-i ne sont pas liés au souffle mais au cœur et au placenta. Le ngai, que les Aborigènes peuvent sentir palpiter, leur parle, et leur dit quand il a faim ou soif ou veut se reposer. Il peut même leur parler pendant le sommeil et provoquer ainsi des rêves. Cela n’a rien à voir avec le souffle ou Wanji (un terme également appliqué à une rafale de vent) qui quitte le corps en premier ; ce n’est que quelque temps après la mort que le ngai quitte le cadavre, et, si c’est un mâle, il passe à ses enfants, garçons et filles, de manière égale. En effet, une personne n’acquiert son ngai qu’à la mort de son père : si l’enfant meurt avant le père, il n’en aura jamais. Dans le cas d’une femme qui posséderait un ngai, celui-ci passe à sa mort de sœur en sœur, et quand il n’y a plus aucun parent pour le recevoir, il s’en va « le long de la mangrove, complétement fini ».

De plus, non seulement le ngai se sépare du corps après la mort, mais aussi lors des évanouissements (par exemple, ceux produits par une chute, une perte de sang, etc.) et autres formes de perte de conscience. Pour guérir un évanouissement, etc., les amis tout autour commenceront à taper avec leurs pieds pour récupérer le ngai, tout comme ils le feraient avec un but similaire dans le cas d’un cadavre.

D’autre part, tous possèdent un cho-i à partir du moment où Anje-a les met dans le ventre de la mère. Le cho-i occupe les mêmes endroits et a des sensations subjectives similaires à celles du ngai. A la différence de ce dernier, une partie du cho-i reste dans le placenta et le reste quitte le cadavre après le décès pour errer dans la brousse à jamais. Libéré ainsi de sa connexion avec le corps après la mort, il peut parfois être vu, souvent entendu, et certainement senti. Interrogés sur l’apparence ou les qualités du cho-i, les Indigènes se réfèrent à leur ombre qui, bien qu’appelée par un autre nom, constitue pour eux la manière la plus immédiate pour se rendre intelligibles.

Lorsque les guérisseurs s’en vont dans la brousse pour un envoûtement, on pense qu’ils parlent à ces cho-i avec l’aide desquels ils sont censés contrôler la vie des gens. Il faut garder à l’esprit que les cho-i errants (c’est-à-dire les parties qui ne sont pas restées dans les placentas) sont tous des fripouilles et des démons en ce sens qu’ils peuvent rendre une personne malade, voire ‘étrange’. Et bien que ces cho-i errent généralement quelque part dans la brousse, il y a certains arbres creux, de formations particulières, et d’autres avec des branches inhabituellement étendues, etc., qu’on croit plus ou moins spécialement hantés. Ainsi, la nuit, lorsque les feuilles bruissent ou que les branches crépitent, on peut les entendre.

De plus, la présence d’un cho-i est reconnaissable, de jour comme de nuit, par le nez. J’ai eu droit à une curieuse illustration de cela lors d’une de mes visites périodiques à Mapoon. Quelques jours après la mort d’une femme dans l’une des huttes, et après avoir enlevé le corps, le révérend N. Hey soignait avec du phénol (dans le même appartement) les plaies d’un petit garçon qui avait subi des blessures bénignes. Au cours de cette activité bienveillante, il a renversé une partie de l’acide sur le sol. Cette même nuit, les occupants furent terrorisés par le cho-i de la défunte dont ils connaissaient la présence à cause de l’odeur…

Il a été dit qu’une partie du cho-i qu’Anje-a met à l’origine dans le bébé reste dans le placenta… Ainsi, lorsque l’enfant naît dans le monde, la grand-mère prend le placenta et l’enterre dans le sable, marquant l’endroit avec un certain nombre de branchettes enfoncées dans le sol plus ou moins en cercle et attachées ensemble à leur sommet pour former une structure ressemblant à un cône. Anje-a arrive, reconnaît l’endroit et, prenant le cho-i, l’emmène dans l’un de ses repaires où il le garde et où il peut rester pendant des années dans un trou dans les rochers, dans un arbre ou dans un lagon. Trois ou quatre de ces repaires sont connus dans le voisinage de Mapoon… Maintenant, quand Anje-a fait un bébé avec de la boue et qu’il l’insère dans la mère, il y met un peu du cho-i de son père si c’est un garçon, et celui de la sœur de son père si c’est une fille. Quand il fabrique le petit frère ou la petite sœur suivante, il en met encore un petit peu, et ainsi de suite. Et bien que les parents sachent quel est le cho-i que leur progéniture possède — que ce soit celui de son père ou des sœurs de son père — ils ignorent toujours à quel endroit particulier le cho-i a été détenu, et quand Anje-a l’a finalement libéré et mis dans le corps de l’enfant.

Pour obtenir cette information, ils opèrent de la façon suivante : lorsque le cordon ombilical est coupé par la grand-mère (avec une dent de kangourou, etc.), les différents repaires d’Anje-a sont nommés, et le nom mentionné au moment de la coupure leur indique où le cho-i a été apporté. (Curieusement, le cordon ombilical a deux noms ici : ailinyi pour la partie sur l’enfant, et anombite pour ce qui reste sur le placenta.) Ainsi, le pays d’appartenance de l’enfant, son « foyer », là où il aura à l’avenir le droit de chasser et de roder, est déterminé, non pas par le lieu de naissance proprement dit, mais par la localité où son cho-i a été en captivité — endroit qui peut être parfois éloigné de plusieurs kilomètres… Les animaux et les plantes n’ont ni ngai ni cho-i. [68/18]

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ROTH Walter (1903): North Queensland Ethnography. Superstition, Magic, and Medicine. Brisbane

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